Tête de l’Estrop : Et si vous gravissiez le plus haut sommet de Haute Provence ?

La Tête de l’Estrop : plus qu’un simple sommet, un roi ici en Haute Provence et dans le massif des Trois Évêchés dont il constitue le point culminant avec ses 2961 mètres. L’Estrop tutoie les 3000 et, s’il convie à une ascension endurante, n’en demeure pas moins techniquement parfaitement recommandable. Nulle difficulté autre que les quelques 1600 mètres de dénivelé dont il faudra venir à bout pour en atteindre le sommet. Une voie royale dans les merveilleux paysages de la Haute Vallée de la Bléone qui culminent à la cascade de la Piche. Et un effort complètement abordable si on décide de faire étape en chemin au refuge de l’Estrop. C’est ce que j’ai choisi de faire dans ce nouveau reportage dédié à la gloire de l’Estrop.

Difficulté : difficile | Distance : 24,4 km | Durée : 2 jours max | Dénivelé : +1740m/-1740m

JOUR 1 : LES EAUX-CHAUDES – REFUGE DE L’ESTROP

Difficulté : moyen | Distance : 8,2 km | Durée : 3h | Dénivelé : +828m

En route pour les Eaux-Chaudes

Comme souvent dans les Alpes-de-Haute-Provence, la route menant au départ de la randonnée est déjà une expérience à part entière. Rarement ai-je exploré de départements qui procure autant cette incroyable impression de s’enfoncer très loin dans l’isolement et le sauvage par des routes improbables.

À l’instar d’autres villages satellisant plus ou moins loin autour de Digne-les-Bains comme des planètes éloignées autour du soleil – je pense à Beynes ou, encore mieux, à Majastres – Prads-Haute-Bléone ne s’atteint qu’au terme d’une toute petite départementale qui plonge le visiteur instantanément dans l’ambiance.

Pour découvrir Majastres, lire également : Chiran d’Hiver, Immersion dans le Wilderness façon Verdon

Il faut cependant poursuivre au-delà, s’éloigner toujours davantage de ce – presque – dernier bastion humain. Par une route de plus en plus étroite qui force le passage de la montagne en direction des Eaux-Chaudes et de son minuscule lac. Le goudron finit par y abdiquer, remplacé par une piste.

Difficile d’aller plus loin : une ultime aire de stationnement indique le terminus. Le reste est désormais une affaire de randonneur. Pour atteindre le refuge de l’Estrop, il va maintenant falloir remonter le cours de la Bléone jusqu’à sa source. La rivière est encore assez large ici, mais encadrée de versants sévères le long desquels s’écoule déjà la chaleur de l’été.

Départ le long de la Bléone, par l’assez longue piste qui conduit vers les chalets du hameau reculé de la Combe

Charriant les eaux d’une fonte accélérée par la chaleur des jours précédents, la rivière apparaît gonflée à bloc. À l’image de l’Asse ou du Bès, la Bléone compte parmi les rivières fameuses des Alpes-de-Haute-Provence.

Avec l’insigne privilège d’être celle qui traverse Digne, la Bléone peut se targuer d’être au-dessus des autres rivières et de se retrouver en lice pour le titre de plus importante du département

Lorsqu’on l’approche pour la première fois, peu après le gué sur le torrent de la Male, un affluent, elle n’a parcouru qu’à peine dix kilomètres sur les quelques soixante dix qu’il lui faudra réaliser avant de rejoindre la Durance, entre Château-Arnoux et Les Mées.

Les premiers kilomètres se font dans une ambiance de montagne provençale, à la fois très méditerranéenne et alpine

Le chemin accompagne la rivière, traçant comme une voie parallèle. Sans toutefois la voir à plein temps. Sur ce segment, la Bléone s’entend davantage qu’elle ne se voit. C’est un bruit de fond, une présence occultée la plupart du temps par un rideau de hauts pins.

Sur le bord du chemin, des bouquets de genêts cendrés installent une ambiance résolument méditerranéenne. Le dénivelé n’a pas encore été convié à la fête.

Ce prologue se veut patient, déroulant sans précipitation le ruban clair de son large chemin jusqu’au gué du hameau de la Combe. De l’autre côté de la Bléone, ce bel ensemble de chalets de montagne, posé au pied du Pas des Eaux Grosses, n’est accessible qu’en franchissant un gué… actuellement inaccessible !

