Lac des Chambres & Pas à L’Ours : De La Montagne à l’État Brut

De lac en lac, voici une boucle à l’austérité magnifique dans des espaces en retrait des secteurs les plus fréquentés du Haut-Giffre. Le randonneur y fait une incursion rendue forcément provisoire par la rudesse de l’environnement. Le massif y joue pour lui un spectacle à guichet fermé, une représentation unique où admirer la beauté brute et primitive de la montagne. Depuis le confort du refuge de Folly, l’itinéraire favorise les combes rocailleuses, les lacs glacés et les paysages d’origines du monde. On s’y sent tout petit et une certaine dose d’engagement est exigée en retour. Une posture mentale d’autant plus marquée quand la météo transforme les sommets en fantômes, comme c’était le cas ce jour-là. Un désavantage pensez-vous ? Plutôt l’occasion d’une perspective différente pour conférer une dimension inédite au spectacle. Ne tournez pas les talons, vous pourriez en rater le clou ! Cap sur le Lac des Chambres !

Difficulté : difficile | Durée : 9h ou 2 jours | Distance : 21km | Dénivelé : 1660m | Chien(s) possible(s) : compliqué | Carte : IGN TOP 25 1/25000è 3530ET Samoëns, Haut-Giffre

PROLOGUE : DU CRÊT AU FOLLY

3,8 km, 1h50, +560m

Le véritable point de départ de ce récit c’est le parking du Crêt où l’équipe s’est stationnée après être redescendue des Allamands, plus haut, la veille. Nous venions de faire une autre randonnée dans le secteur – celle de la Tête de Bostan, en boucle depuis le refuge du même nom – et c’était l’emplacement le plus adapté pour monter sur Folly rapidement en fin de journée tout en réduisant l’ardoise du dénivelé.

C’est un prologue parfaitement agréable qui, après avoir coupé à travers la clairière de la ferme du Crêt, longe ensuite les dalles rocheuses du secteur d’escalade du Tuet avant de s’enfoncer sous les frondaisons ombragées des Grands Bois et de rejoindre le torrent des Landes au niveau d’une passerelle.

Montée au refuge de Folly constitue déjà en soi un intéressant échauffement de près de 600m de dénivelé avant de passer aux choses sérieuses dès le lendemain.

Le restant de l’ascension s’effectue alors essentiellement à l’ombre par un chemin au balisage impeccable avant de revoir la lumière du jour proche des pentes à aulnes et à rhododendrons qui tapissent les pentes sous-jacentes du refuge.

Ce dernier se dévoile presque au dernier moment, arrimé aux versants raides prolongeant les à-pics vertigineux de l’Aouille de Criou. On ne peut imaginer spot plus exceptionnel en amont de l’incursion en territoire sauvage qu’on se prépare à faire le lendemain.

DU REFUGE DE FOLLY À LA COMBE AUX PUAIRES

3,2 km, 1h40, +655m

Le Haut-Giffre fait du boudin ce matin. C’est la grise mine des jours maussades où la montagne joue les moroses barricadée par des nuages oppressants. Pas vraiment la folie au départ du refuge de Folly d’où notre trio du moment s’élance en nourrissant l’espoir secret d’éviter la pluie. Il faut dire que la boucle du jour est copieuse et s’accorderait davantage au plein soleil pour les images.

Je n’ai rien contre le fait de jouer aux escargots mais, en revanche, filmer sous la douche froide d’une averse n’a rien du scénario idéal quand on est en tournage.

Pour l’instant les gouttes semblent être retenues dans les valises sombres des nuages suspendus au-dessus de la Pointe du Tuet, terminus de la barrière rocheuse des Dents d’Oddaz, parallèle parfaite au sentier que nous suivons en direction de la Combe aux Puaires.

Peu après le départ du refuge avec la Pointe du Tuet dans le rétroviseur

Je suis accompagné ce jour-là de Mike, indéfectible figurant dès lors qu’est agité sous son nez d’infatigable marcheur la promesse d’une belle virée en montagne, et de Thierry, télépilote de son état et ami sudiste que j’ai invité à faire les images aériennes sur les deux derniers itinéraires à parcourir dans le Haut-Giffre.

