Ouverture officielle de la saison d’hiver 2024 pour Carnets de Rando ! L’heure est à la conquête d’objectifs locaux et, si possible, pas trop loin de chez nous. C’est comme ça qu’on s’est retrouvé avec les raquettes à Chaillol alors qu’on avait initialement prévu de le faire à… Ancelle. L’hiver étant ce qu’il est, à savoir un drôle d’oiseau n’arrosant pas d’or blanc tous les massifs, ni même les versants, de manière égale, il a fallu chambouler nos plans. C’est ainsi que le col du Viallet s’est retrouvé en haut du panier, motivant l’exploration de la semaine présentement consignée ici. Une vraie bonne surprise dont je n’attendais pas spécialement grand-chose et qui, en retour, m’a offert beaucoup, comme vous le découvrirez en lisant le récit de cette expérience gratifiante.
Difficulté montée : moyen | Niveau : moyen | Distance : 5,5 km | Dénivelé : 635 mètres | Durée : 3h20 | Carte : IGN TOP25 1/25000è 3437OT Champsaur
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DE L’ART DE SAVOIR IMPROVISER
Il n’y a pas vraiment foule à Chaillol ce jour-là lorsque le RAV4 déboule sur le parking terminal de la petite station champsaurine. Raphaèle dort comme un loir côté passager. Classique. Contact coupé, je m’attaque donc en silence à l’observation de ce lieu que je découvre pour la première fois et qui n’a pas franchement l’allure d’une usine à gaz.
À la veille du premier week-end d’ouverture, Chaillol apparaissait plutôt comme un lieu à taille humaine où il devait faire bon skier. Et aussi prendre le soleil, vu l’exposition plein sud. Je n’avais pas prémédité ce matin qu’on se retrouverait ici. En réalité on aurait plutôt dû se trouver en face, de l’autre côté de Saint-Léger-les-Mélèzes.
J’ignorais qu’il serait ambitieux d’imaginer démarrer à 1300m en ce début décembre dans les Hautes-Alpes. D’aucun affirmeront que j’avais sans doute été un peu naïf de croire en l’inverse.
J’avais le Cuchon en tête pour notre première sortie officielle de l’hiver. Je voulais attraper sa face sud depuis Ancelle, à raquettes. Encore aurait-il fallu qu’il y ait de la neige pour ça ! En adret, le lascar était aussi sec qu’un maquis corse en plein été et ce quasiment jusqu’au sommet !
Pour espérer la neige il aurait plutôt fallu miser sur la Petite Autane, juste derrière. Avec ses 500 mètres de plus, l’Autane chantait un tout autre refrain et arborait une moitié de robe d’hiver quand le Cuchon était encore à poil. Mais s’y engager de ce côté avait l’air assez périlleux.
« On peut monter quand même au Cuchon, hein ? » proposa Raf qui était encore réveillée à ce moment-là. No way ! Je n’avais pas roulé depuis Aix, motivé par la neige, pour me retrouver à clampiner sur 700m de pelouses hirsutes et décolorées ! Autant attendre le printemps pour faire le doublé Cuchon + Petite Autane. J’aurais l’impression de salement saborder le spot autrement !
Je repensai alors, aussi subitement qu’inexplicablement, à ce sommet pyramidal et joliment esthétique, lorgné depuis la route en revenant de Champoléon l’été dernier. Comment est-ce qu’il s’appelait déjà ? Je le pistai sur l’IGN parce que je me rappelais parfaitement où le chercher. C’était le Pic Queyrel, à 2435m d’altitude.
Il me fallait un plan B. Et vite. Et aussi pas trop loin. Et avec un départ suffisamment haut. Je scrutai, scrollai, explorai alors IphiGéNie, perdant Raf dans la bataille qui se mit à pioncer, en mode hibernation
En partant depuis Chaillol, déjà perché à 1600m d’altitude, il y aurait peut-être moyen de faire un truc. L’étau se resserrait en même temps que l’heure tournait. J’arrêtai de chercher le plan parfait et rallumai le contact. Grimpons déjà à Chaillol et faisons de notre mieux pour monter ensuite le plus haut possible.
