Le Tavignano, cette autre Restonica qui vit dans l’ombre de sa voisine. A l’ouest de la cité de Corte, la vallée s’ouvre exclusivement au marcheur. Prière de laisser votre véhicule en ville. Ici, pas d’aménagement. Rien pour faciliter la tâche. Le Tavignano se mérite. Et, finalement, c’est tout aussi bien. Préservé du flux touristique par sa nature intacte, le Tavignano offre plus que de simples gorges à qui prend la peine de s’y intéresser. C’est un corridor sur la montagne corse, l’une des étapes d’un autre itinéraire transversal majeur à travers l’Île de Beauté et aussi un moyen d’accès au mythique GR®20. Farniente, randonnée à la journée ou marche de plus grande envergure : quel que soit votre programme, le Tavignano pourrait bien le combler, la tranquillité en plus. On en parle ?
Difficulté : moyen | Longueur : 19 km | Durée : 2j | Dénivelé : 920m | Carte : IGN TOP25 1/25000è 4250OT Corte, Monte Cinto
Corte : la base de tout
De la Corse, on connaît tous les noms d’Ajaccio et de Bonifacio, carrefours touristiques majeurs, catégorie incontournable, dont les noms paraissent étrangement familier à nos oreilles, quand bien même on n’y a jamais mis un pied. On a forcément un copain ou un cousin qui nous a raconté ses vacances là-bas, un contact sur Facebook qui y a publié ses photos ou un regard qui s’est perdu sur les images d’un magazine ou, pire, d’un reportage de TF1… On sacrifierait presque à résumer la Corse à ces deux-là. Proportionnellement, qui connaît Corte ? Qui sait le situer ? C’est pourtant l’un des coeurs battants de l’île, l’un de ses endroits où l’identité corse pulse à haut débit à travers le pays. Un peu trop fort même, parfois.
A Corte, tendez l’oreille. Dans les rues de la cité souffle l’âme de la Corse. Ici être corse prend un sens aussi élevé que les montagnes qui entourent la ville. Et le sujet ne souffre pas de la plaisanterie, soyez-en sûr.
Corte est un fief où la fierté corse se clame haut et fort au son des paghjelle et des revendications nationalistes. Loin de la mer, enclavée au coeur des montagnes et enjambant le Tavignano, Corte a de l’allure. Si le tourisme n’y prend pas les mêmes proportions qu’à Bonifacio, il reste néanmoins actif – surtout en période estivale – Corte étant la porte d’entrée vers l’une des vallées les plus fréquentées du secteur : la Restonica. Tellement fréquentée que beaucoup en négligent les alentours. Dommage pour eux et tant mieux pour les autres, les curieux qui ne réduisent pas la Corse à ses spots mis en vitrine.
A l’ouest de la cité s’ouvre ainsi la vallée du Tavignano, ce torrent qui traverse la ville puis l’est de la Corse pour aller rejoindre la Méditerranée au-delà d’Aleria. Les marcheurs au long cours la connaissent. Du moins ceux pour qui la découverte de l’Île de Beauté ne se borne pas au seul GR®20 : Corte et le Tavignano sont en effet sur l’itinéraire du Mare a Mare nord, un parcours qui relie l’Est de la Corse, depuis San-Nicolao, à l’Ouest, jusqu’à Cargèse, en dix jours de randonnée. Une combinaison de sentiers permet de remonter jusqu’à sa source, le lac de Nino, à 1700 mètres d’altitude, là-haut, dans la montagne corse. Et c’est précisément notre objectif. Je dois en effet rejoindre Vincent, un ami d’Aix, sur son GR®20, au lac de Nino dès demain.
Nous sommes en juillet, l’été foudroie la Corse. La cité de Corte est brûlante, au propre comme au figuré. On remise la visite de la citadelle, perchée sur son éperon rocheux, à une autre fois. A regret.
Le patrimoine de Corte est sublime et mérite davantage qu’un détour : une vraie curiosité et une immersion prolongée. Mais sans un sac à dos lourdement chargé, c’est nettement mieux ! Un poids encombrant qui se fait sentir sitôt l’ascension des rues et des escaliers de Corte entamée. La cité est effectivement en pente, ramassée sur elle-même pour mieux se protéger. Les balises du Mare a Mare s’en échappent en contournant le rocher de la citadelle par le nord. Au-delà des dernières maisons, la vallée du Tavignano s’ouvre, roussie et brûlante, entre les sommets lointains de la Punta Finosa, au nord, et de la Punta a u Finellu, au sud. Peu d’ombre à espérer sur ce chemin tracé dans un maquis chauffé à blanc. La chaleur rend l’horizon de montagnes trouble et fuyant.