Les deux affichent des habits gris de circonstance comme si conjurer le sort par la couleur était parfaitement impossible. Derrière nous, la vallée s’est évanouie dans une épaisse masse de brouillard floue.

On s’élève sur le GR® de Pays réalisant le Tour des Dents Blanches, par un sentier tracé dans des pelouses bosselées où de grandes gentianes apparaissent sporadiquement au garde-à-vous.

Plus haut, les sommets fermant le vallon sont déjà aux prises avec un ciel bas de plafond qui les avale littéralement. Partout autour de nous l’éclat des falaises s’est terni. Une forme de résignation s’est abattue sur la montagne qui semble au bord de la dépression.

À moins que ce soit moi qui fasse juste un inutile transfert vers des sommets en réalité parfaitement insensibles aux caprices de la météo ? Anthropomorphisme quand tu nous tiens…

Brebis dans la brume… Parmi les rares âmes croisées ce jour en montagne

Un pas mesuré mais volontaire nous fait prendre de l’altitude en cessant de prêter trop d’attention au risque de dégradation subit du temps. Aux abords des 1800m, des éclats de blocs calcaires de taille variable commencent à s’éparpiller autour du chemin.

Mike a sorti la polaire rouge, agitant désormais une silhouette bien identifiable sous le nez de la perturbation comme le torero la muleta sous le mufle du taureau.

La trace n’a cesse de franchir les paliers étagés de cette longue combe qui, à l’instar du Désert de Platé plus au sud du massif, nous ouvre les portes d’un univers de minéral fantasque dans sa partie supérieure.

Absents il y a encore quelques dizaines de minutes plus tôt, des filaments nuageux ont, eux, pris position dans la partie inférieure du vallon. Je jette un regard inquiet au-dessus de moi en m’interrogeant sur la possibilité éventuelle d’être pris en sandwich entre deux couches.

Partout la brume s’épaissit en remplissant le creux pierreux des vallons selon un mouvement lent et inarrêtable. Spectacle aussi fascinant que spectral.

DE LA COMBE AUX PUAIRES AU LAC DE LA VOGEALLE

2,7 km, 1h, +65m, -280m

Visiblement peu préoccupées par la bascule de la météo, des brebis à la toison épaisse observent le manège des nuages en broutant des poignées d’herbe drue. Des panaches de brume s’épanchent au-dessus du sol en s’enroulant dans l’atmosphère.

L’ouverture au-delà de la Combe aux Puaires pourrait être confondue à ce moment-là avec celle, béante et fumante, d’un cratère de volcan. De part et d’autre du sentier, quelques névés tenaces s’imbibent de la pluie fine qui commence maintenant à tomber.

Émergeant d’une trouée nuageuse derrière la pente assombrie de la Pointe Rousse des Chambres, les falaises supportant le Mont Ruan et son glacier font une apparition

À ce stade, nous ne sommes guère éloignés du Cirque du Fer-à-Cheval. Je vois Mike plonger avec le sentier dans l’abîme blanc d’un épais nuage soustrayant le lac de la Vogealle à notre regard.

Un sentier torturé s’y engage, tournant le dos à la Combe aux Puaires pour rejoindre bien plus bas la base des Dents Blanches. Un nouveau chapitre de cette journée humide s’ouvre alors.

Sous les nuages, le lac de la Vogealle apparaît finalement

Le Lac de la Vogealle, j’y étais déjà passé pour Carnets de Rando dans des conditions autrement plus estivales – lire sur le blog : Lac de la Vogealle & Fer-à-Cheval : quel Cirque ! J’y suis de retour avec le sentiment d’une expérience plus proche cette fois du West Highland Way écossais que de la Haute-Savoie !

Sinuant noir sur noir sur les flancs d’un cône d’éboulis de milliers de fragments de lauze, le sentier passe sous les nuages pour nous mener sur les rives d’un plan d’eau aux reflets laiteux. Ceinturé de brouillard, le petit lac miroite froidement dans l’écrin sombre des roches qui en dessinent les contours.