Je fis également le deuil d’une possibilité de boucle : ça risquait d’être vraiment trop compliqué. Les lecteurs/trices assidu(e)s que vous êtes savent pourtant à quel point je suis attaché aux boucles. Je lâchai néanmoins prise, passai la première et lançai la voiture en direction de Chaillol.
MISE EN ROUTE ET MISE EN JAMBES
Une vingtaine de minutes sont nécessaires pour monter depuis Ancelle. Midi n’est plus très loin lorsque Raf ouvre finalement les yeux. Je lis dans son regard encore ensommeillé interrogeant l’extérieur en quête de réponses la sensation d’avoir été brutalement téléportée.
« On est où ? » articule-t-elle à voix basse. « À Chaillol », réponds-je sans plus d’explication. « On va manger avant de décoller », j’ajoute. Autant se débarrasser de ça tout de suite, au sec, et ainsi profiter de ce qui reste de cette journée en s’épargnant un inévitable arrêt le cul dans la neige. Raf acquiesce en s’étirant longuement.
La neige avait l’air de vouloir répondre présente à Chaillol. Tout du moins sur les pistes : merci les canons. À l’altitude du départ, l’enneigement se révélait en réalité encore largement insuffisant et le blanc prenait la couleur de la boue soulevée par le passage régulier des engins à moteur.
Le pique-nique sera plié assez vite et on s’équipe tout aussi rapidement. Les raquettes, pour l’instant, sont conservées à la main, le temps d’atteindre le chemin forestier qui circule en coulisses de la station, juste derrière l’antenne relais flanquant les hangars des services techniques.
L’hiver, ce chemin est une piste bleue opérant la liaison vers la station depuis les téléskis des Cognets et de l’Abeil. Pour l’instant ce n’est qu’un sillon à la viabilité hésitante qui rejoint péniblement le pied des pistes éponymes, en lisière de forêt (1). Des perchmans du domaine s’y activent comme des fourmis en vue de l’ouverture imminente.
On chaussera ici, c’est décidé. La piste des Cognets, qu’il allait falloir remonter, déroule sa rampe de neige impeccablement travaillée par la dameuse. « Sûrement plus amusant à descendre qu’à monter ! », me dis-je en attaquant la pente frontalement.
Je n’aime pas traîner en mode piéton sur les pistes. Ça me donne l’impression de marcher au bord d’une route. Trop lisse. Trop aseptisé. Et heureusement provisoire. Je guette ainsi une ouverture parmi les arbres. En l’occurence celle du chemin d’été qui serpente dans le Bois de la Lauzière pour raccorder, plus haut, la piste forestière reliant, d’est en ouest, les deux micro-retenues d’eau de la station.
Tout ici faisait immédiatement plus hivernal, à commencer par les branches nues des hêtres surlignées d’une épaisseur de neige. Comme on rentre en douceur dans l’eau, on se laisse ici progressivement pénétrer par l’ambiance de la forêt.
Je trouve ce que je cherche dans la courbe de la piste. S’éclipsant discrètement du domaine skiable, un chemin plonge sous les arbres, en tête-à-tête avec la nature. Ici la neige est vierge, naturelle et étonnamment abondante. Les cris de pics invisibles se substituent au bruit des perceuses, résonnant dans des sous-bois d’où a été évincée la silhouette carcérale des pylônes.
Plus haut, au niveau du point coté 1751 (2), apparaît, comme je l’espérais, le fameux chemin forestier qui se balade sur la courbe de niveau. Un bref répit dans le dénivelé qui, tout en courbes et en douceur, va nous permettre de rejoindre le haut d’une épaule accueillante, un peu à l’écart de l’arrivée du téléski des Cognets.
Un poteau signalétique, surchargé de directions, y est planté, desservant les étages supérieurs de Chaillol (3). C’est un carrefour de chemins essentiel pour aiguiller les marcheurs/ses en route pour d’autres objectifs, plus lointains et plus complexes, voire même itinérants.
Je repère ainsi la balise blanche et rouge traditionnellement associée aux GR®. Ici c’est le GR®50 « Tour du Parc National des Écrins », un tracé de 371 kilomètres pas si connu que ça, car férocement phagocyté par le GR®54 sur lequel sont plus souvent braqués les feux des projecteurs.