Les chalets de la Combe, sur la rive opposée de la Bléone

Les choses sérieuses commencent

Fin de l’échauffement. Le chemin, après avoir subi une cure d’amaigrissement, s’envole dans les sous-bois pour aller chercher la passerelle qui, seule, permet de franchir des gorges étroites au fond desquelles rugit la rivière.

La Bléone se fait ici plus combative, flanquée de versants raides où la végétation s’accroche avec l’énergie du désespoir. Des murs stratifiés les interrompent, achevant la course vers la rivière par un impressionnant jeté vertical

Prudent et confortable, le sentier chemine une cinquantaine de mètres plus haut, en rive gauche, sous le couvert agréable de grandes sapinières. Seule la traversée de la ravine chaotique ouverte sous le Pas de l’Uscla rompt provisoirement la douceur de cette progression en balcon.

La passerelle qui enjambe l’étroit défilé rocheux taillé par la Bléone pour aller chercher la rive gauche, plus confortable pour poursuivre l’ascension

Plus en amont, le sapin reflue en laissant la place à des pentes d’herbacées où le printemps, nouvellement installé, a ouvert le grand bal des fleurs. À mi-chemin de l’étage montagnard et subalpin, elles ont sorti leurs plus belles robes pour l’événement.

La peinture baigne dans le parfum subtil et délicieusement fleuri de Cytises des Alpes dont il faut parfois écarter de la main les odorantes fleurs jaunes qui tombent en grappes au-dessus du chemin

Dans cette foule dense et mondaine où s’activent en bourdonnant une garnison d’insectes volants et trébuchants, l’oeil averti distinguera des bouquets roses pales de Lamiers de Gargano, puis plus loin les belles cloches acaules de Campanules Alpestres.

Les Cytises des Alpes en fleurs sèment une odeur suave et parfumée sur le chemin quand passe le randonneur

La Bléone nous accompagne à nouveau, un peu plus assagie maintenant et régulièrement grossie par des filets liquides qui dévalent en ligne droite sur les pentes alentours. Une verticalité hostile au moindre sentier où ne prévaut que la règle de la gravité.

Rien, exceptées les cascades, ne semble être en mesure de relever le défi de ces lignes rocheuses raides qui basculent, à l’est, entre le sommet de Mourre Gros et de Rougnousse

À l’ouest, sous la crête abrupte s’étirant au-delà des Mées de l’Estrop, le tableau s’affiche plus récalcitrant encore : un royaume d’à-pics, de ravins et de couloirs insondables duquel sapins et mélèzes ont été expulsés.

L’une des cascades qu’on peut apercevoir depuis le chemin dévalant les pentes raides de roche nue

Une apologie du vide, comme une ode à la beauté âpre de la roche nue. Et, comme un repère apparu dans le fond du vallon, le sommet de la Tête d’Auriac ferme au nord le décor de ce nouvel étage de ma progression.

Le tumulte de la Bléone s’est dilué dans le bas du thalweg, couvert par les jacasseries des casse-noix mouchetés camouflés dans les feuillages épais

Parvenu à l’aplomb du Sommet de Rougnousse, quelques 800m plus haut en versant est, le sentier s’affole et se plie en lacets courts et sportifs alors qu’il s’attaque au ressaut du Jas de la Piche. Sous la caresse des branches inférieures des mélèzes, l’effort s’adoucit cependant provisoirement.

L’ascension se renforce dans le ressaut du Jas de la Piche et dans le décor incroyable de sédiments stratifiés en falaises colossales

En arrière-plan, les hauts murs de calcaire plissé et ridé renvoient à une époque antédiluvienne d’avant la surrection des Alpes, quand une mer peu profonde dissimulait encore les futures montagnes sous son manteau liquide. Une oeuvre en devenir dont la gestation remonte à 35 millions d’années, en pleine ère Tertiaire.

Vient alors l’écho d’un fracas, l’indice sonore d’une puissante force de la nature à l’oeuvre. Un coup d’oeil rapide dans la bonne direction suffit pour apercevoir l’éclat encore distant de la cascade de la Piche qui ferme le vallon par un haut verrou glaciaire.

L’apparition de la cascade de la Piche compte parmi les grands temps forts de cette première étape vers la Tête de l’Estrop qu’on aperçoit tout en haut à gauche de la photo

Me voici rongé d’impatience, animé d’une irrépressible envie de voir ce saut de plus près. Je marche d’un pas plus rapide jusqu’à débarquer sur l’étonnante vire rocheuse qu’équipe une main courante et qui franchit la barre flanquant l’est du cirque.