Malgré la frustration inhérente au temps et l’absence de soleil, le lac de la Vogealle nous renvoie l’indéniable profondeur d’un cadre grandiose que des nuages retors et une luminosité en berne ne suffisent pas à éteindre.

La sente déverse sa trace dans la surface détritique de roches pulvérisées, nous laissant improviser une trajectoire en direction de sa rive la plus septentrionale. Au-delà du déversoir, un mur de brume dense nous prive de la spectaculaire vision des murailles et des pinacles du Fer-à-Cheval.

La frêle silhouette de Mike observant l’onde mouvante de la surface du lac, face à des fragments de falaises dont l’apparition intermittente renforce davantage encore l’aspect colossal, en est une brillante démonstration.

Le randonneur solitaire et dérisoire face au lac de la Vogealle et au Pic de Tenneverge

Le tour du lac s’effectue par sa rive droite, à la base des éboulis dévalant du versant occidental du Mont Sageroux, quelques six cent mètres plus haut, invisible dans un étau nuageux. C’est à peine mieux du côté des Dents Blanches, cette barrière massive et verticale qui sépare ici la Haute-Savoie de la Suisse.

C’est face à elles qu’on se tourne néanmoins pour une pause invariablement froide et humide. L’absence de vent a transformé le lac de la Vogealle en un miroir immobile dans lequel se pâme la mélancolie du temps et les silhouettes fantomatiques des Dents Blanches, de part et d’autre du col du Trou.

L’atmosphère du moment empreinte au funeste séduisant du romantisme de ces écrivain(e)s mal dans leur peau du 19ème siècle. La montagne reste pourtant séduisante même sous l’apparat d’une journée de deuil.

Au moment du départ, une ceinture de nuages s’affaisse, libérant la ligne intégrale des Dents Blanches et levant partiellement le voile sur les ravins insondables sur lesquels s’appuient le tétanisant Pic de Tenneverge, côté Fer-à-Cheval.

Ici s’épanouit ce qui est définitivement pour moi le paysage le plus dolomitique des Alpes du Nord. Une claque visuelle doublée d’une mise en valeur instantanée de l’insignifiance de l’humain face à la beauté hostile de la montagne.

DU LAC DE LA VOGEALLE AU COL DES CHAMBRES

2,4 km, 1h05, +380m, -280m

Si le sentier prend la direction du Cirque, il n’est cependant pas dans notre intention d’y basculer. La suite de la boucle va, en effet, s’intéresser à un passage qui a accaparé toute ma curiosité lors de la préparation de ce reportage : le Pas à l’Ours.

Si la présence de petits points discontinus sur les cartes IGN a toujours porté en elle la promesse de sections excitantes sur le terrain, celle de panneaux d’avertissement rouge écarlate confirmant la délicate nature de ces sentiers réservés aux randonneurs expérimentés (sic) achève de porter mon impatience de m’y engager à ébullition.

Quelques cairns assignent au randonneur la direction à suivre vers un décor qui est loin de briller par son hospitalité.

S’élevant d’abord par une trace zigzagante et soutenue, ouverte dans une moquette d’herbe rase tapissant timidement des coulées d’éboulis, le sentier s’immisce ensuite dans une ravine sombre et étouffante toute de marnes noires et d’ardoises vêtue.

On s’y engage avec assurance en dérapant parfois sur une pile de lauzes rendue instable par la pente féroce. La clarté du calcaire affleurant près du refuge de la Vogealle s’efface rapidement au profit de roches charbonneuses et boursouflées enflant autour d’une trace de plus en plus précaire qui vient finalement échouer dans le repli noirâtre d’une entaille rocheuse.

Sol noir comme le charbon et pente féroce : l’accès au Pas à l’Ours est déjà en soi une aventure !

Il faut enjamber la ravine pour poser le pied sur ce qui ressemble plus ou moins à une vire de l’autre côté. Un chemin de cendres mal dessiné obligeant à une traversée prudente pour finalement prendre pied sur la rampe qui le prolonge en desservant la sortie du passage. Le lieu est hostile mais fait pourtant pétiller nos regards.