Hiver comme été, à la journée ou en itinérant, Chaillol et son réseau de sentiers constituent un point de départ ou une étape vers de nombreux objectifs, modestes comme ambitieux
Fer de lance de la communication du Parc des Écrins quand on parle d’itinérance, il faut concéder au « 54 » une identité alpine marquée qui explore le coeur du massif et séduit les aspirants trekkeurs/ses là où le tracé du « 50 » se contente d’explorer sa périphérie.
Arrivant ainsi de Champoléon depuis le col de la Vénasque, le GR®50 visite ici les hauteurs de Chaillol pour filer ensuite en direction du Valgaudemar, appuyé contre le pied de la ceinture de reliefs champsaurins. J’avais prévu d’en emprunter un très court segment pour rejoindre le col du Viallet.
EN RAQUETTES DANS LE BOIS DE LA LAUZIÈRE
Le chemin, plus resserré, se prolonge maintenant dans une forêt mixte davantage aérée. Un piéton sans raquette, passé avant nous, y a laissé une trace irrégulière qui me donne l’impression de vouloir communiquer en morse avec nous.
Je profite des raquettes pour aplanir et travailler le passage un peu plus proprement pour les suivants. Je me remémore, à cette occasion, ce jour déjà ancien où je m’étais fait pourrir par des skieurs de randonnée parce que je progressais en raquettes sur leur trace de montée. C’était dans Belledonne et ça m’avait grave gonflé.
Il y a un côté élitiste dans le comportement de certains usagers de la montagne. L’établissement tacite d’une hiérarchie des pratiques. La même que j’ai déjà pu également observer entre les cyclistes sur route et les VTTistes. Tout ça me gonflait profondément.
À la différence du pied, qui laisse derrière lui de vilains trous, la portance de la raquette tasse et laisse derrière elle un sillon sensiblement propre. En tout cas très largement utilisable par un skieur de randonnée sans qu’il soit nécessaire de cloisonner les usages ou, encore moins, d’engueuler un randonneur à raquettes.
Je suis en train de ruminer ces souvenirs lorsque, au détour d’un bref lacet et de ce qui ressemble à un passage en corniche, surgit l’intersection des Cougnets (4). Un PR jaune poursuit au-delà à flanc, vers le col de la Pisse, point de bascule vers la vallée de Molines ou l’ascension du Vieux Chaillol. Absolument pas notre direction.
On poursuit par la gauche en continuant sagement de suivre le tracé du GR®50. À la faveur d’un versant plus raide, la forêt se clairsème doucement tandis que le rocher s’immisce dans le décor, annonçant la mutation à venir du paysage. Pour l’heure, le mélezin fait un baroud d’honneur, avalant nos espoirs de voir plus loin que derrière ses troncs.
On vient de dépasser les 2000 mètres et, à altitude égale avec le Cuchon, les adrets sont ici tapissés d’une épaisse couche de neige sous laquelle disparaît l’habituel fouillis de branches cassées, d’écorces rongées et d’humus mousseux des forêts.
Ne subsistent que des arrondis voluptueux et scintillants qui confèrent au lieu une harmonie toute particulière en hiver. On y calligraphie dans la neige une trace soignée jusqu’à croiser l’intersection de la Lozière (5). Le GR®50 y poursuit sa route vers la Motte-en-Champsaur en passant en versant sud du Pic Queyrel.
Avec un peu plus de temps devant nous, peut-être aurait-il été possible de suivre ce chemin pour bifurquer ensuite vers le col de l’Escalier et imaginer ainsi une boucle retour par celui de Viallet ? Un scénario strictement impensable aujourd’hui, évidemment. Je tourne donc le dos au GR® pour prendre à droite la direction du col du Viallet.
MYSTÈRE DES TEMPS HORAIRES ET MAGIE DE L’ALTITUDE
« Il est plus très loin ce col tu as vu ? » me dit Raphaèle en avisant le poteau signalétique. 35 minutes pour 1,7 kilomètre sont en effet annoncés par celui-ci. Je m’essaye à un rapide calcul mental : il est un peu plus de 14h ; ce qui nous ferait donc une sortie au col aux alentours de 14h40. Il restera ensuite 200m de dénivelé jusqu’au sommet du Pic Queyrel et aussi un peu de distance.