C’est bien d’un mariage qu’il s’agit ici. Celui de l’eau et de la roche, célébré en grande pompe dans un geste à la fois sublime et furieux

Je reste stupéfait par la vue et le spectacle : près de 60 mètres de chute libre répartis sur deux tronçons, le second guidant l’eau furieuse vers les méandres d’un large voile de mariée. La Piche impressionne par sa force expressive et son cadre naturel prestigieux. Le fruit patient du temps transformé en artiste.

La spectaculaire cascade de la Piche

Aux Sources de la Bléone

À compter de ce point, l’extase devient permanent. Au débouché du mélezin défendant le saut de l’ange de la Bléone, l’espace où la rivière vit ses premiers instants s’ouvre comme un grand livre d’images, immense et lumineux. La Bléone, dans son lit de roches grisonnantes, cascade joyeusement comme un enfant turbulent.

À l’apogée du printemps, l’étage subalpin est ici indécemment vert. En l’absence des brebis, le vallon dégage quelque chose d’encore virginal, comme une sorte de jardin d’Eden, version Haute Provence

Il y a du bonheur à cueillir à la source dans cet écrin de montagnes magique. Jean-Louis Carribou ne s’y est pas trompé lorsqu’il décide, avec les bénévoles de l’ADRI, d’y bâtir un refuge. Nous sommes alors en 1978 et l’aventure du refuge de l’Estrop démarrait.

Le vallon des sources de la Bléone où a été construit le refuge de l’Estrop – qu’on aperçoit dans le fond : un avant-goût de paradis !

En remontant par le sentier qui accompagne la Bléone en direction du refuge, j’imagine ces chantiers de jeunes travailleurs, ces compagnons du devoir et ces bâtisseurs passionnés qui, au terme de sept ans et dix mille journées de travail, vont faire jaillir de terre celui qu’on surnomme ici le refuge du Chant du Monde.

Le refuge est une référence ouverte à l’oeuvre de Jean Giono qui situait l’action de son roman Le Chant du Monde dans l’univers de l’Estrop et des Trois Évêchés. Depuis 1986, c’est une étape incontournable pour qui est en route vers le sommet

Mathieu et Olivier, les deux frères gardiens depuis 2006, ont aujourd’hui passé le flambeau à Lise, Noémie et Lisa, un trio animé d’un amour inconditionnel pour le lieu. De la douceur, des sourires et une maîtrise à tous les étages de l’accueil des visiteurs : le refuge de l’Estrop, conjugué au féminin, écrit ainsi de nouvelles pages à une histoire de bientôt quarante ans.

Lise, Lisa et Noémie : les filles de l’Estrop

Dormir au refuge de l’Estrop

Le refuge de l’Estrop ouvre en continu à partir de la mi-juin et jusqu’en septembre/octobre. Il peut accueillir jusqu’à 37 personnes dans un dortoir de 20 lits, un dortoir de 5 lits, une chambre de 5 lits et, en juillet et en août, une yourte pour 7 personnes. Sac à viande ou de couchage à prévoir : le refuge met ensuite à disposition des couettes et des oreillers.

Une douche solaire bien sympa est installée à l’extérieur du refuge. Toilettes et lavabos à l’intérieur. Un menu unique est servi le soir avec utilisation des plantes sauvages cueillies aux alentours du refuge. C’est délicieux ! Si vous passez le midi, possibilité de restauration simple avec plat du jour et/ou assiette de charcuterie. Boissons bio et locales disponibles également. Tarifs en demi-pension à partir de 45 euros. Réservation obligatoire au 06 32 06 05 65.

JOUR 2 : DU REFUGE DE L’ESTROP À LA TÊTE DE L’ESTROP

Difficulté : difficile | Distance : 4 km | Durée : 3h | Dénivelé : +910m

Il y a toujours un peu de cette impatience fébrile qui accompagne les débuts de journée d’ascension. Une envie plus pressante que d’habitude de se mettre en route, une attention plus marquée au temps qu’il fait lorsqu’on jette un coup d’oeil par la fenêtre, le matin.