L’aspect parfois brut de la montagne a quelque chose de fascinant qui sublime l’effort. C’est le cas de ce Pas à l’Ours qui réexpédie à nouveau les trois misérables randonneurs que nous sommes vers le palais de nuages des dieux invisibles des sommets.

Découvrir un passage embusqué là où quelques minutes plus tôt nos yeux ne concluaient qu’à l’impasse me procure à chaque fois un incommensurable plaisir.

Arrondissant à travers le raide micro-cirque de la Vogealette, le chemin s’en va désormais rejoindre le col des Chambres en franchissant des coulées de pierres encombrant le fond de ravins rendus sinistres par le brouillard.

Dans l’œil de ma caméra, Thierry en plein effort a des airs de Frodon gravissant les coulées lugubres de la Montagne du Destin. Le brouillard nous cueille à la sortie d’une cheminée peu hospitalière et transforme le paysage en décor de film d’épouvante. Je me sens davantage dans The Fog de John Carpenter que dans la Mélodie du Bonheur !

Les pentes, rendues sinistres par le brouillard, qui desservent le col des Chambres

La simple randonnée se transforme en aventure, nous propulsant dans la dimension fictive d’explorateurs nourris à la solitude et à l’adrénaline. C’est dans cet état d’esprit euphorique et altéré qu’on surgit en pleine purée de pois au col des Chambres.

C’est un renflement arrondi de calcaire presque aussi gris que le brouillard qui l’emprisonne. Impossible de distinguer les sommets de la Pointe Rousse des Chambres ou de la Pointe de Bellegarde qui l’encadrent de chaque côté.

Qu’à cela ne tienne : ces ambiances extrêmes en terrain d’aventure valent de l’or et dynamitent considérablement l’expérience du marcheur.

L’espoir d’une éclaircie, brièvement ressenti au lac de la Vogealle, semble ici totalement balayé. L’opacité renforcée tend même plutôt à penser au scénario inverse : celui de la dégradation. Un cairn massif matérialise le col à l’instar d’un phare sombre à usage des randonneurs perdus dans un océan de brume.

On s’y appuie pour échapper à l’air froid qui remonte la pente et profiter d’une courte pause après cette ascension aussi réjouissante que brutale. Le Lac des Chambres n’est plus qu’à 45 minutes de marche maintenant.

DU COL DES CHAMBRES AU LAC DES CHAMBRES

2,5 km, 45mn, +25m, -250m

La marche reprend entre roc et nuages. Le secteur du col des Chambres rassemble des monticules de caillasses entassées dans un univers rendu bichrome par la météo du jour. Quelques névés dessinent ici et là des mers blanches sur une carte du monde de pierre grise.

On navigue dans un océan subalpin austère et silencieux, guidés par des constellations de cairns. C’est une progression arythmique au fil d’une trajectoire irrégulière.

La nature accidentée du terrain nous ralentit. On croirait évoluer en pleine zone de bombardements. Impossible ici d’accrocher du regard autre chose que de la roche.

Dans ce paysage uniforme à la gloire du minéral, les cairns mis en place semblent prendre un malin plaisir à se camoufler. Il n’est d’ailleurs pas rare d’y improviser sa propre trace et de devoir mettre les mains pour franchir des obstacles inattendus après en avoir manqué quelques-uns…

Certains, plus massifs que les autres, se détachent de temps en temps sur l’horizon blanc des nuages pour nous remettre dans le droit chemin. Mike, rouge sur gris, est mon repère visuel dans ce décor lunaire qui se prolonge jusqu’en-dessous des 2200 mètres.

Dans la descente depuis le col des Chambres

À partir de là, le vallon s’élargit et s’aplanit, favorisant la persistance de plaques de neige réfractaires à la fonte qu’on traverse prudemment en réprimant parfois quelques dérapages incontrôlés. Si le minéral s’impose encore dans le paysage en formes parfois fantasques, il doit commencer à partager sa suprématie avec quelques spécimens élus de végétation. Enfin repassés sous le couvercle épais des nuages, nous profitons à nouveau des remparts massifs des sommets encadrant le vallon où évolue le sentier.