J’ignorais évidemment à quoi ressemblerait l’arête qui reliait le col au pic tout comme je faisais confiance aux informations données par la signalétique. Aussi, à ce moment-là, la perspective d’atteindre le sommet ne me paraît pas totalement impossible. Pour jouer la carte de la sécurité, j’accélère donc le rythme. Sauf que ça ne répond pas derrière…
Attention car, en hiver, les temps indiqués sur les poteaux de signalétique n’ont plus forcément cours. Un fait à prendre en compte quand on a besoin d’estimer la durée finale approximative de sa sortie !
Ça faisait un bail que ni Raf, ni moi, n’avions pas rechaussé les raquettes. Et, pour elle davantage que pour moi, les retrouvailles avec ce mode de progression sont plus exigeantes. Je comprends immédiatement qu’on n’ira pas plus vite. Mais je ne lui mets pas la pression pour autant. Si on doit finalement ne se contenter que d’un aller-retour au col, ça me va aussi.
Car la section qui sort au-dessus des Cougnets s’avère en effet aussi superbe que lumineuse. Elle mérite largement, et à elle seule, le coup d’oeil. Au niveau du point coté 2055 de l’IGN, le sentier évolue ainsi sous une solide formation rocheuse d’où renfle un toit massif supportant un assemblage d’éléments curieusement érodés. Impressionnant.
Le mélèze ne se risque plus dans ce versant qu’en de rares poignées éparses ou en individu isolé. À sa place apparaît une formation de petites tours rocheuses dont les reliefs de pierre sombre sont marbrés de neige. On n’est pas loin de l’oeuvre d’art, de l’expression du génie artistique de la Nature. Sur la carte, l’endroit porte le nom « les Aiguilles ».
C’est une vision modeste, évidemment – ce n’est quand même pas Bryce Canyon aux USA ! – mais, accompagnée par la soudaine ouverture paysagère, elle crée une rupture enthousiasmante dans l’ambiance de la randonnée. La présence de la neige vient renforcer le sentiment de respirer la montagne à pleins poumons. Sans transition, une frontière a définitivement été franchie.
On évolue sur un balcon suspendu au-dessus de la plaine du Drac. Une vision rendue fragmentaire par des panaches de brume qui commencent à flotter, accrochés à la cime des mélèzes, en contrebas. En me retournant pour prendre Raf en photo, je remarque pour la première fois le sommet du Pic Queyrel, encore bien au-dessus de nous.
Vu d’ici, la crête enneigée qui y conduit depuis le col du Viallet – ce dernier restant invisible depuis ma position – n’affiche rien qui ne semble hostile ou compliqué. Une fois de plus c’est surtout l’horaire qui risque de jouer contre nous pour l’atteindre dans des délais satisfaisants.
La trace continue ensuite sa patiente ascension à flanc, s’incurvant en même temps que le versant pour aller rejoindre le pied d’un imposant arrondi rocheux. Celui-ci ferme une sorte d’arête tirant sud-est depuis le col. Encore un passage qui a sérieusement « de la gueule » (6).
Après s’être enroulée autour d’un lacet, la trace nous renvoie illico nord-ouest, dans l’axe de ce col du Viallet qu’on ne distingue toujours pas. En revanche, la pente sur ce versant s’affirme davantage et va atterrir entre deux barres rocheuses qu’elle traverse en s’appuyant contre le pied de la plus haute.
Dans le rétroviseur, un sommet aux formes impressionnantes pointe maintenant au-delà de l’horizon d’une crête enneigée voisine. Je ne le savais pas encore à ce moment-là mais il s’agissait en fait de « deux » sommets : celui de la Pointe sud de la Venasque et celui de Soleil Boeuf que nous découvririons d’ici quelques semaines à l’occasion d’une sortie à ski de rando au Palastre.
