Pic de Tristagne et Étang Fourcat : l’Ariège à son Paroxysme

À cheval entre France et Andorre, le Pic de Tristagne est encore un candidat sérieux de l’écurie de montagne ariégeoise. Un objectif qui ne s’atteint qu’au terme d’une journée marathon, aussi exaltante qu’éreintante. Le Tristagne donne surtout un bon prétexte aux marcheurs pour passer par l’Étang Fourcat, l’un de mes endroits favoris des Pyrénées. Fourcat ce sont des étangs à la beauté irréelle et un refuge où palpite un coeur gros comme ça. Comme je l’ai entendu dire un randonneur, c’est déjà une raison suffisante de faire l’effort de monter jusque là. La cerise sur le gâteau c’est bien sûr le sommet du Tristagne et son panorama jubilatoire sur les Pyrénées. À atteindre après un cheminement modérément aérien dans un décor que l’adjectif exceptionnel n’est pas suffisamment puissant pour décrire. Vous croyez que j’exagère ? Alors lisez ce qui suit !

Difficulté : difficile | Distance : 10 km | Durée : 4h35 | Dénivelé : 1680m | Carte : IGN TOP25 1/25000 2148OT – Vicdessos, Pique d’Estats, Pic du Montcalm

MATIN CRACHIN, MATIN CHAGRIN

L’orage qui a éclaté dans la nuit s’est résorbé le matin en une prison de nuages poisseuse et basse de plafond qui fait suinter le moindre tronc, le moindre mur, la moindre route. Les premiers marcheurs quittent le gîte de Mounicou avec philosophie, protégeant leurs sourires contrits dans la moiteur d’une cape de pluie. Cette fois on ne va pas y couper.

Mon optimisme se heurte au mur gris de la réalité : il ne faut pas s’attendre à passer au-dessus des nuages dès l’Étang de Soulcem, point de départ de cette ascension vers le Pic de Tristagne, le dernier des 5 sommets à gravir de notre régime sportif à travers l’Ariège – voir l’article Ariège : 5 Sommets à Faire Absolument dans sa Vie

Ce matin, pas le choix, c’est purée de pois au petit-déjeuner. Les Gore-Tex sont de sortie. Les escargots aussi.

Je conduis la voiture de l’Agence Touristique Ariège-Pyrénées dans les lacets serrés s’élevant vers le barrage. Le chauffage tourne à fond pour faire reculer la buée qui ronge les vitres du véhicule. J’avance le nez au plus près du volant en fronçant les sourcils comme si le geste allait m’aider à mieux voir. Olivier me désigne ce qui ressemble à un parking sur le bord de la route. Un coup de volant plus tard, je tire le frein à main.

On n’ira pas plus loin : les balises blanc et rouge de la traverse 64 sont juste là. Le crachin chagrin du matin poursuit sa chute lancinante. Pas la peine d’espérer mieux : on ajuste nos protections, on ferme la voiture et on se met en route avec la même réserve de philosophie que nos colocataires d’une nuit à Mounicou.

Flo aux prises avec les premiers passages rocheux dans un brouillard assez dense.

On n’y voit pas à plus de quatre ou cinq mètres. L’ambiance sur le chemin balcon qui file vers le nord est spectrale. Tout le monde progresse d’un bon pas malgré ces cinq jours de montagne intensive dans les pattes. Je sens comme un état d’esprit festif et non formulé dans cette dynamique de marche, probablement nourrie par cet ultime sommet en ligne de mire.

On n’est cependant pas près de l’atteindre. Le Pic de Tristagne depuis Soulcem, c’est encore du dénivelé à quatre chiffres qui s’en va titiller les 1700m de positif. On retrouve d’ailleurs très rapidement la pente revêche de l’Ariège qu’un sentier balcon ne peut contenir forcément très longtemps.

Tout autour de nous, la végétation déperle sur nos bas de pantalons et nos chaussures comme un jour de mousson en Inde.

Sans nous en être réellement rendus compte, purée de pois oblige, on a arrondi au nord-est pour pénétrer le grand vallon du Picot, ainsi nommé en référence au sommet qui le coiffe ainsi qu’aux étangs étagés tout du long. Une série de niveaux à atteindre jusqu’à se satelliser loin au-dessus de ces pentes à rhododendrons et à épilobes.

Là-haut nous attendent des cols que la fatigue de l’ascension a dû pousser le topographe à laisser anonyme sur la carte. Après cent mètres de pente soutenue, on ne sait déjà plus trop si l’état liquide qui perle sur nos silhouettes de fantômes est dû à la bruine ou à la sueur. Nous voici dans le bain, au premier comme au second degré.

