Vercors : du Pas de l’Oeille aux Deux Soeurs

Du nord au sud, le Vercors oriental est parcouru par bien des chemins de ronde. L’un d’entre eux, discontinu, spectaculaire et parfaitement invisible, évolue sur le fil d’une longue arête ponctuée de nombreux cols. Des sections complètes à jouer les funambules et les aventuriers pour découvrir la véritable nature de l’esprit Vercors. C’est sur l’une d’elles, entre ciel et terre et au pays des bouquetins, que je vous convie dans ce dernier épisode « montagne » de la saison estivale 2015 de Carnets de Rando. Cap sur le Pas de l’Oeille et les vertiges des Deux Soeurs !

Difficulté : difficile | Longueur : 9 km | Durée : 6h15 | Dénivelé : 1100m

– INSTANTANE –

Au débouché de la forêt, les hautes falaises du Vercors sont là, dressées avec une souveraineté muette. Une muraille grise qui met au défi le randonneur d’oser la franchir. De loin, l’obstacle paraît infranchissable. De plus près, des passages insensés se distinguent, presque camouflés dans l’austérité des parois. Les fameux « pas » du Vercors. Le Pas de l’Oeille est l’un d’entre eux, taillant un passage improbable entre deux monstres sacrés du massif : les Deux Soeurs et le Gerbier. C’est ainsi qu’on fait son entrée dans l’univers d’altitude du Vercors. En ces lieux, peu fréquentés par les randonneurs, il n’est pas rare de croiser des hardes complètes de bouquetins. Corps trapus et musculeux, regard de vieux sage, cornes colossales… Des mâles corpulents et massifs qui se laissent approcher sans broncher. Un instant de nature comme on en fait peu. A partir de ce point, le balisage officiel se volatilise. Pour la plupart des marcheurs, c’est le terminus de la randonnée. Pour Michael et moi, c’est le début d’une aventure sur des chemins invisibles et aériens. La nature même du terrain induit le choix de la liberté pour tous les amateurs de virées à grand spectacle. L’immense ligne de crête orientale qui démarre du Moucherotte, au nord, et qui se termine très loin au sud, au Pas de l’Aiguille, recèle de sections hors sentier et de vires vertigineuses où tutoyer le vide est habituel. Audacieuse et belle, la trace épouse les barres rocheuses et flirte avec le précipice. Explorer, comprendre, analyser : la prudence et la méthodologie sont de mises pour dénicher et suivre le chemin le plus recommandable. En tout trois pas engagent vraiment sur ce tracé.

De la vallée, le Vercors renvoie l’image fascinante et terrible d’une forteresse inexpugnable. Le Pas de l’Oeille, comme tous les pas du Vercors, a ce petit quelque chose caractéristique qui confère au randonneur le sentiment de fouler du pied des itinéraires hors-norme. Sous le pinceau de la Nature, nous devenons les personnages en mouvement d’une immense toile de maître

Là-haut, c’est un autre monde fait d’air, de liberté et d’aventure, dans l’alignement parfait des principales éminences du Vercors nord-est : Gerbier, Cornafion et Saint-Michel se distinguent dans notre dos, incarnations spectaculaires de la raideur qui imprègne le massif. La suite du cheminement s’effectue entre terre et ciel, en direction des Rochers des Deux Soeurs. Des cairns éparpillés aux quatre vents sont là pour rassurer le randonneur en manque d’inspiration. La vallée du Drac, béante et parsemée de nuages translucides, nous sépare des Alpes. Là-bas, vers l’est, c’est Belledonne, les Grandes Rousses, les Ecrins… Plus au sud le Dévoluy. Plus au nord, la Chartreuse et les Bauges, couronnées, dans le lointain, par la silhouette du Mont-Blanc.  Les nuages n’en finissent pas de danser une valse incessante avec les falaises. Manoeuvre de séduction sensuelle et langoureuse où chaque fissure, chaque pilier, chaque écaille est infiltrée, enveloppée ou caressée par des doigts vespéraux. Dans la lumière douce d’une fin de journée naissante, les éléments créent un tableau mouvant et fascinant dans lequel ont surgi maintenant les silhouettes du Grand Veymont et du Mont Aiguille. Nous passons dans l’ombre froide de la montagne, engloutis par la masse de la Grande Soeur Agathe. Cet itinéraire inattendu, oublié et non balisé, consacre le massif comme un trésor à ciel ouvert à explorer avec curiosité. Ici souffle en permanence de l’esprit Vercors.