La barre rocheuse marque le début des tout derniers mètres avant le col du Viallet, qui sont aussi les plus engagés, toute proportion gardée bien sûr ! Je dégaine cet adjectif dans le récit car je me rappelle m’être fait la réflexion que le cheminement resserrait ici ses rangs, nous poussant à changer plus souvent de cap dans des espaces drastiquement plus réduits. Et aussi parfois un peu plus raides.
C’est particulièrement le cas du couloir final, plombé par suffisamment de neige ce jour-là pour faire disparaître les coulées de pierre qui l’encombrent en temps normal. Une trace de fortune, toujours ouverte par notre marcheur inconnu, l’escalade tant bien que mal à coup de conversions maladroites. Un véritable champ de mines que j’assainis avec les raquettes du mieux que je pouvais.
« Ça risque rien ? » demande Raphaèle dans mon dos. A priori non, ça ne risque rien à ce moment-là. Tout a l’air parfaitement stable et un sondage au bâton ne nourrit aucune inquiétude particulière. C’est encore un beau passage de montagne, encadré d’arcs-boutants rocheux poudrés de neige. Dans l’un d’eux, une brèche fermée par deux blocs en opposition y crée un puits de lumière inattendu.
Avec le ressac de la désormais épaisse mer de nuages qui ondule en lentes vagues cent mètres en-dessous de nous, le tableau est tout simplement incroyable. Je l’accueille avec gratitude, convaincu que grimper jusqu’au sommet du Pic Queyrel ne nous apportera dorénavant rien de plus. Une émotion d’autant plus sincère que je n’attendais pas autant d’une sortie bricolée à la dernière minute.
Il faut encore brasser sur les ultimes mètres, sorte de petite cuvette d’entre-col, zone tampon entre le versant sud et le nord. Ce qui ressemble à une congère obstrue le passage vers le panneau matérialisant le col du Viallet (7). On l’escalade tant bien que mal en s’assurant auparavant de ne pas risquer de basculer accidentellement en face nord. Nous y sommes !
RÉVÉLATION ET INSPIRATION
Les pas de l’inconnu ne vont pas plus loin qu’ici. Aucune trace ne descend ou ne monte depuis Molines et les pentes sévères qui s’effondrent sous le sommet de la Pointe du Lingustier n’inspirent pas franchement confiance pour tenter d’en faire une.
Mes yeux se posent sur tout un pan des Écrins sud, intégré au Champsaur, que je ne connais ni d’Ève, ni d’Adam. Ce bloc massif, qui remplit l’horizon, côté nord, doit ainsi être probablement composé du Pic de la Saume et de celui de Colle Blanche.
Face à cet horizon de sommets inconnus, j’avais l’impression d’avoir tourné la page d’un grand livre et d’être tombé sur ce genre chapitre, méchamment prometteur, qu’on avait envie de dévorer tout de suite.
Plus à l’ouest PeakFinder identifie le Chaperon et le Banc du Peyron, deux sommets de la Montagne du Petit Chaillol que j’avais eu l’occasion de remarquer dans des comptes-rendus du web. Et d’inscrire illico dans les itinéraires à faire dès que possible par la même occasion. Les voici donc enfin, en chair et en roc.
« J’ai l’impression qu’on a trouvé de quoi nous occuper un moment dans ce secteur », dis-je à Raphaèle qui me rejoignit prudemment tout en acquiesçant. « On fait quoi maintenant ? » avance-t-elle alors dans la conversation. Question pertinente à laquelle il fallait falloir s’atteler.
Je regarde derrière moi, vers la gauche, pour inspecter rapidement cette zone de creux, de bosses et de chaos rocheux qui sert d’amorce à l’arête orientale du Pic Queyrel. Anarchique et naturellement peu engageante vu d’ici. Rien qui ne permette en tout cas de statuer rapidement sur la question.
Il est déjà plus de 15h30 et on doit absolument être de retour à la voiture à 17h, dernier délai. Il faut se rendre à l’évidence : ça ne peut décemment pas passer. Plus proche, en distance comme en dénivelé, la Pointe du Lingustier aurait pu être un joker à abattre en seconde option.