GUERRE D’ÉLÉMENTS

Mike et Florence poussent sur leurs bâtons et leurs mollets avec une régularité de métronome, dépassant presque sans le voir un orry embusqué dans la brume et camouflé sous un chapeau de gispet. Le signe que le premier étang est proche et que l’altitude des 2000m est atteinte. Un premier cap de passé. Des barres rocheuses inclinées défendent parfois le passage qu’on force à l’invitation des balises.

Le halo du soleil est encore masqué par une masse de brume mouvante mais une clarté plus marquée nous laisse espérer la proximité de la frontière nuageuse. On dépasse un randonneur en bivouac émergeant de sa tente avec le regard blasé du gars qui constate qu’il pleut et qui n’a pas de parapluie.

Cent mètres plus haut, le brouillard semble vouloir reculer, s’enroulant en volutes de fumée comme s’il y avait le feu au rocher sur lesquels il danse.

Un éclat de lumière fend brusquement la masse à l’opacité déclinante tandis qu’un coup de vent fait réapparaître le monde quelques instants. On touche du doigt la frontière de l’emprise nuageuse. La zone de combat entre l’ombre et la lumière est là. Les éléments s’empoignent farouchement, luttant au corps-à-corps pour chaque pouce de terrain. J’entends le drone d’Olivier décoller.

Une certaine excitation me gagne en réalisant que la couverture de ce conflit en images se joue maintenant. Je dégaine la caméra à mon tour. Olivier crie quelques directives. Mike se met en position sur les berges du second étang. Il n’y a plus qu’à laisser la magie de la montagne opérer.

La mer de nuages n’ira pas au-delà du second étang du Picot ce jour-là

La mer de nuages est juste là, immobilisée par la poigne de fer de la masse d’air chaud qui la tient en respect jusqu’à Auzat et Vicdessos. Quelques doigts de brume s’essaient bien à remonter dans le fond des thalwegs du versant d’en face mais ils sont vite repoussés par la chaleur qui commence à monter sur les pentes. Le thermostat monte d’un coup renvoyant les gore-tex, indispensables encore deux secondes plus tôt, dans le fond des sacs.

L’Ariège a repris la couleur des jours précédents, sans jamais lasser nos regards d’en admirer la nature sauvage. La pyramide du Picot remplit le ciel au-dessus de nos têtes : il nous reste encore deux étangs à franchir avant de pouvoir prendre pied sur l’extrémité de son arête sud, point de passage intermédiaire vers le site des Étangs Fourcat.

Ici c’est le royaume du grand bleu, la principauté de l’azur, où aucun stratus, cirrus ou cumulus n’a de carton d’invitation.

Moins direct que précédemment, le sentier part s’enrouler au pied des éboulis immobilisés sous la face nord de la Pointe Michel Sébastien pour aller chercher l’arrondi menant sur les rives du troisième étang. Un étage après l’autre. L’exercice ressemble à s’y méprendre au franchissement de paliers d’acclimatation.

Acclimatation à quoi me direz-vous ? Je répondrais à l’intensité de l’effort exigé par la montagne ariégeoise. Un tribut à payer par celles/ceux qui en convoitent les richesses. Un massif de méritocratie. On devrait y envoyer notre président dont c’est la philosophie de vie, non ?

ASCENSION D’ÉTANG EN ÉTANG

Ma rétine manque d’éclater lorsque surgit le troisième étang. Incontestablement le plus beau des quatre. Un bleu aussi pur que le ciel, au point que j’ai d’abord cru à un reflet. Une envergure ensuite, qui dépasse le gabarit généralement admis de celui d’un étang. On pense ici davantage à Capitello, en Corse, qu’à la gentille petite mare.

Et puis un cadre, grandiose et inestimable, bardé de versants abrupts et de colonnades de granit qui font du lieu un amphithéâtre de bonheur. Le troisième étang du Picot efface l’ardoise de l’effort prodigué pour en toucher les rives. Deux pêcheurs y envoient leurs lignes et nous regardent passer comme si on venait de les tirer d’un rêve.

Au-delà de la surface miroitante du déversoir, les sommets ariégeois gravis les jours précédents transpercent la membrane évanescente de la mer de nuages : Pique Rouge de Bassiès au nord-ouest, Montcalm et Pica d’Estats plein ouest.

Absorbé par mes rêveries et mes souvenirs récents, j’ai laissé filer Olivier, Mike et Flo dans le raide versant herbeux s’épanchant sur la face ouest du Picot. Une sente étroite mais bien dessinée arrondit au-dessus de l’étang jusqu’au quatrième et dernier.

On touche les 2400m d’altitude lorsqu’on découvre la surface agitée de clapotis de l’aîné de cette fraternité. Depuis les sommets environnants, tout n’est quasiment plus qu’éboulis et barres rocheuses. Rêves de pierre brisés à travers lesquels se camouflent les cairns venus en renfort des balises du GR®.

