Tempête sur Céüze

Synclinal en forme de fer à cheval, destination historique des skieurs de Gap, berceau de l’escalade sportive de renommée internationale, le petit massif de la Montagne de Céüze m’a ouvert ses portes pour une découverte hivernale en raquettes. Une invitation à parcourir du regard les massifs voisins, du Buëch aux Ecrins, en passant par le plateau de Bure, achevée dans la folie d’une tempête. Portrait d’une montagne familiale rendue soudainement furieuse.

Fin janvier dans les Hautes-Alpes. L’hiver est enfin là. Pas ce substitut frôlant l’imposture qui tentait jusqu’à maintenant de se faire passer pour lui. Un hiver véritable, pas tout à fait encore mûr, mais plein de bonne volonté. Un hiver encore un peu adolescent. Je conduis prudemment dans les lacets verglacés s’élevant jusqu’à Céüze 2000. La station est fermée. Dans tous les sens du terme. Etrange atmosphère renvoyée par ces façades de résidences muettes et fatiguées, égrenant des volets clos que l’absence d’entretien condamne à l’usure du temps. Si ce n’était quelques skieurs de randonnée s’agitant sur le parking, Céüze passerait pour une ville fantôme. Moribonde, mais pas définitivement morte, la station résiste à la sentence d’hivers sans neige grâce à l’énergie de quelques passionnés réunis en association. Du haut de leur enthousiasme, les membres de Céüze Passion tentent depuis quelques années de donner du sursis à une condamnation aussi injuste qu’inéluctable.

Départ Ceuze

Je m’élève au-dessus du remonte-pente. Un canon crache de la neige de culture de toute sa puissance, indice d’une ouverture à venir. Pour l’heure la montagne de Céüze est rendue aux seuls randonneurs. En peaux de phoque ou en raquettes, tous font leur trace vers les hauteurs du synclinal. J’opte pour un tour complet du fer à cheval, dans le sens anti-horaire. Du moins pour une version plus courte que l’itinéraire estival. Je laisse donc la crête de la Barre et le sommet la Manche de côté pour m’élever en direction de la crête de Raux. C’est la frontière des remontées mécaniques. Au-delà, les espaces vierges de la Lumineuse sont réservés à la jouissance exclusive du randonneur. Des panoramas sur les vallées du Buëch à contempler égoïstement. Le Buëch… Ce territoire me semble rempli de mystères, parsemé de sommets aux noms inconnus. Une zone intermédiaire entre les Alpes du Sud et les Préalpes où se pressent les reliefs provençaux de la Drôme et des Baronnies, aperçus dans le lointain d’un horizon à la couleur menaçante.

Ceuze randonnée raquettes

La magie de la montagne, c’est d’être capable de changer de visage en quelques instants, sans même qu’on s’en rende réellement compte. Un tour de passe-passe étonnant qui transforme le soleil en ombre et subtilise la caresse d’un soleil d’hiver par la morsure piquante d’un vent venu du nord. J’avais envisagé initialement d’aérer ma vision en parcourant intégralement la corniche de Céüze. Une irrépressible envie de dominer mon monde en découvrant ces fameuses falaises d’escalade où Chris Sharma et Arnaud Petit ont écrit de magnifiques pages de la grimpe sportive. Mais le vent qui s’invite à ma randonnée semble vouloir en décider autrement. Je le fuis en cheminant dans le fond de vallons abrités, en gardant à l’oeil cette ligne de crête où je veux définitivement m’imaginer. Au pied de la pente ouest du Pic de Ceüze, la tentation est trop grande : je monte.