L’humilité s’imposait. Être trop gourmand aurait pu faire basculer un scénario jusqu’à maintenant très largement idyllique vers un dénouement autrement plus calamiteux.
Un coup d’oeil à sa ligne d’arête grossière et accidentée, enneigée à outrance, ouvrant sur deux versants bien trop raides pour y risquer la moindre glissade me convainc cependant de ne pas tenter le diable. On était, je le sentais, dans ce cas de figure où il est sage de savoir rester humble. J’annonce donc le demi-tour.
« Tu es sûr ? Tu ne vas pas être déçu ? », me demande Raf qui me connaît décidément par coeur. Je lui expose alors ma théorie sur la gourmandise après lui avoir répondu que non. Et je suis sincère. Tout ça a, bien au contraire, ouvert grandes les vannes de ma créativité.
Je me projette déjà en été avec un tour assez dingue qui pousserait jusqu’au Cuchon – un autre ! – par ces petits sentiers noirs que j’apercevais sur l’IGN. Retour par les crêtes et le col de l’Escalier et descente côté Molines pour remonter par le col du Viallet. On pourrait alors faire le sommet du Queyrel ? À moins de trouver le passage dans les vires de sa face sud ? Je lirai en effet plus tard que ça passait.
Alors oui, ça me va si on redescend maintenant et qu’on tient l’horaire pour être à l’heure à la voiture et, par extension, pour récupérer Ambre chez les amis qui, d’ici une heure, vont aller la chercher à la sortie de l’école. On repart donc dans nos propres pas, occasion supplémentaire de nettoyer la trace de montée et de laisser derrière nous un passage royal pour les prochains.
Tout ce coin m’inspirait. J’avais envie de tout faire, de tout explorer, de tout grimper ! Aujourd’hui était le prologue parfait pour une entrée en douceur dans l’hiver. Le résultat avait cependant largement dépassé mes attentes.
La mer de nuages est maintenant stabilisée au niveau des 2000 mètres, étreignant de ses doigts brumeux le curieux totem monolithique qui semble contempler la vallée dans une posture muette. On reste ainsi sensiblement au soleil jusqu’à l’intersection de la Lozière. Au-delà c’est le retour à la forêt.
À cette heure, elle baigne déjà dans l’éclat froid et bleuté d’une fin de journée de décembre. Il aurait vraiment été imprudent de penser pouvoir aller jusqu’au Queyrel et de revenir avant la nuit… La nuit est en effet déjà presque sur nous lorsqu’on dépasse les téléskis des Cognets et de l’Abeil, tout en bas de la descente.
Derrière des versants déjà rongés par l’obscurité, c’est toute la plaine du Champsaur qui se retrouve assombrie en quelques minutes. Un bandeau de ciel pastel emporte, derrière Céüze et le Dévoluy à l’ouest, le peu qui reste encore de jour. Ce n’est plus qu’une question de minute avant la tombée du rideau.
Chaillol se prépare à se figer le temps d’une nouvelle révolution terrestre. On atteint la voiture à l’instant même où un dernier éclat lumineux s’évanouit derrière le Pic de Bure. Il est exactement 17h : timing parfait pour journée de rêve. On revient quand déjà ?
Le Col du Viallet à raquettes : Guide Pratique
Venir dans le Champsaur
Pris en tenaille entre le Dévoluy, à l’ouest, les Écrins, au nord et à l’est et le Gapençais, au sud, le Champsaur – souvent associé au Valgaudemar avec lequel il partage son identité touristique – s’enroule autour du Drac, qui y prend ses sources par l’union du Drac Noir, venu de Prapic, et du Drac Blanc, issu de la vallée de Champoléon.
Pour le rejoindre, il faudra nécessairement emprunter la N85, alias Route Napoléon, en venant soit de Gap par le sud – accessible par l’A51 depuis la Provence – soit de Grenoble par le nord – accessible par l’A48 ou l’A41. Un réseau routier bien ficelé permet ensuite de rejoindre facilement les différents points de départ de randonnée du massif. Communément, la « grosse » ville du Champsaur est Saint-Bonnet.
