Nichée bien au-dessus du verrou glaciaire barrant le fond de la vallée de Freissinières, Dormillouse a des allures de bout du monde. Et quand l’hiver vient, que les cascades se figent dans la glace, que les congères emprisonnent la route et que les vallées enneigées se muent dans le silence, le petit hameau des Écrins joue d’autant plus les Robinson et cultive l’isolement comme un art de vivre. Trois gites y accueillent néanmoins promeneurs, skieurs et randonneurs en route certain(e)s pour des aventures d’envergure vers les sommets lointains marquant la frontière entre Pays des Écrins et Champsaur. J’ai passé une nuit dans l’un d’entre eux à l’occasion d’un week-end à raquettes entre amis. Un avant-goût pour nourrir des ambitions plus grandes.
Difficulté : assez facile | Distance : 16 km | Durée : 6h15 ou 2 jours | Dénivelé : 540m
SITUATION & ACCÈS
Dormillouse est unique en son genre. Par son altitude d’abord : c’est le hameau le plus élevé de la vallée mais c’est surtout le seul habité à l’année en zone coeur du Parc National des Écrins. Et comme si cela ne suffisait pas déjà à en faire un objet de curiosité, Dormillouse pousse la singularité à ne pouvoir s’atteindre qu’à pied. Nulle route n’y conduit. Rien que des sentiers. Et, lorsque l’hiver est là, le départ est forcé de reculer bien plus en aval du Pont des Oules, terminus de la route d’été. Pour certains, sans l’équipement requis, il faudra alors se stationner à l’entrée du petit bourg des Violins.
Pour venir jusque là, il faudra suivre la Durance et la N85 – depuis Gap ou Briançon – et rejoindre la Roche de Rame. Juste après la commune – en venant de Gap, donc l’inverse en venant de Briançon – passer sous la voie ferrée en suivant l’indication Freissinières via la D38. Juste après monter à gauche par une rampe raide qui rejoint Pallon. Après le pont sur la Biaisse, suivre la D38b direction Freissinières et continuer tout droit jusqu’aux Violins. Les véhicules sans équipement hivernal s’y stationneront. Les autres pourront aller jusqu’au Pont du Laus.

DIFFICULTÉ & RECOMMANDATIONS PARTICULIÈRES
Sans non plus pouvoir être qualifiée de difficile, la montée vers Dormillouse sera vécue différemment d’une personne à l’autre. Si la progression en fond de vallée jusqu’au Pont des Oules ne pose aucun problème, la pente qui franchit le verrou glaciaire pourra surprendre par sa raideur.
Lorsque la trace est en place, elle passe plutôt bien, d’autant qu’elle n’est pas si longue. L’exercice sera plus compliqué en l’absence de trace. Ouvrir alors la voie sera réservé aux personnes familières de la raquette et pourvues d’un bon sens de l’itinéraire.

Une fois à Dormillouse, évoluer dans le vallon de Chichin reste une entreprise plutôt safe et dont la difficulté tiendra essentiellement, là aussi, à l’existence ou pas de trace(s). En revanche s’aventurer dans les versants plus raides qui l’encadrent n’est pas recommandé.
Ne surestimez ni votre forme, ni l’horaire en vous enfonçant trop profondément dans le vallon de Chichin qui est particulièrement long jusqu’au col de Freissinières. Si vous estimez ne pas avoir pas les connaissances suffisantes en ce domaine, faites appel à un(e) professionnel(le) pour marcher l’esprit libre.
On est ici en terrain montagne hivernal : la consultation au préalable du Bulletin Neige et Avalanche de Météo France pour les Alpes du Sud et le secteur du Pelvoux est indispensable. Le port d’un DVA et de l’équipement associé – pelle et sonde – est également recommandé. Juste au cas où.
L’itinéraire évolue au sein du périmètre du Parc National des Écrins. Il est donc exigé d’en respecter la réglementation spécifique.