Là où devrait étinceler un soleil d’été ne s’aperçoit qu’une lueur diffuse qui parvient à peine à faire ressortir les couleurs du grand versant étiré sous les Mées de l’Estrop et par lequel progresse le sentier

Aujourd’hui d’ailleurs l’extérieur affiche une mine plus grise qu’il ne le devrait. La prévision enthousiaste de la veille a du revoir sa copie pendant la nuit. Le cirque du refuge a perdu de son éclat lorsqu’on se met en route, assombri par des rideaux nuageux que quelqu’un semble avoir oublié d’ouvrir.

Coup d’envoi de l’ascension de la Tête de l’Estrop depuis le refuge !

Plus de demi-mesure sur cette partie de l’ascension. Terminé les longues pistes propices à l’échauffement musculaire. L’effort est immédiat à travers ces ressauts herbeux qui s’étagent en paliers vers la crête de Chabrières et sur lesquels se déploie, discrète mais vivace, une belle flore alpine.

Parmi les poussées d’alchémilles qui les colonisent s’aperçoit le bleu pur des gentianes printanières et celui, en forme de ciel nocturne, des corolles généreuses des gentianes des Alpes. Un parfait contrepoint aux myriades d’étoiles dorées formées par des constellations de renoncules.

Montée régulière à travers les grandes pelouses qui dévalent depuis la crête de Chabrières, en arrière plan.

À l’approche des 2400m d’altitude, la part du rocher se renforce. Un coude marqué du sentier vers le nord nous réexpédie dans l’axe de la Crête des Barres. Les petits rectangles jaunes de la signalétique deviennent alors autant d’indices permettant de naviguer avec assurance sur ce terrain devenu minéral.

Il faut les débusquer à l’oeil nu, souvent accompagnées de cairns bien pratiques. Le balisage est impeccable sur la route de l’Estrop, c’est un fait avéré. Au point de finir par mettre ma méfiance instinctive en sourdine et à me sentir rassuré, un peu comme un enfant à qui on tient la main dans un endroit inconnu et trop grand pour lui.

Des cairns toujours bien visibles et une signalétique jaune claire et régulière assurent une progression confortable

Par petites touches subtiles, la neige fait à son tour son apparition dans le paysage. C’est d’abord de petits névés, faciles à enjamber ou à contourner ; ensuite des amas plus épais et plus longs qui obstruent la pente et ensevelissent le tracé et qu’il faut traverser.

Passages rocheux et neigeux s’alternent désormais tandis que nous faisons notre entrée dans le royaume d’altitude de l’Estrop, dont la Tête est maintenant totalement visible, fermant l’immense vallon de grès au nord-ouest.

Nous sommes début juin et au terme d’une semaine marquée par les premières grosses chaleurs. En adrets, cette hausse des températures a rapidement incité l’hiver à faire ses valises, ne laissant derrière lui que des langues de neige encore dures le matin et sur lesquelles il est assez facile de progresser.

Les premiers névés à traverser sur la route de la Tête de l’Estrop : rien de bien compliqué

Le fait d’avoir l’objectif dans le viseur crée maintenant une sorte de proximité avec lui. L’ascension se concrétise avec l’apparition claire de ses derniers segments où on voit la vie en rose. Le rose des grès d’Annot, légèrement saumoné et qui tire parfois sur le cuivre, mais dont la texture à la fois douce et rugueuse, évoque celle d’une peau encore jeune.

Autour de nous, des strates encore saupoudrées de neige et qu’il faut parfois franchir en se servant rapidement des mains déroulent un escalier presque naturel vers le sommet

Les grès en question ont plusieurs dizaines de millions d’années et font partie des fleurons du Géoparc de Haute-Provence dont la Tête de l’Estrop constitue le point culminant. Les passionné(e)s de géologie seront aux anges qui pourront marcher à même ces immenses dalles racontant l’histoire de la Terre alors que les Alpes ne sont encore qu’une ébauche, presque une pensée même.

Gravir la Tête de l’Estrop c’est aussi aller à la rencontre de l’histoire de la géologie de la Haute Provence

Les failles de la géologie sont autant de faiblesses exploitées par les marcheurs-ses. Les barres gréseuses offrent ainsi des passages possibles là où elles ont été déstructurées par des failles. Dans ce grand arrondi minéral, le marquage s’obstine à nous amener toujours plus au nord, en direction du pied de la crête des Barres.