Randonnée raquettes Ceuze pic de Ceuze

Lutter contre les éléments déchaînés m’a toujours procuré un plaisir masochiste. On peut y voir une forme de duel demandé à la montagne. Aujourd’hui mes 70 kilos ne pèsent pas lourds face à la furie de la tempête qui emporte la neige devant elle. Un courant de particules glacées galope à la surface de la montagne en un flux violent et ininterrompu. Projeté dans le vide au-delà de la corniche, il s’enroule en longs filaments autour de la montagne avant de sombrer dans l’abîme. La force du vent m’oblige à la prudence. A moins qu’il ne s’agisse de soumission. Me voici à quatre pattes, à l’abri derrière le cairn sommital, à tenter d’enregistrer des images de ce maelström. Quelques secondes suffisent à contracter brutalement les vaisseaux sanguins de mes mains. Je tente de remettre mes gants. En vain. Le froid tente de me piéger. L’espace d’un instant, je ne me sens soudainement plus en sécurité. Une sensation furtive, mais lucide, de froid et d’effroi me saisit.

pic de ceuze tempête neige hiver froid

Je dois mettre mes mains à l’abri très rapidement. Les poches ne suffisent pas et j’ai le trépied à transporter. Le contact métallique de l’accessoire me transperce. En moins d’une seconde, je décide de l’abandonner provisoirement et quitte aussi vite que possible cette zone hostile. Quelques centaines de mètres sous le sommet, une combe plus abritée et touchée par la grâce du soleil me sert de refuge. Je me jette à l’abri de rochers et entame la récupération de mes mains. Quel soulagement de sentir la chaleur du sang courir à nouveau dans ses veines. Je suis fasciné par la violence du vent remontant rageusement les pentes. Mes mains à nouveau protégées, je remonte au sommet récupérer mon matériel abandonné et déjà presque enseveli par la neige. Je l’arrache de ce tombeau froid et tourne le dos au Pic de Ceüze. Le chemin du retour est encore un peu long.

Ceuze randonnée raquettes

J’ai déjà écrit, par le passé, sur la notion de mental en montagne. Un mental fort est un sursis non négligeable à une issue potentiellement dramatique ou grave. J’aime la montagne car c’est une donneuse de leçon. Nul besoin d’être en Himalaya pour se faire taper sur les doigts. L’ego d’une altitude modeste peut l’amener à vous le rappeler à vos dépens. Je souris intérieurement en accueillant ce sermon silencieux, seulement porté par la furie du vent. Je lutte avec plaisir avec cet obstacle froid qui donne un sens plus fort à ma progression. Ceüze a tenté d’éprouver ma passion mais n’a fait que la conforter. J’aime la montagne pour ce qu’elle est : un colosse endormi dans lequel la nature humaine se forge et se découvre. Maternelle et moralisatrice, elle demeure à mes yeux l’un des meilleurs apprentissages sur la vie que j’ai eu. Ceüze m’a plu et intrigué. Je reviendrai pour en savoir plus.

Ceuze corniche pic hiver

 

INFOS PRATIQUES

Difficulté : assez difficile | Longueur : 10 km | Durée : 4h15 | Dénivelé : 560m
Carte : IGN 1/25000 TOP25 3338ET Gap, Montagne de Ceüze
Accès : Gap, accessible depuis Aix-en-Provence par A51 ou par Grenoble par N85. De Gap, suivre la direction Veynes, stations du Dévoluy, Sisteron et la D994. Quitter Gap par cette départementale et rejoindre la Roche-des-Arnauds. Peu après l’entrée dans le village, tourner à gauche par la petite D18, direction Manteyer et Ceüze. Monter jusqu’au terminus de cette route et se stationner au niveau du front de neige. Si la station est ouverte, il faudra peut-être se stationner un peu plus bas…
Topo : Eskapad a consacré l’un de ses récents topo à notre itinéraire. Je vous invite donc à le retrouver en téléchargement libre en suivant ce lien : http://www.eskapad.info/pdf/Raq05_024.pdf

Ceuze itinéraire randonnée raquettes

Notes : la Montagne de Céüze ne s’arrête pas à un seul itinéraire. De multiples variantes de durées variables peuvent être imaginer dans ce synclinal où l’orientation est aisée. Vous avez donc toute latitude pour aménager votre propre boucle à partir du modèle que je fournis dans cet article. En revanche, j’attire votre attention sur la nécessité de redoubler de prudence sur la corniche de Céüze qu’on évitera en cas de gros vent d’une manière générale. Il n’y a aucune protection pour retenir une chute éventuelle. Pour connaître l’état de la station, rendez-vous sur le site de Céüze Passion.
Bibliographie : Les environs de Gap… à pied | C’est le topo-guide officiel édité par la Fédération Française de Randonnée Pédestre. 46 suggestions d’itinéraires homologués Promenade & Randonnée y sont recensées, notamment à Céüze, pour approfondir votre découverte de cette partie des Hautes-Alpes, accompagnés de leurs cartes et de leurs explications. Prix indicatif : 14,50 € | Ref.P051