Plus bas, des grappes de doronics en bordure de chemin, outre de mettre un peu de couleur dans le paysage, nous signalent que la transition entre étage subalpin et alpin est en cours.

Les falaises cascadant en affleurements bruns et étagés sous le Grands Fats sont à ce titre particulièrement remarquables. Au débouché de ce qui ressemble à une large plaine caillouteuse, le terrain s’étrécit et le chemin dévale maintenant dans un goulet légèrement sinueux, ondulant parmi les roches brisées entre deux remparts calcaires. Un couloir net imposant une trajectoire évidente en direction du lac des Chambres dont on commence à apercevoir la teinte platine sombre à l’horizon.

La vaste plaine ouvrant au débouché du corridor rocheux en amont du Lac des Chambres

La sortie s’effectue dans une large plaine limoneuse bordée par la reptation minérale des versants. Privé de lumière, l’endroit distille une atmosphère blafarde de bout du monde. J’y imagine, en des temps antédiluviens, une rivière grondante ou un glacier sculptant la roche sur son passage. Plus rien de tout ça ne subsiste aujourd’hui.

Juste ce qui aurait pu être un gigantesque lit de torrent, désormais à sec et au fond duquel les randonneurs que nous sommes glissons, minuscules et dérisoires, face à au gigantisme des éléments naturels dressés au-dessus de nos têtes. Au débouché de cette plaine de silence, la cuvette au fond de laquelle a reculé le Lac des Chambres surgit.

Malgré l’époque, l’hiver joue les prolongations au Lac des Chambres donnant à l’endroit des allures d’Arctique en pleine débâcle.

Des blocs de neige dure et compacte en baignent encore les abords, parfois rompus nets sous leur propre poids. Le lac lui-même est encore envahi par des amas glacés se disloquant à sa surface. Mike se la joue Horn en s’aventurant parmi ce chaos démembré sans forcément prendre en compte les avertissements à la prudence que nous lui lançons avec Thierry.

Le spectacle reste saisissant et l’invitation à l’errance parmi ces icebergs inattendus trop forte. La séquence est immortalisée par ma caméra et doublée par le drone de Thierry. Quelques degrés de plus et ça en sera fait de ces vestiges de l’hiver écoulé condamnés à sombrer dans les eaux du lac.

DU LAC DES CHAMBRES AU PARKING DU CRÊT

6,2km, 2h30, +20m, -1120m

S’extraire de la cuvette du lac des Chambres est rendu possible par une belle ligne oblique tracée à la règle dans la roche dure de son versant nord. Après le Pas à l’Ours plus tôt, c’est encore un joli passage, protégé par un câble, qui attend le marcheur.

À sa sortie on y retrouve les espaces plus ouverts du début de la randonnée ainsi que nos brebis, occupées à la même tâche de mastication que quelques heures plus tôt. Le quotidien immuable de la montagne estivale.

La visibilité n’a pas davantage évolué que le petit groupe d’ovins rencontré à l’aller. Des panaches nuageux s’accaparent toujours l’espace du vallon en dissimulant autant les sommets que le fond de la vallée.

Plus de deux heures de descente sont annoncés pour atteindre le parking du Crêt : un délai que ne nous laissera pas la pluie qui commence à tomber plus drue que jamais. Comme si, après nous avoir laissé une fenêtre suffisante pour réaliser notre boucle, elle refermait d’une main le créneau qui nous pousse désormais gentiment dehors.

Le signal est suffisamment fort pour me décider à ranger la caméra et à extraire mes vêtements et accessoires de protection. Comme au théâtre le rideau est tiré et le public est invité à quitter la salle. Qu’importe quand le spectacle a largement justifié le ticket d’entrée. On sera mouillé, certes, mais ravi !