À mi-chemin de la remontée du vallon du Picot, un moment de pause sur les berges du troisième étang s’impose.

J’intercepte les regards de nos deux marcheurs passant le versant au crible à la recherche d’un passage qui ne se dévoilera pas d’ici. La foulée a perdu de sa superbe mais les organismes de ces deux-là frôlent la mécanique industrielle. La fatigue peut toujours cogner à la porte : Mike et Flo savent la tenir à sa place, comme un animal de compagnie à qui on intime l’ordre de ne pas bouger.

La trace s’empierre davantage, forcée de frayer parmi les blocs éparpillés anarchiquement autour de l’étang. On vient très vite cogner contre un degré de pente retors qui convoque à nouveau un surplus d’effort. Je vois les doigts se crisper sur les poignées des bâtons pour tracter son poids de marcheur toujours plus haut.

La montagne assiégée use de toutes ses armes pour nous décourager. En vain. Ici souffrance et plaisir marchent main dans la main.

La trace finit par buter sur un mur rocheux, incapable d’aller plus loin. Le sentier évanoui est prolongé par un câble en acier qui invite à un corps-à-corps avec le roc. C’est le dernier rempart avant de jaillir sur une épaule étirée sous le versant nord du Pic de Malcaras.

Quelques barreaux métalliques facilitent le franchissement de ces dalles granitiques mouchetées de lichens qui nous séparent de notre objectif. Intermédiaire, est-il utile de le préciser ? Car si vous pensiez en avoir fini avec l’Ariège, elle vous rappelle vite qui est le boss ici.

UN TICKET D’ENTRÉE POUR LE PARADIS

Contrairement à ce que l’espoir a pu faire naître dans un esprit perclus de fatigue, l’Étang Fourcat n’est pas visible de l’autre côté. Pas encore du moins. Une lecture de carte un peu trop rapide tend en effet à passer outre cette cuvette s’affaissant sous la face nord du Pic de Malcaras.

Un obstacle qui exige de redescendre de plusieurs mètres – sacrilège ! – dans un versant raide et glissant avant de remonter – forcément ! – par un capharnaüm de blocs écroulés où tout sens de la trajectoire se perd rapidement. Un exercice fastidieux qui vient ronger dans les dernières réserves d’énergie disponibles.

À pas plus traînants, notre quatuor atteint finalement ce foutu col côté 2574 sur l’IGN, posant enfin des yeux fatigués mais fiers sur la silhouette du Pic de Tristagne dressée au-dessus du disque bleu de l’Étang Fourcat.

L’objectif final est désormais un visuel concret mais la distance à parcourir pour le rejoindre reste encore importante. Un coup d’œil à la montre et au miroir aveuglant du ciel confirment qu’on entre dans les heures les plus chaudes de la journée.

Pas l’idéal pour des images de sommet. Surtout le ventre vide. D’un commun accord on définit le refuge de l’Étang Fourcat comme nouvel objectif intermédiaire. Le temps indispensable d’une pause est éminemment requis avant de poursuivre vers le Pic de Tristagne.

Objectif en vue : le sommet du Pic de Tristagne remplit l’horizon au-dessus de l’Étang Fourcat. On aperçoit le refuge également sur son promontoire rocheux.

Rejoindre le refuge de l’Étang Fourcat exige encore un poil d’effort : d’abord se laisser glisser à travers un assortiment de dalles et de pelouses, jusqu’au sentier bordant le Petit Étang en forme de cœur. On garde alors à l’œil le bloc luisant du refuge, posé sur le rebord d’une table massive dominant celui-ci. D’ici il ressemble à un bus qui a freiné d’urgence et immobilisé au bord du précipice.

Vient ensuite une allée dallée, rampe royale pour conduire les marcheurs au paradis. Car ne nous mentons pas : Fourcat est bel et bien un petit paradis. En suivant Mike avec ma caméra, avec la singulière silhouette de ce vaisseau des cimes qui remplit mon champ, les souvenirs de ma traversée des Pyrénées en 2002 rejaillissent.

Rien n’a changé à Fourcat vingt ans après mon premier passage. Le tableau n’a pas pris une ride. Moi si en revanche.

À l’époque, j’avais consigné ces mots dans mon journal de bord : « Fourcat c’est une harmonie visuelle, un équilibre de formes et de couleurs qui confine au miracle et où l’eau épouse à la perfection l’austérité de la roche. Un paradis ariégeois précieux. » On arrivait alors nous aussi de la Pica d’Estats et on devait y récupérer un ravitaillement monté par un copain.