La jonction avec l’itinéraire venant depuis le Laverq ou depuis le val d’Allos via la Baisse de l’Aiguille s’y opère. Tout converge ici, à 2675m d’altitude, pour récupérer ce passage bien camouflé qui prend pied sur une vire en pente, intercalée entre deux barres rocheuses. De quoi éviter d’inutiles efforts dans le chaos des pierriers et rejoindre ainsi plus aisément le « replat » de la Grosse Barre.

Le passage de la vire, à droite, qui permet d’éviter le chaos des pierriers pour prendre pied sur la Grosse Barre et rejoindre ensuite le sommet

Ici le grès est désormais souverain. En bloc massif, en dalle immense ou en fine feuille dont la porosité renvoie un écho caractéristique lorsqu’elle s’entrechoque avec sa voisine. Comme un grand tapis déroulé sous l’Estrop et qu’une masse géante aurait fracassé en milliers d’éléments. On le remonte à la patience et en nous appuyant sur le rebord de la langue de neige qui s’attarde sur le rebord du versant nord de la crête.

La pluie surgit de nulle part, fouettant indistinctement la roche comme les malheureux randonneurs à la recherche d’un hypothétique abri

Le souffle épique de l’altitude se fait plus fort, porté à bout de bras par une bande de nuages rebelles qui arrosent sans prévenir l’Estrop d’un grésil dru et froid. D’autres amas de pluie s’aperçoivent ici et là, errant dans les vallées alentours et rinçant la Haute Provence et l’Ubaye sur leur passage. On courbe l’échine en tirant sur les capuches de la GoreTex dans l’attente de l’accalmie. L’Estrop se mérite décidément.

Au passage de l’averse dans le grand fatras de dalles de grès qui recouvre la calotte sommitale

Puis, aussi brutalement qu’elle était arrivée, la pluie faiblit, relâchant son étreinte et s’en allant arroser d’autres sommets. Le grès encore humide adopte maintenant une teinte plus foncée sans toutefois perdre de son adhérence.

Un coup de vent plus fort chasse les nuages retardataires comme pour préparer le terrain au soleil qu’on sent désormais étrangement plus proche

Ce sont les derniers pas, fébriles à nouveau devant l’imminence de l’arrivée au sommet. Le névé sur lequel je m’appuie à main droite m’incite à dépasser le sommet pour prendre pied quelques mètres à l’ouest sur l’esplanade plus confortable où a été construite l’antenne du relais secours

Au sommet de l’Estrop avec le Laverq, la Petite Séolane et la Grande Séolane en arrière-plan. Sur fond de pluie.

C’est là que je mets un terme à la marche, substituant au masque de l’effort celui plus éclairé de la joie. Au-delà de la rupture brusque de pente, la ligne de crête partiellement accidentée se poursuit au-delà jusqu’au Puy de la Sèche. Premier repère dans un panorama immense.

L’Estrop c’est un spectacle dont le raffinement et l’étendue, prestigieuse, prend un sens tout particulier après ces heures patientes d’ascension. Un panorama en triptyque qui correspond à la triple orientation de ses versants.

Au plus large vient le nord, ouverture béante sur la partie supérieure du Laverq, encore largement enneigée et sur les Eaux-Tortes, en contrebas, qui en cette saison semblent généreusement en eau. Puis vient le sud-est, au-delà de la Baisse d’Auriac, qui annonce le Mercantour derrière le Val-d’Allos, avec le Mont Pelat et le Cimet en têtes d’affiche.

Depuis la terrasse de l’antenne-relais, le regard plonge sur le Laverq haut et les sommets du Pic des Têtes et de Roche Close

Enfin les regards se tournent vers l’ouest et la Haute Provence : des reliefs et des vallées familiers avec, au premier plan, Grisonnière, puis les Monges et les Préalpes de Digne, ce formidable terrain de jeu que j’ai déjà très largement parcouru.

Il y a, enfin, cette ligne de crête hypnotisante qui collecte les sommets du massif des Trois Évêchés un par un : la Sèche, le Pic des Têtes, Roche Close et ainsi de suite jusqu’à Dormillouse et l’Embrunais.

Je force le regard sur des horizons plus lointains. En vain. L’opacité brumeuse née de l’arrivée récente dans l’atmosphère des Alpes des fumées des feux de forêt canadiens m’oppose un masque indistinct

Je devine les Écrins, silhouettes approximatives au même titre que le Queyras d’un côté ou même le Dévoluy, de l’autre. En temps normal, la clarté du panorama depuis la Tête de l’Estrop est exceptionnelle.