LAC DES CHAMBRES : GUIDE PRATIQUE

Venir dans le Haut-Giffre

À moins d’habiter à Chamonix – et de remonter sur Cluses par l’A40 – ou les rives sud du Léman et, dans ce cas, de descendre sur Taninges par la D902, il y a une forte probabilité pour que vous rejoigniez le Grand Massif et Samoëns par l’A40 – depuis Genève : concerne la Franche-Comté et le Grand Est – ou depuis l’A410 – pour tout le reste. Il faudra prendre la sortie Cluses et suivre ensuite la direction de Taninges. Une fois Taninges rejoint, suivre la D907 en direction de Samoëns, cœur palpitant du Grand Massif.

Accès au parking du Crêt

Depuis le centre de Samoëns, il faut suivre la direction Sixt-Fer-à-Cheval et col de Joux-Plane pour commencer. À l’intersection avec la D907, ne plus suivre Sixt mais continuer en suivant col de Joux-Plane et en revenant vers Samoëns centre à gauche. Tourner plus loin à droite à l’invitation du panneau « Col de Joux Plane 12km ». Plus haut, dans un virage à gauche, quitter cette route à droite par une petite voie communale indiquant Les Chavonnes, Les Allamands ainsi que les refuges de Tornay et de Folly. Plus haut, après un pont, vous trouverez d’abord le parking du Pied du Crêt sur votre droite. Continuez à monter et passez trois lacets. Le parking du Crêt est le parking suivant à droite de la route.

LAC DES CHAMBRES : LE TOPO PAS-À-PAS

Du parking suivre le chemin indiquant la direction du refuge de Folly. Dépasser l’alpage du Crêt (1) et poursuivre par un petit sentier à flanc qui traverse la dalle rocheuse du Tuet. Il s’engage ensuite sous le couvert des arbres et rejoint le GR® de Pays Tour des Dents Blanches (2).

Le suivre et continuer à monter. Basculer plus haut à droite pour franchir le torrent des Landes au moyen d’une passerelle en bois (3). S’élever ensuite par un sentier assez raide jusqu’au refuge de Folly (4).

Poursuivre au-delà du refuge et, à l’intersection suivante (5), continuer par la branche de gauche et s’élever régulièrement jusqu’à l’entrée de la Combe aux Puaires (6).

La traverser plutôt par le fond pour atteindre le passage ouvrant sur le vallon de la Vogealle (7). Y basculer en suivant un petit sentier qui rejoint plus bas le lac.

Contourner le lac en rive gauche et continuer en direction du refuge de la Vogealle jusqu’à la flèche signalétique du Croisement du Pas à l’Ours (8). Tourner alors à droite pour remonter une trace cairnée en direction d’un renfoncement abrupt de marnes noires. La trace y arrondit pour s’élever par une rampe raide sortant au-dessus de la difficulté (9).

Après un bref replat, le chemin s’engage à flanc et accède au pied d’une large cheminée (10) qu’il escalade abruptement À la sortie, il arrondit à gauche pour franchir une série de gradins calcaires rejoignant le gros cairn du col des Chambres (11).

Depuis le col des Chambres, suivre les cairns vers l’ouest et la direction Lac des Chambres. La trace oscille dans des amas de roches puis est canalisée plus directement par l’entremise d’une sorte de couloir rocheux. Il débouche dans une grande plaine caillouteuse avant d’atteindre le Lac des Chambres (12).

Suivre une trace ascendante bien visible à droite dans le mur rocheux et équipée d’un câble. Prendre alors pied sur le haut d’un versant (13) plongeant assez rapidement en direction du refuge de Folly.

Atteindre le refuge et suivre le chemin inverse de l’aller pour retourner au parking du Crêt.

Difficulté et Recommandations Particulières

Ça ne vous aura pas échappé que j’ai classé cet itinéraire dans la catégorie difficile et, si les images du reportage n’y suffisent pas, je rentre un peu plus dans le détail ici. J’ai opté pour cette qualification pour trois raisons.