C’est là que, la première fois, j’ai complètement succombé à Fourcat. Le coup de foudre absolu. On fait descendre nos sacs de nos épaules fourbues et on commande quelques rafraîchissements à la sympathique équipe du refuge. Parce que oui, je ne vous ai pas dit aussi, mais Fourcat c’est aussi un spot où vivre des moments humains très forts. Mais j’en reparle un peu plus tard.

PIC DE TRISTAGNE, DERNIER ACTE

La pause joue les prolongations jusqu’à 17h. 450 mètres de dénivelé nous séparent du sommet depuis le refuge. Seulement 450m ai-je envie d’ajouter. Un nombre dérisoire après ces étapes de folie qui nous ont menés du Crabère jusqu’ici. Le cumul – près de 8750m de dénivelé en six jours – se fait néanmoins ressentir. Le mental, en marge de ce bilan musculaire, reste cependant fort et maintient la machine en ordre de marche.

Je me sens étonnamment affûté malgré l’exercice soutenu et répété de cette excursion ariégeoise. En tout cas l’envie d’en découdre avec ce final vers le Pic de Tristagne me taraude et, comme le restant du groupe, je suis dans les starting-blocks quand le signal du départ est donné.

Une fois encore le marcheur est renvoyé à son insignifiante condition au milieu de ces géants qui trônait sur ces lieux bien avant que le premier des hommes décide de se dresser sur ses deux jambes.

Pour ce dernier baroud on peut, en plus, voyager plus légers en laissant derrière nous, au refuge, des affaires inutiles pour l’ascension. Sensiblement reposés et totalement motivés, on quitte la bâtisse d’un pas énergique en direction de l’Étang Fourcat dont il faudra longer la rive occidentale pour récupérer la trace conduisant au Pic de Tristagne.

Une sente à peine visible s’échappe du GR® pour traverser les poussées d’acné granitiques qui boutonnent les pelouses bordant les hauteurs du plan d’eau. L’Étang Fourcat se reçoit ensuite pleine face, drap bleu soyeux qui impose sa douceur dans un décor qui prône naturellement l’austérité d’une assemblée minérale. La conjugaison des deux opposés détonne, renforcée par la masse souveraine du Pic de Tristagne qui règne sur ce monde comme Poséïdon sur l’océan.

En route pour le Pic de Tristagne, sur les rives de l’Étang Fourcat avec le refuge en arrière-plan

Le cheminement s’interrompt au bout d’une dalle rugueuse. Un nouveau câble y invite à plonger de quelques mètres pour rattraper le sentier perdu. Un passage court mais fun qui donne le ton au caractère plus aventureux de cette ascension en comparaison des précédentes. Le cheminement en bord d’étang n’a rien de vraiment fluide, quêtant au mieux sa trace sur un versant sensiblement accidenté et raide.

Pas exactement la section la plus roulante du tracé mais, en revanche, le meilleur moyen d’être au plus près de l’immense étendue d’eau de l’Étang Fourcat, ce joyau lacustre de l’Ariège qui couvre près de 24ha et plonge jusqu’à 60 mètres de profondeur. Plus accueillante, l’extrémité sud que nous finissons par rejoindre accueille de belles et lumineuses pelouses que broutent une poignée de brebis tintinnabulantes.

Itinéraire en montagnes russes, câbles : l’entrée en matière surprend autant par sa nature rebelle que par la sidérante beauté de la proximité de l’Étang.

Devant nous le vallon est muré par le couloir d’éboulis dévalant à l’aplomb du Port sans nom qu’il faut viser. Ici, dans les Pyrénées, les cols des Alpes qui deviennent parfois des Pas sont appelés des Ports. Mieux vaut le savoir si la fatigue vous conduisait à y chercher, en vain, la présence de bateaux.

La fatigue, puisqu’on en parle, s’abat sur Flo sans carton d’invitation. Notre camarade, inquiète pour le retour, sent qu’elle tire sur la corde et est tiraillée sur la conduite à tenir. Difficile d’abdiquer alors que le sommet est presque là. La sagesse l’emporte néanmoins et c’est à trois que nous continuons pour la dernière partie de cet assaut.

UN FINAL D’APOTHÉOSE

La section la plus sportive est ouverte au-delà de la base du cône d’éboulis. De plus en plus raide sur la fin, le terrain est propice aux dérapages et aux jurons étouffés. Il faudra bien s’appuyer sur la barre rocheuse en rebord de pente pour trouver le passage le moins pénible.

Et ne pas commencer à se demander comment vous réussirez à en descendre au retour : ça pourrait vous gâcher ce qui reste à venir ! Car l’obstacle franchi, le Pic de Tristagne sème ses premiers bonheurs : de l’autre côté du Port s’ouvrent les vallées andorranes surmontées de leurs sommets.

Se hisser jusqu’au port n’a rien d’une partie de plaisir. Si l’effort requis pour s’affranchir de la partie encore en herbe reste modéré, celui concernant la suite dans les coulées de pierres demandera davantage d’attention.