carré vercors

– INFOS PRATIQUES –

Carte : IGN 1/25000 TOP25 3236OT Villard-de-Lans, Mont-Aiguille, PNR du Vercors actuellement 11,90 euros sur Un Monde-Montagnes
Accès : en voiture, de Grenoble – accessible par A49 depuis Valence, A48 depuis Lyon et A41 depuis Chambéry – suivre la direction Gap puis prendre la sortie 12 « Vif », la dernière sortie indiquée avant péage. Rejoindre Vif qu’on traverse jusqu’à un rond-point. Prendre la direction Gap, à droite, par la D63c. Au rond-point suivant, prendre la 2ème sortie, par la D8, direction Prélenfrey et Station de l’Arzelier. Au rond-point après le pont sur le Drac, continuer tout droit et s’élever plusieurs kilomètres jusqu’au village de Prélenfrey. Commencer à le traverser puis, dans un coude marqué à gauche, quitter la route et suivre une petite route à droite entre les maisons. Continuer de s’élever jusqu’à une patte d’oie et suivre la voie de gauche. Suivre cette petite route qui grimpe dans la forêt jusqu’à son terminus (barrière) et se stationner.
Topo : dépasser la barrière et suivre le large chemin forestier qui y fait suite. Dans une épingle à droite, le quitter pour un sentier poursuivant dans la forêt (poteau indicateur) et rejoindre ainsi la Baraque des Clos (1). Continuer derrière la cabane jusqu’à une autre intersection avec le sentier balcon. Continuer par le sentier s’élevant au-dessus, direction « Pas de l’Oeille ». On repart ainsi vers le nord dans les éboulis jusqu’à rejoindre le pied des falaises. Suivre les traces attentivement pour rester sur le chemin jusqu’au Pas (2). De là partir à gauche (ouest) en direction d’un petit col herbeux, via un vague sentier. A partir du col, suivre à gauche (sud) la ligne de crêtes, sans chercher à s’y soustraire par les pentes à droite. Monter franchement jusqu’à une dernière barre rocheuse inclinée défendant l’accès au sommet 2105. Elle se passe par la gauche (passage exposé) puis on rejoint le sommet (cairn, 3). Descendre de l’autre côté par un tracé en écharpe qui descend d’abord légèrement sud-ouest avant une désescalade facile qui ramène vers l’arête. La suivre facilement jusqu’à un nouveau petit mur à désescalader également. Quelques cairns se distinguent qui ont tendance à descendre ensuite trop bas dans la cuvette. Quand l’itinéraire s’extirpe de sortes de banquettes herbeuses/rocheuses à descendre, veiller à remettre le cap vers l’arête, en direction du sommet de la Petite Soeur Sophie (4). Quelques gradins sans difficulté demeurent à franchir sous le sommet avant une zone plus plane. Tout au bout, on bute sur le col des Deux Soeurs, qu’on rejoint en descente facilement (5). Au col, basculer dans la descente, à l’est, par un chemin sinueux et parfois abimé. Au pied des falaises, au niveau d’un poteau de bois vierge de toute indication (6), s’engager à gauche (nord) sur une sente longeant les falaises. Peu après l’entrée de la grotte des Deux Soeurs (7), surveiller un embranchement peu marqué mais cairné qui s’écarte pour descendre à droite : suivre ce tracé qui ramène ensuite à la Baraque des Clos puis retour par le même itinéraire qu’à l’aller. A noter que cet itinéraire a fait l’objet d’un reportage dans l’excellent hors-série de Montagnes Magazine de cet été signé Pascal Sombardier.