DORMILLOUSE : L’EXPRESSO-TOPO EN PHOTOS
DEMI-JOURNÉE #1 : LES VIOLINS – DORMILLOUSE
Difficulté : moyen | Distance : 6,7 km | Durée : 3h | Dénivelé : 430m
Réunion de potes surprise un matin de février au bar-tabac La Durance de l’Argentière-la-Bessée. On vient fêter les 40 ans de notre copine Agnès, à l’initiative de son homme qui a convié une quinzaine d’entre nous à participer à la fête. Au programme deux jours à raquettes au Pays des Écrins avec nuit au gîte de l’École de Dormillouse. Un cadeau original et à tendance sportive qui sied parfaitement à notre couple d’amis au pied résolument montagnard.
Une fois la petite troupe réunie, on converge en voitures d’abord vers Pallon puis jusqu’aux Violins par la petite D238 qui remonte le vallon de la Biaisse. Le déneigement ne va pas au-delà de l’entrée du hameau, imposant l’arrêt à qui ne dispose pas de l’équipement spécial requis. En gros presque tout le monde. Tristan – organisateur du week-end – nous invite donc à un départ depuis ici. Voilà qui devrait permettre d’envisager une phase d’échauffement avant l’ascension vers Dormillouse.

Depuis Les Violins, suivre la route jusqu’au Pont du Laus en passant par le hameau des Mensals.

Franchir le Pont du Laus et poursuivre par le chemin en rive droite qui remonte la Biaisse jusqu’au Pont des Oules.
Ici on est au pays de la cascade de glace et du ski de randonnée. On y croise plus facilement des skieurs au retour d’une course et des accros de la broche à glace que des promeneurs à raquettes. Il faut dire aussi que l’usage de celles-ci jusqu’au Pont des Oules n’est pas non plus forcément utile.
Initiez-vous à la cascade de glace sur la Tour de Glace de Freissinières : infos et réservation
Au-dessus de nos têtes la glace, accrochée à la roche comme une tique au cuir d’un chien, joue une mélodie inquiétante de craquements en sol mineur. On pose des regards mêlés de crainte et de respect sur cet univers polaire et vertical à l’apparence si fragile.


Regroupement au niveau du Pont des Oules. Au-delà, la notion de plat semble avoir perdu la partie. Rien d’autre pour s’échapper de ce cul-de-sac que l’ascension de ce massif ressaut glaciaire que deux cascades remarquables habillent joliment. À se demander par où passent les skieurs de randonnée pour atteindre les étages supérieurs qui desservent leurs objectifs de course encore lointains ?
C’est autour de l’une de ces cascades que se déploient les deux options pour atteindre Dormillouse. On opte d’un commun accord pour la forêt plutôt que pour un versant rocheux dont l’apparence plus hostile a tendance à rebuter les moins familiers à la pratique de la montagne. Dans tous les cas, il va falloir mouiller le maillot. Aussi j’emboîte le pas de la locomotive de tête qui attaque dans le vif du sujet et à un rythme suffisamment élevé pour mener à l’éclatement du peloton.
Depuis le parking du Pont des Oules, laisser le premier pont à main droite et attaquer la montée pour franchir le second. Suivre la trace qui s’élève en forêt jusqu’à une intersection et un poteau signalétique.

Aux abords des 1500m la trace s’aventure hors de la forêt pour amorcer la traversée de ce grand versant nord-est suffisamment ouvert pour permettre aux skieurs/ses d’y tracer quelques courbes bien senties. Pour nous autres, piétons, la traversée se fait avec moins d’emphase. Passé en tête à un endroit où la trace se fait moins nette, j’opte pour tirer sur la courbe de niveau, en direction de l’orée d’un petit bois de feuillus maigrichons de l’autre côté du versant.
Selon les conditions, il peut y avoir deux traces – correspondant au tracé des chemins estivaux sur l’IGN – pour converger vers Dormillouse. L’usage de la première (celle qui bifurque à flanc de versant vers 1570m) reste la plus intéressante : après avoir coupé entièrement le versant, elle se prolonge sous les feuillus avant de tourner en lacets jusqu’à déboucher dans une zone de prairies pentues, face aux Enflous, juste en-dessous du Bois des Chasals.

À la jonction avec un chemin tracé vers 1675m, suivre celui-ci à droite. Plus loin, arrondir en descendant légèrement en direction d’une série de petites passerelles. Franchir les deux premières et rejoindre une troisième, bordée d’un poteau signalétique, qui enjambe le torrent de Chichin.