À nos pieds, les cousins andorrans des étangs Fourcat se prélassent au pied des montagnes : ce sont les étangs de Més Amunt et du Mig, prolongés en arrière-plan par la station de ski d’Arcalis et par les cimes sombres de la Serra del Cap de la Coma.

Plus loin encore, l’Ariège fait de la résistance, exposant au regard des sommets aussi éloignés que méconnus comme ceux des Pics des Bareytes et de Médécourbe. Une enclave qui s’étire au-delà de l’Étang de Soulcem pour repousser la frontière plus au sud encore avant d’arrondir vers le bloc de la Pica d’Estats. Immense Ariège qui n’en finit pas de dévoiler ses cimes comme autant de défis lancés au visiteur.

Dans la pénible remontée du couloir raide qui permet de prendre ensuite pied sur l’arête

La dernière section est d’une élégance insolente. Derrière les abrupts rocheux de la face nord se dissimulent des coulées d’herbe raides facilitant l’accès à l’arête. Une trace directe et cairnée indique l’entrée d’une petite cheminée permettant de forcer le rocher.

La sensation du minéral au bout des doigts est délicieuse. C’est à la fois peu et beaucoup et ça nourrit l’exaltation de bientôt toucher au but de notre périple. On s’élève ainsi sur quelques belles dalles couchées pour jaillir sur le faite de l’arête.

Avec un pied en Andorre et l’autre en France, le Pic de Tristagne, brièvement mais avec panache, nous fait cadeau d’un moment de montagne un peu plus engagé que les autres sommets gravis dans la semaine. Juste génial !

L’Étang Fourcat s’étire en contrebas, joyau bleuté dans son écrin de roches rosacées. Derrière lui, l’altitude a révélé celui de la Oussade, au pied du Pic de Malcaras. Une vision de rêve qui vient alimenter notre douce euphorie.

L’arête se remonte sans réelle difficulté malgré la nature rocheuse du terrain. Autour de nous l’horizon s’étire dans un infini de sommets. Je lis le bonheur et la fatigue dans les yeux de Mike lorsqu’il pose enfin la main sur le cairn sommital du Pic de Tristagne après s’être affranchi des derniers mètres.

Seuls au sommet du Pic de Tristagne. La récompense au bout de l’effort.

Juché sur la frontière, le Pic de Tristagne culmine à 2878m d’altitude et constitue l’un des innombrables points hauts – certains nommés, d’autres non – qui jalonnent cette ligne invisible séparant l’Ariège de l’Andorre. C’est aussi un point de vue absolument incroyable sur le site des Étangs Fourcat. On y a une sincère pensée pour Flo, qui, comme nous, aurait été tout à la joie d’être montée jusqu’ici.

Il n’est pas loin de 19h et les lumières tamisent de douceur les sommets des Pyrénées. Indifférente à nos émotions, la Terre poursuit sa lente rotation qui va bientôt amener le soleil à disparaître derrière la Pica d’Estats où nous nous tenions hier matin.

Je me noie dans la contemplation des montagnes. Non, décidément, notre monde ne lasse pas de m’émerveiller encore et toujours après toutes ces années.

Ce moment au sommet du Pic de Tristagne est précieux pour chacun de nous et je rechigne à le briser pour sonner l’heure de la descente. Si on veut arriver au refuge avant que la cuisine soit définitivement fermée, il va pourtant bien falloir en passer par là. Le signal est finalement donné et notre trio embraye en sens inverse avec l’agréable sensation du devoir accompli.

Si l’arête repasse sans problème, le couloir sous le Port nécessite une certaine vigilance pour ne pas finir sur le cul. L’ombre a déjà recouvert tout le lac quand nous en finissons. Nous pressons ensuite le pas vers le refuge. Derrière nous, l’immense face nord-ouest du Pic de Tristagne est la seule à être encore inondée de lumière. Quel spectacle !

UNE CERTAINE IDÉE DU BONHEUR

Dans la nuit tombante, Fourcat est un phare derrière les murs duquel se tiennent la promesse d’un bon repas et d’un repos mérité. La vérité ? Ça va être encore mieux que ça ! C’est Laurent qui est à la manœuvre ce soir-là et, comme l’équipe n’a pas encore dîné, je propose de mutualiser les repas et de ne faire qu’une seule table pour manger tous ensemble.

Tout le monde met alors la main à la patte pour dresser la table. Une bouteille est débouchée, le délicieux fumet des plats se distille et, très vite, ça parle et ça rit de bon cœur. La vie au refuge est évoquée, la montagne évidemment, les expériences de chacun… Une simplicité de mise et un plaisir non simulé de partager ce moment ensemble.