Accéder à Chaillol
Depuis Gap : suivre la direction Grenoble et la N85 via la route du col Bayard. Sur celle-ci, tourner à droite par la D944 direction Chaillol et Ancelle. Au rond-point du col de Manse, tourner à gauche direction Saint-Bonnet. En bas de la descente, continuer par la D944 direction Orcières et Chaillol et rejoindre l’entrée de Chabottes. Peu de temps après, quitter la D944 complètement à gauche pour la D945 direction Chaillol. La route fait plus loin un angle à droite et franchit ensuite le Drac. Peu après tourner à droite par la D43 direction Chaillol. Suivre intégralement cette route pour atteindre la station et monter tout en haut de celle-ci jusqu’au dernier parking, place de la Bagatelle.
Depuis Grenoble : suivre la direction Gap en rejoignant la N85 au niveau de Vizille. Quelques kilomètres après la Fare-en-Champsaur, quitter la Route Napoléon et suivre à gauche la D14 direction Saint-Laurent-du-Cros. Traverser le village, dépasser plus tard Forest-Saint-Julien et atteindre l’intersection avec la D944. La suivre à gauche direction Orcières et Chaillol et rejoindre Chabottes. Se reporter aux informations du paragraphe « depuis Gap » ci-dessus pour aller ensuite jusqu’à Chaillol 1600.
Option mobilité douce : il faudra d’abord rejoindre Gap en bus ou en train, à votre guise. Ensuite c’est direction Saint-Bonnet en bus avec la ligne Zou! 528. De là il est possible d’attraper une navette gratuite pour les skieurs avec trois rotations par jour depuis Saint-Bonnet. Attention cette navette ne circule que pendant les vacances scolaires de Noël et de février de la zone B ! Réservation obligatoire au 04 92 50 48 19.
Col du Viallet : description de l’itinéraire suivi
Si besoin, j’ai retracé l’itinéraire sur VisuGPX. Je peux vous transmettre le fichier GPX à la demande par mail. Contactez moi à l’adresse contact@carnetsderando.net
Se diriger vers l’extrémité du parking, dos aux pistes, pour emprunter le chemin de Queyrel. Il débouche sur un vaste parking. Remonter à droite par un large chemin et croiser un autre large chemin (poteau signalétique). Suivre la flèche du haut et la direction Ravin du Clos.
À l’intersection de Ravin du Clos (poteau signalétique) continuer tout droit par le large chemin et s’élever jusqu’à atteindre les téléskis des Cognets et de l’Abeil (1)
Monter par la piste des Cognets (celle de droite) en restant plutôt côté gauche de celle-ci. Dans le virage, en face du 4ème canon à neige depuis le départ du téléski, la quitter pour emprunter un large chemin ouvert dans le sous-bois. Le remonter jusqu’à une intersection (point coté 1751) (2).
Tourner à droite jusqu’à dépasser une barrière forestière. Continuer tout droit jusqu’au poteau signalétique du Clot Chenut (3).
Tourner à gauche en suivant le GR®50 et la direction Les Counitz et col du Viallet : monter d’abord par une piste entre les arbres, en croiser une autre qu’on traverse pour poursuivre en face. Plus haut, laisser la piste arrondir à droite vers une arrivée de télésiège et emprunter le sentier qui part en s’élevant à gauche dans la forêt. Le suivre jusqu’à l’intersection des Counitz (4).
Tourner à gauche en suivant la direction La Lozière et Col du Viallet. Atteindre le poteau signalétique de La Lozière (5).
Quitter le GR® et prendre à droite la direction col du Viallet. L’itinéraire s’élève à flanc jusqu’à atteindre le pied d’une haute corniche rocheuse. (6)
Suivre le lacet opéré à cet endroit là et poursuivre en s’élevant à flanc toujours. Franchir le passage entre les barres rocheuses. Arriver bientôt en vue du couloir final. Remonter celui-ci et atteindre le col du Viallet. (7)
Descente par le même itinéraire.