Traverser la passerelle et s’élever encore d’une cinquantaine de mètres pour atteindre le gîte de l’École.
Le groupe recolle plus ou moins au niveau de la passerelle. L’arrivée est proche. La silhouette des premiers chalets remplit les blancs suspendus entre les troncs des hêtres dénudés. À ce stade ça commence déjà presque à sentir l’apéro ! Les hébergements comptent parmi les plus rapides à être atteints. On dépasse le Refuge de l’Oncle Émile, direction l’ancienne école du hameau, aujourd’hui reconvertie en gîte d’étape pour randonneurs en mal de montagne et de tartiflette. Fin de l’action.

DORMIR À DORMILLOUSE
Faites votre choix pour votre nuit à Dormillouse selon vos envies et votre budget !
Le Gîte de l’École : ambiance refuge
Comme son nom l’indique, le gîte a reconverti l’ancienne école du hameau en lieu d’accueil et d’hébergement. Avec ses deux dortoirs, sa jolie petite salle à manger voûtée et la cuisine accolée où sont mitonnés de bons plats fait maison par Sarah et Paul, l’hébergement baigne dans l’esprit refuge. Les étagères débordent d’anciens numéros de Montagnes Magazine et même d’Alpinisme & Randonnée, aujourd’hui disparu ! Ici ça cause et ça vit montagne. Paul est d’ailleurs guide de haute montagne et sera de bon conseil pour tous vos projets de course dans le secteur. Un endroit au confort simple mais suffisant et chauffé à la bonne humeur. Tarifs : 65 euros la demi-pension/adulte (en hiver). Infos et réservation : 06 84 04 59 82 ou par mail refugelecole@orange.fr

Le Refuge de l’Oncle Émile : ambiance chambres d’hôte cosy
Le refuge de l’Oncle Émile, situé juste en-dessous du gîte de l’École, c’est une toute autre approche de l’hébergement en montagne. On monte ici en gamme au niveau des prestations et du confort. Un souci du détail qui va jusque dans les matériaux nobles et le soin porté à l’écoresponsabilité utilisés pour réhabiliter la maison d’Émile, un amoureux de Dormillouse. Ici se cultive l’esprit de l’intime et l’attention à la discrétion. La table est à l’image du chalet. Tarif : à partir de 99 euros/personne, petit déjeuner compris. Infos et réservation : 06 16 30 72 45 ou mail contact@refuge-dormillouse.fr
DEMI JOURNÉE #2 : BOUCLE AUTOUR DE DORMILLOUSE ET RETOUR AUX VIOLINS
Difficulté : moyen | Distance : 9,5 km | Durée : 3h20 | Dénivelé : +85m/-510m
Un dîner joyeux où souffler des bougies et siffler quelques verres de vin plus tard, la nuit, réparatrice, nous transporte jusqu’à l’aube avec force rêves de raquettes et de neige. Le soleil nous trouve aussi éclatants que les sommets des Écrins dans la lumière neuve du jour. Le petit déjeuner joue les prolongations, soutenu par un café revigorant et un pain noir diablement savoureux. Bientôt les sacs sont refaits, la crème solaire étalée sur l’épiderme fragile des visages et les pieds parés à rechausser les raquettes qui, elles, ont passé la nuit dehors.
Avec les obligations des uns et des autres, l’idée générale consiste à effectuer un petit tour dans la périphérie du village en poussant à peine les portes du vallon de Chichin. Rien qui ne nous éloigne trop du chemin du retour mais néanmoins assez pour aller se frotter au charme hivernal des Écrins. Une opération séduction envers celles et ceux pour qui ce court week-end à Dormillouse constitue une vraie première fois dans un environnement de montagne dénué de toute exploitation mécanique de masse.