À Fourcat on sait créer les conditions d’une soirée comme je les aime : généreuse, décontractée, improvisée et profondément humaine. Un refuge où la noirceur du monde n’a pas d’emprise.

Après le dessert, Laurent propose d’aller dehors regarder les étoiles autour d’un génépi. L’after était lancé. La team Fourcat extirpe du refuge une lunette d’astronomie imposante ainsi qu’un étonnant pointeur laser qui permet de dessiner sur les montagnes ! La discussion et les rires reprennent de plus bel jusque tard dans la soirée.

Vingt ans plus tard, Fourcat me livre une nouvelle expérience humaine d’exception. J’emmagasine des souvenirs de ce lieu mémorable. J’y savoure la chaleur des cœurs et les plaisirs simples de l’existence dans la solitude de la montagne et sous les étoiles scintillantes de notre galaxie. Bien-être absolu. Est-ce que ce n’est pas ça le bonheur ?

Une fin de journée encore pleine de surprises et de moments chaleureux avec l’équipe du refuge de l’Étang Fourcat.

Il est toujours difficile de partir d’un endroit où on se sent bien. Tout est prétexte, le lendemain matin, à reculer le moment de le quitter. Il va pourtant être temps d’aller chercher la sortie de ces montagnes où nous avons été immergés six jours durant. Après avoir longuement salué et remercié Laurent et son équipe, nous repartons par le chemin emprunté à la montée hier.

Direction le Petit Étang Fourcat, dans une ambiance plus fraîche et couverte que d’habitude. Pas une once de brouillard cette fois mais des cirrus hauts de plafond qui bâchent l’éclat du soleil avec une lenteur sournoise. La clarté est ternie lorsque le sentier bascule sèchement vers l’Étang d’Izourt.

Une longue, très longue descente démarre. Le genre même qu’on se dit qu’on n’aurait pas aimé avoir à monter. L’altitude décroît à plein régime au rythme de petits lacets serrés qui slaloment entre les rochers et les rhododendrons.

L’Étang d’Izourt est facilement vingt mètres sous sa cote maximale. Il a perdu de sa superbe mais, malgré le déficit, son envergure platine impressionne. Pour l’atteindre, le sentier dégringole ensuite à travers un bataillon d’aulnes glutineux avant de faire la jonction avec le circulaire joignant les deux rives. On opte pour la droite, long mais agréable balcon sur des eaux pas trop en eau d’Izourt.

Au-delà, une fois le barrage atteint, on sait qu’on sort de la pleine montagne. La route jusqu’à Pradières est encore un peu longue mais, c’est acté, le cœur battant de l’Ariège du haut est derrière nous. Une expérience incroyable et éprouvante, achevée en feu d’artifice au sommet du Pic de Tristagne. De la bombe !

PIC DE TRISTAGNE : LE GUIDE PRATIQUE

Venir sur Place

La porte d’entrée du territoire reste indubitablement Foix. Que vous veniez en voiture ou en train, c’est par Foix qu’il faudra passer. Le train ne vous permettra pas d’aller plus loin que Tarascon-sur-Ariège dans notre cas présent. La voiture est donc indispensable pour rallier le point – ou les points, on en parle un peu plus loin – de départ de cet itinéraire. Vous pourrez trouver des agences de location sur Foix.

Depuis Foix, il faudra suivre la D8b en direction de Tarascon-sur-Ariège. Dans Tarascon, suivre la direction Andorre au niveau du rond-point du Super U. Au rond-point après le pont sur le Vicdessos, tourner à droite par la D8 direction Vicdessos-Auzat. Roulez jusqu’à Auzat et traverser le village en poursuivant par la D8 direction Marc. Dépasser Marc en continuant sur la D8 direction Mounicou. Poursuivre après Mounicou en passant sur le petit pont et continuer jusqu’au barrage de Soulcem. Ne vous stationner pas sur le grand parking du bas mais monter au niveau du barrage. Repérer un semblant de parking à gauche, une centaine de mètres avant le barrage.

Le GR® T64 démarre ici, en repartant en sens inverse par un chemin qui monte au-dessus de la route.

Pic de Tristagne : le Topo Pas-à-Pas

Depuis le parking suivre le chemin qui monte plein nord au-dessus de la route et balisé blanc et rouge. Dès le premier lacet, il quitte ce chemin pour continuer au-delà du lacet par un petit sentier en balcon. Il arrondit longuement pour prendre pied dans le vallon du Picot. Remonter les pentes de végétation en franchissant parfois de courts obstacles rocheux et atteindre le premier étang. (1)

Après un bref replat, le sentier grimpe à nouveau et rejoint assez vite le second étang (2). Poursuivre l’ascension par le GR® jusqu’au prochain étang (3). Partir alors à gauche pour contourner l’étang par le nord-ouest. La trace arrondit au-dessus de l’étang et atteint le quatrième (4). Le contourner par la gauche en s’élevant dans des pierriers. Après une pente herbeuse soutenue remonter les dalles raides en s’aidant d’un câble et de barreaux métalliques. Prendre alors pied sur une large épaule.