EN BREF

Vues impressionnantes, itinéraire aérien, ambiances enneigées apaisantes, intimité d’un petit massif montagneux attachant… La Montagne de Céüze ne manque pas d’atouts pour une randonnée à raquettes. Un fer à cheval rempli de potentiel à revenir explorer en été pour une seconde lecture.

by-nc-ndCe reportage Carnets de Rando, sous licence Creative Commons, est la propriété exclusive de Carnets de Rando. Son usage à des fins non commerciales est autorisé à condition de mentionner son appartenance au site www.carnetsderando.net. Pour toute autre utilisation, merci de me contacter.

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6 Comments

  1. Annie Répondre

    Juste un mot que tu as respecté lequel tu connais : PRUDENCE.
    Je savais il y avait danger et pas sereine j’ai attendu et tu as répondu.

    Merci encore pour ton savoir faire mais ce vent déjà t’a coûté cher alors entre froid vent du nord et j’en passe……… Je sais tu es comme moi ……….un défi en entraîne un autre mais il faut rester avec la tête sur les épaules. Félicitations pour ton bon sens malgré ta déception momentanée. Fils tu as toute ta vie devant toi alors préserve là et sache remettre …………:) Merci bravo (en passant tu as toujours eu les mains sensibles au froid tout comme moi ) et Papa n’avait pas mégoté l’année aux Ménuires où le froid et le vent avaient frappé fort et que les chaises tables etc…. volaient partout on s’était réfugié où on pouvait et un bébé avait perdu ses oreilles car son père le portait sur son dos dans un spécial sa à dos.

  2. Bruno Répondre

    Je n’osai pas me plongé dans le récit uniquement regarder vite fait les photos comme l’on peu faire au balayage d’une page web et capter quelques mots. Et puis j’ai lu une phrase et ai été happé. Pas besoin de carte pour situer Céüze je vais dans cette région depuis mon enfance chaque été. Mon premier souvenir y était donc gamin. Je me souviens y avoir couru pour ramasser quelques fossiles au milieu de cette station qui était déjà moribonde et c’était il y a plus de quarante ans. Depuis peu, adepte de la rando, animé par une boulimie pour rattraper toutes ses années perdues, j’ai à chaque fois observé ce fer à cheval depuis les crêtes de Charance situées juste en face, sans savoir ce que je pourrais bien aller y faire ou comment intégrer cet endroit à une rando plus longue. Maintenant je sais que ce sera ma première destination dès que je retournerai dans le Gapençais.
    Tellement bien tournée, cette phrase ou tu soulignes l’humilité qu’il vaut mieux avoir face à la montagne quelque soit son altitude. Encore merci pour ton récit
    Bruno

    1. carnetsderando Auteur de l'article Répondre

      Merci Bruno pour ce témoignage ! Content que cet épisode t’ait inspiré une future randonnée dans ce massif évocateur de souvenirs personnels. Si l’hiver est déjà riche de possibilités, l’été l’est davantage encore car il existe quelques passages dans les falaises pour passer de l’étage supérieur des corniches à celui du dessous. J’espère avoir l’occasion d’y retourner aux beaux jours pour une approche différente du massif. A bientôt !

    1. carnetsderando Auteur de l'article Répondre

      Merci Janine ! Je suis content que cet épisode vous ait plu ! N’hésitez pas à parcourir les autres reportages disponibles sur le site ! A bientôt !

  3. heli Répondre

    je voulais vous signaler ce n est plus fantome car les apparts sont vendus et bientot il y auras des rideaux aux fenetres et il feras bon ce promener dans cette belle montagne bisous a tous

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