Vercors Itinéraire CdR106

Notes : cet itinéraire se déroule dans un environnement de montagne principalement hors-sentier. De ce fait, plusieurs compétences sont indispensables : rechercher un itinéraire sécurisé sur un terrain accidenté et parfois exposé, être à l’aise sur des franchissements faciles de barres rocheuses courtes (prises et appuis multiples sur du rocher à tester impérativement avant chaque geste) et ne pas être sujet au vertige. S’il est possible de se tenir à l’écart du vide omniprésent des falaises, 3 passages clés et courts nécessiteront d’être à l’aise aussi avec le gaz qui n’est jamais très loin ! Il va de soi qu’on évitera cette randonnée après la pluie, les jours d’orage et de brouillard. A ne pas pratiquer en hiver non plus.
Les hébergements : je suis venu en aller-retour de mon domicile drômois pour ce reportage. Pour les randonneurs qui souhaitent dormir sur place avant, pendant ou après, voici différentes pistes : la Baraque des Clos pour commencer, pour les amateurs d’ambiances montagne ! Ouverte et en accès libre, elle peut accueillir jusqu’à 4 personnes pour la nuit. Inconvénient, il faudra emmener vos vivres et le couchage dans le sac à dos. A moins d’en laisser une partie dans la cabane pendant votre escapade… Je vous laisse estimer si cela craint ou non ! Pour ceux qui veulent voyager léger ou ne pas avoir à s’inquiéter pour leurs affaires toute la journée, la mairie du Gua a dressé une liste des hébergements disponibles dans le secteur immédiat de cette randonnée. A consulter.
Bibliographie : L’Isère… à pied : l’indispensable topo-guide pour aller plus loin dans la découverte des sommets de ce département. Accompagnés de leurs cartes et d’informations, voici 38 itinéraires de randonnées en Isère, notamment plusieurs dans le Trièves tout proche. Prix indicatif : 14,5 € | Le Guide Rando Vercors : un beau topo signé par Alain Doucé, un spécialiste du massif et un fin connaisseur de la montagne, qui propose 52 beaux itinéraires du Bec de l’Orient, au nord, au cirque d’Archiane, au sud, en passant par le Cornafion et les gorges d’Omblèze….! Prix indicatif : 17,90 €

EN BREF

Un sans faute complètement enthousiasmant pour goûter à ces charmes du Vercors qui ne sont pas accessibles à tous. Recherche d’itinéraire, courtes sections exposées nécessitant un pied sûr et un minimum de sens de l’engagement : cette belle randonnée s’adresse à des personnes familières des milieux montagne hors-sentiers. Du moins sur la partie entre Pas de l’Oeille et Col des Deux Soeurs. Pour les autres, le (long) détour par le rocher des Jaux et Cote 2000 s’impose pour relier les deux cols !

 

by-nc-ndCe reportage Carnets de Rando, sous licence Creative Commons, est la propriété exclusive de Carnets de Rando. Son usage à des fins non commerciales est autorisé à condition de mentionner son appartenance au site www.carnetsderando.net. Pour toute autre utilisation, merci de me contacter.

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11 Comments

  1. Annie Répondre

    SANS MOTS
    ………………. Hypnose entre bouquetins merveilleux et « chamois » téméraires……………. un feu d’artifice hors normes…………. j’en suis collée sur ma chaise………… merci merci !!!!!!!!!!!!!!!!!! j’ai « dreamé » sous le risqué …………… <3 <3

  2. FLORENTIN Répondre

    Bonjour
    Je suis enthousiaste de voir tant de belles choses j’aimerai faire des randonnées sur ce beau massif .maintenant je vais avoir du temps il faut que je trouve une personne ou un groupe qui pourrai me servir de guide pour pour débuter et apprendre a réaliser mes sorties à bientôt Jyves

    1. carnetsderando Auteur de l'article Répondre

      Bonjour ! Découvrir la randonnée – et plus particulièrement la randonnée en montagne – doit se faire par étape. Pour commencer, le mieux c’est de rejoindre des groupes. Soit des clubs de randonnées, soit des groupes constitués et formés sur le web, par le biais de sites de mise en relation de randonneurs comme Rando-Trekking par exemple. On peut aussi – moyennant finance – participer à des séjours organisés. L’UCPA propose des stages au rapport qualité-prix excellent. Ensuite viendra le temps de l’autonomie. S’aider et s’inspirer d’itinéraires balisés et décrits dans des topo-guides est recommandé dans un premier temps. Puis ce sera l’étape du hors-sentier, comme dans ce reportage ! Le tout c’est de ne pas mettre la charrue avant les boeufs pour garantir autant sa sécurité que de belles découvertes !

    1. carnetsderando Auteur de l'article Répondre

      Yep, merci Vincent ! Le Vercors est chaque fois une grande source d’inspiration. En plus quand tu fais le reportage avec un pote et dans des conditions pareilles, ça ne peut que donner des images sympas !

  3. Pierre Heurtebise Répondre

    Bonjour David,

    Tes vidéos me font rêver, je ne vais pas m’en cacher !
    J’aimerais prévoir un séjour trekking avec mon frère, je comptais aller en Ardèche et dans le Vercors ! Que me conseilles-tu ?
    Merci !

    Et surtout continue à nous faire partager tes expériences, elles sont sources de motivation !