Basculer immédiatement de l’autre côté par une sente pentue pour atterrir dans un énorme éboulis. Une fois dans la cuvette, traverser assez directement les gros blocs puis arrondir progressivement pour s’élever en biais en direction d’une autre épaule. On rejoint le point coté 2574. (5)

Descendre de l’autre côté par un sentier zig-zaguant toujours balisé blanc et rouge. Rejoindre plus bas le chemin montant depuis Izourt (6). Le suivre par la droite en direction du refuge de l’Étang Fourcat. (7)

Avant d’opérer le dernier arrondi ramenant vers le refuge, quitter le sentier principal à droite pour une sente qui part se percher sur les gros rochers dominant l’Étang Fourcat. Descendre à droite au pied de ces rochers pour suivre une trace pas toujours visible qui se maintient au-dessus de l’étang. Si vous avez bien visé vous devriez arriver au terme d’une grosse dalle qui s’affaisse brusquement vers la rive de l’étang : utiliser le câble en place pour descendre.

Suivre ensuite la trace oscillante et passablement accidentée qui longe la rive gauche de l’Étang Fourcat pour prendre pied sur les grandes pelouses qui ferment l’étang au sud.

Viser alors le mur très net qui conduit au Port situé au pied de l’arête ouest du Pic de Tristagne. En suivant des cairns, remonter d’abord une pente herbeuse, puis davantage pierreuse. La pente forcit : s’appuyer le plus possible à gauche sur le rebord des falaises pour passer. Atteindre le port. (8)

Partir à gauche en suivant le fil des rochers. Repérer les pentes d’herbes raides qui montent entre les rochers en face sud. Une sente plus ou moins nette remonte la première assez directement jusqu’à des rochers dans lesquelles s’aperçoit une cheminée. S’y engager et continuer par des dalles modérément pentues pour approcher le fil de l’arête. Présence de points jaunes pour jalonner l’itinéraire.

De là suivre les cairns disposés plus ou moins efficacement pour rejoindre le sommet (9). Lorsque l’arête n’est plus suffisamment vivable, ne pas hésiter à rester protégé quelques mètres en-dessous en versant sud.

Descente par le même itinéraire ou par Pradières selon votre configuration véhicule (voir ci-après).

Les chiffres font référence aux explications du pas-à-pas ci-dessus

Le Pic de Tristagne depuis Pradières-den-Haut

L’itinéraire depuis Soulcem n’est pas la « voie normale » du Pic de Tristagne. Je le mets en avant dans cet article car j’étais lancé dans un périple itinérant depuis le Crabère qui imposait de passer par là. Vous serez donc peut-être intéressé(e)s par celui montant depuis Pradières-d’en-Haut, plus traditionnel mais tout aussi exigeant.

Déjà, pour accéder à Pradières, il faudra surveiller la petite route qui monte à gauche après avoir quitté Auzat, en indiquant Benasque, Balens, Arties et Pradières. Se stationner sur le parking situé en contrebas de Pradières-d’en-Haut, tout au bout de la route, avant la centrale électrique.

Depuis le parking, il faut suivre le GR®10 jusqu’à l’Étang d’Izourt. Au niveau du barrage, le quitter pour suivre le chemin longeant l’Étang en rive droite – le côté gauche donc, quand vous arrivez de Pradières. Attention, peu de temps après avoir laissé le GR®10, à ne pas suivre trop longtemps le sentier balisé menant aux Étangs de Petsiguer ! Veiller à rester à niveau pour continuer à longer l’Étang par le sentier en balcon.

Au bout de l’Étang d’Izourt, une montée plus sèche, suivie d’une redescente quasi-immédiate permet d’atteindre la zone de combat où le torrent de la Caudière se jette dans l’Étang. Repérer la trace qui part à travers un fouillis d’aulnes pour s’attaquer à cette cuvette bien raide qui ferme l’extrémité de l’Étang. Le gravir.

Au terme de cette montée éprouvante on débouche sur un replat où est situé l’Orri de la Caudière. Franchir une passerelle et enchaîner sur les 400m suivant de dénivelé qui permettent d’atteindre le déversoir de l’Étang du Petit Fourcat (gros cairn sur un rocher).

De là longer le lac à droite jusqu’à croiser les balises du GR® T64 qui conduisent ensuite vers le refuge de l’Étang Fourcat. Se reporter au pas-à-pas précédent pour la suite à partir de ce point.