Elle n’en reste pas moins saisissante ce jour-là malgré des conditions de visibilité impactées par ce que j’ai envie de nommer un phénomène de mondialisation météorologique.

Depuis les hauteurs de l’ensemble sommital de l’Estrop on se sent un peu comme les rois du monde

Assis sur un siège de grès et protégé de la brise par le rempart du relais, il est temps de déballer le délicieux pique-nique préparé par Lisa ce matin. Les yeux dans les yeux avec le Laverq et, sous nos pieds, les derniers vestiges du Glacier de la Blanche.

Un pique-nique en tête à tête avec le sommet de l’Estrop où nous sommes maintenant absolument seuls. Un privilège total, à savourer avec lenteur, comme un dessert qu’on a envie de faire durer plus longtemps.

Un pique-nique digne de ce nom, équilibré et avec rien d’autres que de bons produits

LA DESCENTE

Il y a deux options pour redescendre de la Tête de l’Estrop.

Revenir par le même itinéraire : fiable et sans surprise. À privilégier si vous jouez la montre ou que l’ascension vous a quand même un peu fatigué(e).

Passer par la Baisse de l’Aiguille : retour d’abord par le même itinéraire jusqu’au poteau signalétique aux abords des 2675m. Là prendre la direction Baisse de l’Aiguille et, une fois sous la Baisse en question, descendre direction Cote du Ceï puis, au prochain carrefour, Passerelle des Lauzes. Récupérer alors le sentier de l’aller qui montait au refuge pour le suivre dans le sens de la descente jusqu’aux Eaux-Chaudes. Un crochet qui rajoute un peu dénivelé mais qui permet de bien compléter sa découverte du cirque de l’Estrop. À faire si vous ne jouez pas l’horaire et qu’il vous reste un peu de jus après l’ascension.

Et c’est parti pour la descente, en adhérence sur les magnifiques dalles de grès qui affleurent parmi les débris rocheux

À ce stade je sais que certain(e)s souhaiteront me voir également mentionner l’itinéraire qui emprunte la Tête de Chabrières, puis la crête du même nom et ensuite la crête de la Basse qui passe par Troumille avant d’atteindre les abords du lac des Eaux-Chaudes : c’est un parcours hors sentier réservé aux marcheurs-ses aguerri(e)s à ce type de terrain et à l’orientation en arête. Ne l’ayant pas personnellement pratiqué, je ne l’évoquerai pas davantage dans cet article.

TÊTE DE L’ESTROP : GUIDE PRATIQUE

Accès aux Eaux-Chaudes

Première étape : Digne-les-Bains, la préfecture des Alpes-de-Haute-Provence. On y accède par l’A51 en venant de Gap – prendre la sortie 21 – ou d’Aix-en-Provence – prendre la sortie 20 « Les Mées ». Une fois à Digne, suivre d’abord Toutes Directions après le passage de la Bléone, puis Bercelonnette et Seyne par la D900 au rond-point. Rouler jusqu’à La Javie et, à l’entrée, après le pont sur la Bléone, prendre à droite la D107 direction Blégiers et Prads.

Traverser et dépasser Prads, direction La Favière et, dans un coude à droite, juste avant de passer à nouveau La Bléone, prendre une petite route à gauche direction les Eaux-Chaudes. Au premier parking continuer tout droit par la piste. Atteindre plus loin l’aire de stationnement du Lac des Eaux-Chaudes. Stationnement possible. Sinon poursuivre encore un peu plus loin jusqu’au terminus du chemin pour les véhicules à moteur. 5/6 places disponibles en épi sur le bord.

Les magnifiques piscines formées par la Bléone entre le refuge de l’Estrop et la cascade de la Piche

Topo et trace GPX

Le descriptif de cette ascension vers la Tête de l’Estrop est disponible sur le très bon site Rando Alpes-de-Haute-Provence.

Vous y trouverez un pas-à-pas, des points d’intérêt identifiés en chemin, une carte ainsi qu’une trace GPX téléchargeable gratuitement. Mais si vous préférez me la demander, je l’ai aussi ! Me faire alors un petit mail à l’adresse contact@carnetsderando.net (parfois 48h de latence entre la demande et l’envoi je précise et je suis absent en août, ne me la demandez pas à ce moment-là non plus !)