    1. carnetsderando Auteur de l'article Répondre

      Bonjour Pierre,

      Désolé pour le retard de réponse, j’étais en tournage en Corse sur le GR20 et donc, forcément, sans aucune possibilité de connexion. Alors, euh, excellent choix l’Ardèche et le Vercors ! Côté trek, il n’y a rien de véritablement tracé, excepté des GR. Je crois qu’en Ardèche il existe un GR de Pays qui fait le Tour de la Montagne Ardéchoise. Ca peut être très sympa et pas trop chaud car il fait super chaud en Ardèche l’été. Tu as aussi en Ardèche Nord le tour du Pays de Saint-Félicien : j’avais consacré un double-épisode de Carnets de Rando à ce mini-trek. Regarde dans les anciens épisodes. Dans le Vercors, il y a évidemment la GTV, Grande Traversée du Vercors, mais ce n’est pas forcément le plus intéressant. Je t’invite plutôt à dessiner un itinéraire de cabane en cabane dans le secteur sud : les Hauts-Plateaux, le Glandasse et le secteur du col du Rousset. Il y a moyen de faire des boucles de 3/4 jours dans ce secteur très sauvage et très beau.

  4. Vincent Répondre

    Bonjour David,je te suis depuis quelques temps maintenant et j’apprécie beaucoup tes reportages.Nous avions eu quelques échanges en 2016 à propos d’une randonnée que tu avais intitulée « au fil du verdon », que j’ai effectuée après l’avoir un peu adaptée.Magnifique randonnée sur 2 semaines que je recommande fortement.Je reviens vers toi après avoir visionné ton reportage sur le vercors(du pas de l’oeille aux deux soeurs).Après le tours des écrins l’an dernier en 12 jours, je projette cette année de parcourir le vercors.Que me conseillerai tu dans le choix d’un itinéraire en boucle sur environ 12-13 jours,sans forcément suivre tout le temps les GR du secteur,car j’aime bien sortir aussi des sentiers battus.Je precise que j’arrive et je repars en train.Merci David pour tes suggestions.

    1. carnetsderando Auteur de l'article Répondre

      Salut Vincent,

      Content de savoir que tu as pu réaliser, à ta manière, le tracé au fil du Verdon. C’est clair que c’est un itinéraire qui est gratifiant et qui sort un peu des sentiers battus. Il y a moyen de faire quelque chose de très sympa aussi côté Vercors. Il y a quelques années de ça, j’avais dessiné un itinéraire qui réalisait un tour complet du Vercors en passant uniquement par ce qu’on appelle les « pas », ces passages caractéristiques du Vercors, assez escarpés pour la plupart. Pour les relier les uns aux autres, j’avais également essayé de trouver quelques belles lignes aventureuses, dans l’esprit de celle que tu as pu voir dans le reportage cité dans ton message. J’avais estimé que ce tour complet nécessitait entre 15 et 20 jours. Mais tout cela était également largement adaptable. Il faudrait que je puisse te retrouver ça. Là j’ai quelques trucs à boucler pour le taf assez urgents. J’ai donc pas trop trop de temps pour me replonger sur ce tracé. Mais dès que je peux, je t’en envoie par mail, même si c’est par petits bouts, ok, ça te va ?

      1. vincent Répondre

        Bonjour David,et merci de me répondre;Je garde un très bon souvenir de cette itinérance le long du verdon et même sur le verdon puisque j’avais intégré dans le parcours une descente en canoé depuis castellane jusqu’à l’entrée des gorges.J’étais parti d’allos pour fini à gréoux les bains pour un total d’environ 240 kms.Et cette découverte,ou redécouverte du verdon,c’est à toi que je la dois!!
        Je projette mon immersion dans le Vercors pour fin juin,début juillet,donc j’ai encore du temps devant moi pour peaufiner tout ça et je suis ravi que tu me fasses profiter du tracé de ton itinéraire.
        A bientôt David

  5. Marc Toupet Répondre

    « sans broncher » à propos des bouquetins….
    hélas ,mille fois hélas,il est devenu courant dans ce PNR d’assister à des intrusions de crét….
    dont le seul but est de lâcher (sans laisse!!) leurs bergers allemands,belges et autres armes de guerre
    sur le troupeau de bouquetins.Cela flate leur ego de demeurés .Les bouquetins appelés chamois par ces « tartarins »
    ne possèdent pas de glandes sudoripares et doivent,au vu des températures anormalement élevées,trouver fraîcheur relative et ne pas courir inutilement…
    Chaque planeur ,avion,chien divaguant et fonçant sur les ruminants les pénalise directement et durablement.Les réserves de graisse fondant et mettant en péril une survie hivernale.Donc d’accord mais il faut respecter impérativement une distance (sphère d’intimité) avec ces bouquetins et surtout avec les étagnes suitées.Un sifflement bref vous indique que vous les dérangez.Les vrais « amoureux de la Montagne’ le savent intuitivement et merci à Carnets de Rando.

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