Difficulté et Recommandations Particulières

Bon les ami(e)s, ne vous leurrez pas, cette ascension du Pic de Tristagne n’est encore pas simple ! Après six jours passés sur ses sentiers, je vous l’annonce : ne prenez pas l’Ariège à la légère, ça pourrait vous gâcher l’expérience et ce serait carrément trop regrettable. En gardant à l’esprit d’être bien préparé(e)s pour affronter ses dénivelés indécents et aussi avec un peu – beaucoup – d’habitude pour les terrains exigeants, vous pourrez partir en quête du Tristagne dans les meilleures conditions.

Le final du Pic de Tristagne mérite également qu’on s’y attarde. À l’exception des pelouses du bout de l’Étang Fourcat, c’est une section qui nécessite de l’engagement à des degrés divers. D’abord en recherche d’itinéraire, ensuite sur un strict plan physique – le mur vers le port va faire grincer les mollets – et, enfin, sur un aspect purement technique. Je ne parle pas de sortir la corde mais il va falloir sortir les mains des poches à un moment.

La cheminée mentionnée dans le corps du récit est brève, n’excède pas le II, mais requiert d’être à l’aise dans ce genre de passage. Le passage qui suit immédiatement le port, dans les pentes herbeuses, pourra impressionner celles/ceux à qui des versants sensiblement raides font trembler les jambes. Allez, disons-le, il y a quand même un peu d’ambiance sur le final. Enfin, quand bien même des cairns et des marques jaunes se retrouvent sur l’arête, une seconde d’inattention pourrait vous emmener dans des difficultés rocheuses supérieures au II. Ne vous y engagez pas et revenez prudemment sur vos pas pour les éviter par de prudents contournements en versant sud.

Je termine par les conseils classiques : un check météo avant de partir pour éviter de se prendre l’orage sur le coin du nez là-haut. Je vous assure c’est moyen ! Globalement, et sans parler foudre et éclairs, évitez le sommet un jour de pluie. La glissade n’y serait pas pardonnée. À l’inverse sous le soleil de l’Ariège, la crème solaire et une protection pour la tête me paraissent essentiels. Tout comme être chaussé en adéquation avec votre expérience et votre pratique de la montagne. Et n’essayez pas vos chaussures neuves ce jour-là !

Saisonnalité

L’ascension du Pic de Tristagne peut-être réalisée dès que la neige a disparu. Cela correspond plus ou moins à la période d’ouverture du refuge, soit mi-juin. Elle peut être effectuée jusqu’au retour de l’hiver, généralement donc jusqu’à la mi-novembre maximum.

Pour en Faire Plus

Les chasseurs de trek seront ravis de savoir que Fourcat et le Pic de Tristagne sont la surface visible d’une itinérance bien plus longue appelée Els Gegants de les 3 Nacions – Les Géants des 3 Nations, traduction gratos pour les moins à l’aise d’entre vous en espagnol ! 5 refuges, 70 kilomètres et 6000 mètres de dénivelé pour s’enquiller les paysages de la Catalogne, de l’Andorre et de l’Ariège. Trois territoires et trois sommets à gravir – d’où le nom des Trois Géants – que sont le Pic de Tristagne donc, la Pica d’Estats et la Comapedrosa. Un itinéraire à réaliser en 6 jours entre juillet et septembre. Plus d’infos sur le site officiel des Géants des Trois Nations.

Hébergement

Refuge de l’Étang Fourcat

Le meilleur pour la fin, c’est évidemment le refuge de l’Étang Fourcat où je suis passé deux fois à 20 ans d’écart dans ma vie et où j’ai chaque fois vécu une expérience humaine précieuse et rare. Il y a de la magie dans ce lieu, une énergie saine et des valeurs. C’est un plaisir chaque fois renouvelé de s’arrêter au Fourcat. On pourrait presque décider d’y vivre. Les gens qui l’habitent sont tout aussi beaux que l’endroit. C’est sincère et je les en remercie. Conjugué à la montagne, ce sens de la disponibilité et de l’échange, de la simplicité et du sourire, est bien trop rare pour ne pas être cité en éloge ici. Je ne monterais là-haut que pour ce plaisir. J’espère que vous ressentirez la même chose en vous y arrêtant. Les tarifs ? 20 euros la nuitée et 48 euros la demi-pension, hors réduction. Infos et réservations sur le site du refuge de l’Étang Fourcat.

Remarque : les informations données dans cet article sur le Pic de Tristagne engagent uniquement la responsabilité de l’utilisateur/rice sur le terrain qui saura les adapter à son niveau et à son expérience. Carnets de Rando ne saurait être tenu responsable de tout accident survenant suite à un mauvais usage de cet article ou à une mauvaise appréciation du niveau du/de la pratiquant(e) par rapport à celui requis.
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