De Corte à la Passerelle des Gorges : 2h – 300m D+
J’ai le souvenir d’un début de randonnée cassant. Physiquement, je suis très vite à bout de souffle. Le poids du sac, ajouté à la chaleur, me scotche au sentier. L’esprit est embrumé, la concentration vaseuse, la fatigue rapidement palpable. La moindre parcelle d’ombre est accueillie avec une joie exagérée. Il va me falloir un petit moment – et quelques barres énergétiques en bonus – pour relever la tête, m’éclaircir les idées et poser le regard qui s’impose sur cette vallée. Les Gorges sont bientôt là. Les versants rocheux se sont accentués et rapprochés. Le torrent gronde plusieurs mètres en-dessous, dans un thalweg étroit et sans ombre. Le sentier, lui, se taille un magnifique passage au pied de ces grandes falaises brun-rouge taillées à coups de serpe qui ne font ressembler la Corse à aucun autre massif continental connu.
En creusant un peu, la comparaison visuelle de la Corse avec quelques secteurs escarpés du Var ou des Alpes-Maritimes pourrait être soutenue mais l‘expérience de l’hostilité délicieuse de la montagne corse reste décidément unique.
Le Tavigano renvoie une image fougueuse et abrupte au visiteur. L’endroit a de sérieux atouts à faire valoir à qui aime la randonnée en moyenne montagne. Alors pourquoi la Restonica, sa voisine immédiate, lui vole-t-elle son public ? D’aucun diront qu’elle est plus jolie, avec ses minarets rocheux caractéristiques. A mes yeux, une demie réponse qui n’a de valeur que subjective. La véritable raison tient à son accès, uniquement pédestre. Là où la Restonica déroule un ruban de bitume aux véhicules jusqu’à la Bergerie de Grotelle, le Tavigano ne se dévoile qu’aux seuls adeptes de la marche. Autant dire que cette seule donnée a pour effet de filtrer massivement le nombre de prétendants. Les Gorges ne livrent leurs secrets qu’aux plus méritants.
La récompense survient après 300 mètres de dénivelé et quelques 2h de marche : les premiers cris et bruits d’éclaboussements émergent, noyés dans ceux du torrent, à l’approche de la passerelle et de la sortie des gorges. Au milieu d’une végétation presque luxuriante comparée à l’aspect désertique du départ se dévoilent maintenant de belles vasques parsemées de rochers. Une invitation à la baignade, après ces premières heures d’effort, dans une eau fraîche et aux reflets émeraude. Pour nous une simple pause. Simple peut-être mais salvatrice, qui rééquilibre les thermostats corporels, dangereusement aiguillonnés vers le rouge au cours des deux dernières heures. Je reprends mes esprits. Ce sentier – au demeurant somptueux – écrasé par la fournaise m’a salement amoché. Dans cette petite oasis de fraîcheur, je prends le temps nécessaire à ma récupération.
=> Jonction avec le PR bouclant vers Corte via la Bocca a Canaghia et l’arche de Corte
De la Passerelle au refuge de la Sega : 1h30 – 400m D+
Après la passerelle, le Mare a Mare passe en rive droite du Tavignano. Il fait également son entrée dans la Réserve Biologique du Tavignano, une aire de plus de 1000 hectares, répartie sur les pentes nord descendant sous le plateau d’Alzo et qui témoigne de la présence d’espèces ou d’habitats naturels présentant une forte valeur patrimoniale. L’ambiance montagne s’y déploie plus fortement que précédemment. Tracé au milieu de grands pins, le chemin est dominé par la verticalité des falaises proches. C’est le baroud d’honneur des gorges qu’on va peu à peu laisser derrière nous. La musique du torrent se fait plus douce et discrète tandis que le thalweg s’ouvre pour respirer à nouveau.
Ici la forêt se densifie, piégeant les bruits lointains. Les pins prennent de l’envergure et ont désormais des allures de géants. La chaleur s’est dissoute dans les remous de la rivière laissant derrière elle une atmosphère moite.
Notre allure a retrouvé de la souplesse et de la fluidité. Le poids du sac est un vague souvenir. Au milieu des grands résineux le dénivelé est quasi nul et c’est en toute légèreté que nous rejoignons le refuge de la Sega, notre étape de ce soir. Un petit havre de tranquillité, jouxté de canyons et de cascades accueillants où piquer une tête après la randonnée. Lors de notre passage, le refuge était encore en gérance par un privé. On y avait passé un moment agréable avec la promesse formulée d’y revenir. Depuis, sa gestion a été reprise par le Parc Naturel Régional de Corse avec des retours d’expérience très variables et mitigés. Il n’en demeure pas moins l’étape obligatoire sur le chemin qui, de Corte, conduit au lac de Nino.