Difficultés particulières et recommandations

L’ascension de la Tête de l’Estrop par la haute vallée de la Bléone ne présente aucune difficulté technique : pas de passage vertigineux ou d’escalade exposée au programme, soyez rassuré(e)s à ce sujet.

Elle n’en est pas facile pour autant, ne serait-ce que par son dénivelé copieux que seul des randonneurs-ses physiquement solides et aguerri(e)s à la montagne oseront entreprendre à la journée.

Un découpage en deux jours, avec nuit au refuge, place l’entreprise immédiatement à la portée d’un plus grand nombre. N’en demeure pas moins deux étapes avoisinant chaque fois les 900m de dénivelé. 

Si l’ascension de la Tête de l’Estrop reste techniquement abordable, elle reste une entreprise alpine exigeant de l’endurance et un bon sens de l’itinéraire

Ainsi que je l’ai signalé dans le récit, vous pouvez compter sur un balisage qualitatif pour atteindre le sommet. La rigueur du marquage jaune mérite d’être signalée. Et la présence de cairns, en supplément, rassure. Un peu d’expérience pour repérer le marquage rapidement pourra toutefois être un plus pour apporter de la de fluidité à votre progression.

En particulier lorsque le sentier s’efface au profit d’un terrain plus minéral à travers lequel la trace, camouflée, devient uniquement repérable grâce aux rectangles jaunes du balisage qui y sont habilement placés. Un terrain immédiatement moins « roulant » pour lequel un peu d’habitude sera forcément toujours plus bénéfique. Notamment pour franchir quelques gradins rocheux faciles.

Les balises ne sont pas de trop pour progresser à travers les éboulis qui se déversent sous le sommet de la Tête de l’Estrop

Saisonnalité

L’accès à la Tête de l’Estrop n’est en général pas possible avant la mi-juin. À cette époque, des névés tardifs se trouvent encore à partir de 2500m. Y aller plus tôt augmente le risque de trouver la neige plus abondante, notamment dans des sections qui se franchissent mieux sèches, comme par exemple la vire permettant l’accès à la Grosse Barre, avant le sommet.

La neige confère une difficulté supplémentaire exigeant un savoir-faire particulier et éventuellement un matériel adapté. Sans oublier une appréciation de l’horaire de passage différente : il est en effet recommandé de passer tôt quand le regel nocturne la rend encore dure. Je vous recommande donc de privilégier la période qui court de mi-juin à fin octobre pour réaliser cette ascension.

En tout début de saison, la présence de la neige peut exiger de prévoir les guêtres et les crampons pour progresser vers le sommet en sécurité

Liens utiles

Pour davantage de propositions de randonnées dans le secteur, n’hésitez pas à consulter la mine d’itinéraires proposés par le site Rando Alpes-de-Haute-Provence.

Une application mobile a également été développée par le territoire pour retrouver l’ensemble de ces itinéraires sur votre smartphone. Elle est disponible sous iOS comme sur Android.

La Tête de l’Estrop fait partie intégrante du territoire plus élargi « Provence Alpes Agglomération » qui rassemble 46 communes autour de Digne-les-Bains. Pour le découvrir plus globalement, rendez-vous sur le site de l’Office de Tourisme Digne-les-Bains Val de Durance.

Enfin, je l’ai précisé dans le récit, la Tête de l’Estrop est le point culminant du Géoparc Haute Provence. Le territoire abonde en sites géologiques. Pour celles-ceux que la thématique intéresse et qui souhaitent en savoir plus, rendez-vous sur le site officiel du Géoparc.

Remarque : les informations données dans cet article consacré à la Tête de l’Estrop engagent uniquement la responsabilité de l’utilisateur/rice sur le terrain qui saura les adapter à son niveau et à son expérience. Carnets de Rando ne saurait être tenu responsable de tout accident survenant suite à un mauvais usage de cet article ou à une mauvaise appréciation du niveau du/de la pratiquant(e) par rapport à celui requis.
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One Comment

  1. THEVENIN dani 13 sur AR Répondre

    Merci beaucoup pour ce compte-rendu détaillé qui nous apporte tous les éléments nécessaires pour réaliser cette randonnée superbe mais exigeante, quoique plus tranquille sur 2 jours avec la nuit au refuge. J’espère pouvoir encore la faire accompagné de mon petit-fils de 18 ans!

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