1 – La recherche d’itinéraire

Le circuit a beau emprunter le tracé d’un GR® de Pays – balisage jaune et rouge – il n’en demeure pas moins pas toujours facile à suivre très exactement. En particulier dans la Combe aux Puaires puis sous le Col des Chambres, indépendamment du versant concerné puisque ça concerne les deux. Les cairns prennent le relais pour guider le marcheur mais restent parfois difficiles à débusquer. Une certaine habitude pour les localiser sera requise ainsi que, le cas échéant, une lecture de terrain suffisante pour s’en passer et s’orienter dans la bonne direction.

2 – Les passages un peu engagés

C’est indiqué sur l’IGN et c’est précisé par des panneaux d’avertissement sur place : le franchissement du Pas à l’Ours s’adresse à des randonneurs/ses expérimenté(e)s. Par expérimenté(e) il faut comprendre des personnes qui ne seront pas impressionnées par la nature revêche du terrain, qu’il s’agisse de pente ou de sections à flanc pas loin d’être un peu déversantes et où on marche un peu sur des œufs dans une ambiance gentiment gazeuse. Pas vraiment du vide mais pas spécialement confortable non plus. Rebelote plus tard au-dessus du Lac des Chambres. Bref, si pour vous ce que je dis n’évoque rien de connu, ce ne sera pas idéalement le bon itinéraire pour découvrir les joies de ce style de passage aventureux.

Sur les « vires » approximatives du Pas à l’Ours. Ambiance garantie !

3 – La météo

On entend souvent – et à juste titre ! – d’éviter de partir en montagne quand la météo n’est pas idéale. Je suis le premier à rabâcher ce conseil qu’on n’a pourtant peu suivi ce jour-là. Il faut dire que le pronostic final était difficile à cerner. Et je n’avais que ce jour-là pour sortir ce reportage. On a donc tenté notre chance sans toutefois fermer la porte à l’abandon si les choses se corsaient. Ce qui s’est avéré être la bonne décision, la pluie n’ayant décidé de tomber qu’en fin de journée, uniquement pendant le retour entre le refuge et le parking.

Le brouillard n’est donc pas nécessairement un ennemi mais peut cependant vous rendre la vie difficile en fonction de sa densité. En revanche, la pluie battante et, bien sûr, l’orage seront à éviter absolument. Pas moyen d’imaginer franchir le Pas à l’Ours en sécurité dans ces conditions. Sur un strict plan matériel, ne partez pas non plus avec n’importe quoi aux pieds car le terrain, vous le constaterez, est plutôt du genre exigeant.

Saisonnalité

Pas de surprise, c’est de la montagne à un niveau plutôt soutenu : on privilégiera donc la période estivale pour faire cette boucle vers le Lac des Chambres, dès que la neige a disparu des chemins, en particulier dans le segment du Pas à l’Ours. La période idéale sera donc évidemment située entre mi-juin et mi-novembre.

Liens Utiles

Si vous venez dans le secteur – et à moins d’y habiter pour pouvoir envisager cet itinéraire en format court – vous serez probablement amenés à y séjourner. Outre les itinéraires déjà évoqués ici sur Carnets de Rando – le Fer-à-Cheval donc mais aussi le sommet du Buet ainsi que le Lac d’Anterne – vous aurez probablement envie de vous projeter plus largement dans le Haut-Giffre pour appréhender les possibilités d’activités et d’hébergements. Tout ça se passe ici, sur le site de Destination Grand Massif.

Hébergement

Refuge du Folly

À moins d’être un sportif de l’extrême et de vouloir se mettre la mine dans la journée, il peut être utile de se prévoir l’étape au Folly avant ou après la randonnée. Voire les deux, soyons fous ! D’une part parce que ça coupe ce long tracé et d’autre part parce qu’une nuit au Folly permet, outre l’accueil et le repas, de profiter de superbes coucher de soleil sur la Pointe du Tuet et les Dents d’Oddaz. Sa position accrochée au versant en fait un belvédère de choix pour goûter au spectacle de la montagne à l’aube et au crépuscule. Ça a été notre choix et je ne le regrette absolument pas ! En 2023 la nuitée c’est 17 euros pour un adulte et si vous voulez la demi-pension, ça vous coûtera 48 euros. Et c’est évidemment l’option que je vous recommande ! Infos et réservations : 04 50 90 10 91 ou refugedufolly@gmail.com