Depuis le gîte de l’École, continuer à monter par le chemin en direction du village. Le rejoindre et le traverser. Poursuivre au-delà en suivant la trace du chemin d’été qui suit à peu près la ligne de niveau.
Davantage que l’été, l’ambiance particulière de l’hiver et de ce décor enfoui sous un blanc manteau de neige transcende la montagne. S’immerger dans un vallon comme celui de Chichin raquettes aux pieds, c’est s’imaginer subitement beaucoup plus loin que les Alpes. L’imagination galope, prête à croiser un troupeau de yacks comme si on marchait au Zanskar. C’est un ressenti fort et délicieusement exaltant. L’imagerie hivernale déjoue les échelles et fausse les dimensions.

Après avoir traversé le torrent du Bez, atteindre un poteau signalétique. Tourner à gauche pour descendre le faîte d’une croupe, puis se laisser glisser sur la droite pour se rapprocher du torrent de Chichin. Tirer ensuite à droite – ouest – pour se mettre dans l’axe du vallon et cheminer dans le fond de celui-ci.

Ça y est, cette fois je me crois réellement en hiver. Ce n’est pas qu’une impression due au froid ou à la neige. Je suis dépaysé. Les Écrins m’ont transporté ailleurs, dans un paradis blanc sublime à chaque tournant. Je renoue avec la raquette, longtemps mise de côté au profit du ski de randonnée. Les deux ne s’opposent pas. C’est juste un rythme et une pratique différente. Je me surprends à nourrir des envies de trek. Si ça ne tenait qu’à moi je poursuivrais patiemment jusqu’au col de Freissinières pour explorer cet immense vallon sauvage.
Poursuivre dans le fond du vallon aussi longtemps que l’horaire et votre envie vous le permettent. Revenir par le même chemin et suivre le tracé du torrent jusqu’à rejoindre l’ancien pont.


J’étais, deux jours plus tôt, du côté du col de Rabou dans le Dévoluy. Je reste stupéfait de l’écart d’enneigement entre les deux massifs. Nous n’en sommes pourtant éloignés que de quarante kilomètres en ligne droite vers l’est… Il y a pourtant ici dans les Écrins tout ce qui manque encore là-bas : l’onctuosité des reliefs évanouis sous l’épaisseur de la neige, le blanc scintillant qui s’accroche à la moindre aspérité et qui fait ployer les branches des arbres en gros paquets cotonneux. On évolue ici dans une carte postale alors qu’ailleurs l’hiver n’est encore qu’au stade de l’esquisse.
Franchir l’ancien pont et continuer en remontant sur la rive opposée par une trace ascendante légère. Déboucher ainsi dans la grande clairière de la Bastie et la contourner par le haut en arrondissant doucement vers le sud. Atteindre le passage plus étroit en-dessous duquel se faufile le torrent du Lait.

Je le concède, ce n’était qu’un tout petit tour et il y a matière à prolonger ces instants de plaisir en s’attardant plus longuement dans ce vallon de Chichin. Une part de moi le souhaite secrètement. Il y a une énergie ici qui fait intensément vibrer mon amour de la montagne. Pas un endroit où je pose les yeux qui ne me fasse pas sentir cette agréable chaleur dans l’estomac. Sous le soleil franc des Alpes du Sud, les Écrins resplendissent.
Basculer en contrebas en dessinant de larges lacets dans la pente et en tenant le lit du torrent toujours à main gauche. Rejoindre plus bas la zone de passerelles vue et franchie à l’aller. Rester au-dessus pour tirer vers la prairie des Chasals.

Emprunter ensuite le chemin de l’aller en sens inverse pour revenir d’abord au Pont de l’Oule, puis à celui du Laus, puis, à terme, aux Violins.

Des moments comme cela, c’est tellement bon que c’est plus qu’inoubliable, mais les mots manquent dans ces cas-la. de la part de Dani 13 (altituderando).
Salut Daniel !
Je dois avouer que ce week-end m’a gratifié de quelques surprises et découvertes inspirantes. Hâte de pouvoir continuer à explorer ce fabuleux secteur ! Merci de ton commentaire et mes amitiés à toute la team Altitude Rando 🙂
David
Merci de ta réponse rapide, je ne manquerai pas de transmettre tes amitiés à Vincent et Julien d’Altituderando que je pense rencontrer de visu à Lyon au salon des randonneurs le 21 mars prochain. C’est une occasion de faire des rencontres, et de revenir avec plein d’idées de…randonnées nouvelles, bien sur ! de dani 13