COL DU VIALLET : RECOMMANDATIONS PARTICULIÈRES
Risque avalanche : il reste indispensable, hiver oblige, de consulter en amont le Bulletin Neige et Avalanche de Météo France. On reporte naturellement sa sortie en cas de risque 4 à 5 et on reste extrêmement vigilant si on s’aligne sur un jour à risque 3. Rappelez-vous que le risque zéro n’existe pas. Même si on se sent plus serein avec des risques 1 et 2, on reste vigilant et on évite de partir sans le matériel de sécurité adapté à la pratique hivernale de la montagne en dehors des domaines sécurisés.
Suivi du tracé : en hiver, avec la neige, le balisage au sol peut parfois manquer. Il reste néanmoins la signalétique physique en place – poteaux directionnels – aux intersections et des balises sur le tronc des arbres, tout du moins dans la partie forestière de l’itinéraire quand celui-ci suit un chemin balisé. Il est également possible que la trace décrite existe physiquement lors de votre passage parce qu’elle aura été précédemment empruntée par d’autres randonneurs.
L’autre scénario possible est qu’elle ait été effacée par de récentes chutes de neige. Si vous n’êtes pas à l’aise ou familier de l’ouverture d’un chemin en neige et/ou que vous doutez de votre aptitude à suivre la trace sans vous égarer ou risquer de passer au mauvais endroit, ne tentez pas le diable. Vous pouvez, dans ce cas, vous adresser en amont à un accompagnateur en montagne. Je joins donc à cette recommandation le lien vers le site des Accompagnateurs en Montagne du Champsaur.
Remarque sur les temps horaires l’hiver : lors de notre ascension vers le col du Viallet, Raphaèle a été surprise qu’on mette largement plus de temps que celui indiqué sur les flèches signalétiques. Notamment au poteau de La Lozière qui signalait un temps de 35’ pour atteindre le col. On en a mis presque le double. Bon je pense par ailleurs que, même sans neige, le temps donné reste assez sec ! Je ne suis pas certain qu’on aurait mis 35’ même sans neige. Il faudra confirmer ça l’été venu. Tout ça pour dire surtout que, l’hiver, ne prenez pas les temps horaires donnés pour argent comptant !
HÉBERGEMENT ASSOCIÉ
Si vous venez de plus loin que nous et que vous avez envie de dormir sur place, l’adresse « rando » de Chaillol c’est le gîte le Chamois, chez Brigitte et René, qui est ouvert toute l’année. Dans une coquette petite maison haute-alpine, vous serez hébergé dans l’un des trois dortoirs du gîte et à même la station. À pied-d’oeuvre donc pour vous lancer dans une aventure à raquettes ou à ski de rando au départ de Chaillol 1600. À table produits locaux et de saison vous attendent pour un bon repas du soir. Réservation conseillée en utilisant le formulaire de contact sur le site ou par téléphone au 06 67 23 93 02.
Bel article !
Au-delà des conseils pratiques, j’apprécie surtout le récit que tu fais. Cela donne du corps à la rando. Et je me réjouis de voir qu’il existe des blogs dont on sent qu’il y a un soin et un plaisir pour l’écriture.
Merci !
Hello Gauthier !
Bonne année à toi au passage ! Et merci de me convaincre que l’écriture a encore de beaux jours devant elle face à la prolifération de contenus vite tapés, vite publiés. L’expérience de la lecture peut aussi être source d’inspiration. Elle l’est chez moi en tout cas ! Et, à l’heure où de plus en plus de blogs ont tendance à se ressembler, je suis content de poursuivre avec une voix propre et, j’espère, un peu différente pour les lecteurs/trices. Au plaisir Gauthier 😉
Amicalement,
David
Très beau récit bien écrit et surtout bien détaillé ! Magnifique les paysages surtout avec cette belle neige ! Peut-être qu’on viendra faire un tour l’hiver prochain 🙂
Hello à tous les deux,
Merci d’avoir pris le temps de le lire ! Faudrait que j’apprenne à faire plus court un de ces jours. À l’heure où le temps d’attention des gens atteint des seuils dangereusement bas, je persiste à écrire des récits qui demandent parfois plus de 10mn de temps de lecture. Le mec qui va à l’inverse de son époque haha. En tout cas le Champsaur et les Écrins sud, ça vaut le coup été comme hiver. Je suis certain que vous y trouverez de quoi vous amuser. 😉