=> Le Mare a Mare Nord poursuit sa route vers Calacuccia
=> Jonction avec le PR reliant le Tavignano à la Restonica via le Plateau d’Alzo
Jour 2 – du refuge de la Sega au lac de Nino : 6h – 620m D+
Nous reprenons notre route à la fraîche à travers la forêt, de plus en plus clairsemée. Le sentier déroule à plat, en longeant le Tavignano à main gauche. Puis, soudain, l’obstacle des montagnes qui viennent, de part et d’autre, étrécir le passage du torrent. Pour le marcheur, c’est le signe que l’ascension reprend, toutefois plus modérément qu’hier. Il faut se hisser sur les pentes inférieures de l’arête Est du Capu di u Facciatu, dont le sommet est invisible d’ici. Un nouveau paysage, plus ouvert, moins agressif se dévoile. Un univers où émergent des bosquets de pins laricios parmi des escaliers de dalles de granit. En s’élevant au-dessus de la forêt et en quittant la Réserve Biologique, nous faisons notre entrée dans la montagne corse. Les premiers véritables sommets s’aperçoivent, précieux indicateurs que la jonction avec le GR®20 n’est plus très loin.
L’envie de flâner prend néanmoins le pas sur celle de se hâter de le rejoindre. L’appel du Tavignano, qui s’écoule paisiblement dans ce thalweg aéré, est fort. Au passage du Saut du Balanin, on n’y résiste même pas : on quitte le sentier pour aller profiter de ce petit lieu encaissé, version modèle réduit des gorges de la veille, qui offre autant d’intimité que de charme pour décider d’une pause. Taillé entre deux murs de roche, l’étroit cours d’eau dévoile ici de petites piscines d’une eau bleue et sombre qui en trahit la fraîcheur. Une petite passerelle permet de passer d’une rive à l’autre. On peut aussi opter pour la version plus aventureuse au fil de l’eau. Le Saut de Balanin est un passage obligé sur le parcours et le dernier spot visuel où s’exprime l’identité du Tavignano dont les sources sont toutes proches.
La marche reprend. La marche reprend toujours. Patiente, agréable. A bientôt 1500 mètres d’altitude, la température est bien plus raisonnable qu’à Corte. La Corse n’en demeure pas moins un territoire où la chaleur arbitre le sort du randonneur. Les arbres ne sont pas allés plus loin. A l’approche de la bergerie de Vaccaghia, seuls des touffes de ce qui ressemble à des genévriers s’épanouissent maintenant parmi les rochers. L’ombre redevient une denrée rare dans ces espaces d’altitude. Un passage faussement à gué – en définitive une simple traversée de dalles baignées par le Tavignano – avec le Capu a Chiostru en toile de fond signale les derniers mètres avant le GR®20. Une proximité qui se traduit aussi par la vision régulière de marcheurs en file indienne sur un sentier encore invisible. Nous qui n’avions croisé personne depuis le refuge de la Sega : pas de doute, le GR®20 n’est pas loin ! Pour ces randonneurs, c’est la fin de la très longue 6ème étape, démarrée au refuge de Ciottulu di i Mori et qui s’achève au refuge de Manganu, qu’on aperçoit au loin, à 45mn de la bergerie de Vaccaghia que nous avons, à notre tour, rejoint.
=> Jonction avec le GR®20
Le Tavignano arrondit à gauche, dans le sens inverse du GR®. Je continue de le suivre, en direction du lac de Nino, où j’ai rendez-vous avec Vincent. J’ai l’impression de rouler à contresens sur l’autoroute. Je croise des dizaines de marcheurs, de tous âges. Certains en version légère, d’autres en version suréquipée. Les uns souriant, les autres grimaçant. Les stigmates de la traversée de la montagne corse des quatre premières étapes se ressentent Au-delà d’un dernier ressaut, le chemin déroule dans le bel environnement du lac de Nino. Le lieu est apaisant et atypique sur l’itinéraire de la traversée. Après la souffrance du caillou depuis Calenzana, l’arrivée à Nino a des allures de jardin d’Eden. Les candidats au GR®20 qui arrivent ici ont derrière eux les plus dures épreuves du parcours. Sauf accident ou défaillance inattendue, ils ont désormais la garantie d’avoir les épaules pour aller jusqu’au bout.
Le lac de Nino, ce sont les retrouvailles avec l’espace, la douceur de l’herbe et le calme miroitant de l’eau. Un salut. Une frontière et un cap de franchis pour les aventuriers du GR®20.
Un état de fait que confirme Vincent, que je retrouve un peu plus tard lors de son passage à la Bocca a Stazzona et qui, comme les autres, arrive en droite ligne de Calenzana. « C’était chaud, c’était dur, c’était sport« , me confie-t-il. « Mais bon sang ce que c’est beau aussi !« . J’ai remarqué que, dans la vie, on était très attaché aux choses qui nous font mal. On a même une tendance, somme toute assez masochiste, à y revenir et à les porter aux nues. De la pure passion qui nait dans la souffrance. Une méthode amoureuse complexe et qui s’applique très justement à la Corse. C’est dans l’épreuve et la confrontation que la nature véritable de l’île se révèle au visiteur. « Tu es prêt ?« , me demande Vincent. Et comment que je suis prêt ! Je me remets dans le sens de la marche aux côtés de mon ami. Direction Manganu pour ce soir et, dès demain, s’engager sur la suite du GR®20. Mais ceci méritera une autre histoire sur le blog !
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