Remarque : les informations données dans ce topo du Lac des Chambres engagent uniquement la responsabilité de l’utilisateur/rice sur le terrain qui saura les adapter à son niveau et à son expérience. Carnets de Rando ne saurait être tenu responsable de tout accident survenant suite à un mauvais usage de ce topo ou à une mauvaise appréciation du niveau du/de la pratiquant(e) par rapport à celui requis.
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4 Comments

  1. Queyrel François Répondre

    j’ai passé toute l apprès midi sur ton article sur le pic de Morgon –
    je me suis abonne, et maintenant je suis paumé dans ton site – il faudrait un table des matières !!!

    1. carnetsderando Auteur de l'article Répondre

      Hello François ! Ha mince lol, oui, en effet, tu es parti de Morgon pour finir dans le Haut-Giffre ! Un comble pour un site de randonnée si le lecteur se perd dedans haha ! Mais l’idée m’était venue en effet d’essayer de faire un index. C’est le temps qui m’a manqué mais ta remarque me donne envie de m’y remettre. À défaut il y a pour le moment les catégories pour dégrossir un peu le truc, c’est déjà ça, mais je te concède que c’est perfectible. Allez, je me le note dans les résolutions de 2024. Meilleurs voeux d’ailleurs au passage et en souhaitant que tu retrouves ton chemin sur le blog 🙂

      Amicalement,

      David

  2. Claude ROZSA Répondre

    Remarquable exposé sur cette rando faite un peu différemment en 1993 ave un guide de Morzine. Bravo pour le style, c’est si rare de lire un texte bien écrit de nos jours. Ma rando parti de Morzine via le refuge de Salanfé, le lac de Susanfe, Emaney, Emosson, le cheval blanc, la vogealle, le pas de l’ours qui m’a fait dresser les cheveux sur la tête! on poursuivi vers le lac des chambres et final au dessous de folly. jours de rando à 90% sous un soleil de plomb. Mon guide prit une photo de moi devant le lac des chambres, en debardeur, bronsé jusqu’à la moelle des cheveux! Pour la montée au col des chambres, nous nous sommes encordés car sous la neige en plein mois d’aout il pensait qu’il pouvait y avoir des chausses trappes! Depuis les ravages du déréglement climatique ont fait leur oeuvre comme il apparait sur vos photos. J’étais jeune à l’époque (enfin dans la jeune quarantaine) et m’apprêtais à devenir un passionné de Grand Canyon aux USA, la montagne à l’envers (1000kms en rando sur près de 25 ans). Une autre expérience loin d’être facile n’en déplaise à certains guides. Aujourd’hui fini ce genre de randos après avoir échappé au pire sur le plan cardiaque….
    Merci pour ce retour de souvenirs fabuleux.
    Claude

    1. carnetsderando Auteur de l'article Répondre

      Bonjour Claude,

      Merci pour ce retour de lecture accompagné de votre propre expérience. L’histoire verticale d’un lieu est étonnante qui s’associe à des souvenirs personnels de différentes personnes à différentes époques. Si les lieux pouvaient parler, nul doute qu’ils nous régaleraient d’anecdotes collectées au fil des ans et des siècles. Merci également pour l’encouragement à poursuivre l’écriture de longs récits tels que celui-ci qui essaient d’aller, je vous l’accorde, à contre-courant de textes factuels et rapidement écrits qu’on trouve trop souvent aujourd’hui sur le web. J’aime la magie des mots et je suis convaincu qu’un bon texte, comme un bon livre, peut servir de tremplin à l’imagination et à l’inspiration des lecteurs/trices. Il faut profiter du temps qui nous est imparti sur cette Terre pour faire l’expérience de toutes ces merveilles. Et quand mon tour sera venu de passer le relais, j’espère que ces récits continueront d’inspirer les suivant(e)s ou à nourrir les souvenirs de celles/ceux qui n’ont plus le loisir de courir le monde comme ils/elles le faisaient avant.

      Au plaisir de vous relire par ici !

      Amicalement,

      David

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