« Le Cévenol ». Le nom sonne comme une ligne de chemin de fer. À moins qu’il s’agisse plutôt d’une adresse gourmande où le pélardon et la châtaigne sont cuisinés à toutes les sauces. Et si je vous dis qu’il s’agit en fait d’un chemin de grande randonnée ? Et même, plus exactement, d’un GR® de Pays. Surpris ? J’imagine que oui. Dans ces Terres du Milieu où le Chemin de Stevenson et La Régordane ont pas mal la mainmise quelle place reste-t-il pour des itinéraires alternatifs et largement plus méconnus ? Pourtant « le Cévenol » ne date pas d’hier, proposant un voyage formidable à travers des vallées plus sauvages et confidentielles que ses illustres cousins. L’itinéraire en a dans le ventre mais a malheureusement pâti, jusqu’ici, d’une visibilité réduite. 2024 marque un nouveau départ. L’heure de la résurrection a sonné et je fais partie de ces tout premiers marcheurs à contribuer à refaire parler de lui. Voici le récit enthousiaste de mes cinq jours de découverte.
Difficulté : moyen | Distance : 100,5 km | Durée : 5 jours | Dénivelé : +3550m/-4085m
D’OÙ EST-CE QU’ON PART ?
Le départ officiel et recommandé du « Cévenol » c’est la Bastide-Puylaurent, paisible bourgade d’environ 200 habitants située en Lozère et à la frontière de l’Ardèche. On est ici aux portes des Cévennes et pas très éloigné non plus de la Margeride. Si la Régordane et ses transhumants sont à l’origine des premiers émoluments d’activité humaine dans ces hautes terres, c’est l’apparition du chemin de fer, à partir de 1870, qui donne véritablement le coup d’envoi au développement de la commune. Le tourisme et l’itinérance pédestre confirment aujourd’hui encore ce statut d’étape incontournable dans cette partie de ce qui a été feu le Languedoc.
Arriver à la Bastide-Puylaurent
S’il est évidemment possible de rejoindre la Bastide-Puylaurent par la route – certaines plus « roulantes » que d’autre selon la provenance – la voiture n’est pas le moyen de locomotion que je vous recommanderais pour venir sur « le Cévenol ». Le TER reliant Alès à Langogne – et plus largement Nîmes à Clermont-Ferrand – devra bien davantage être privilégié. Il conjugue une évidente praticité aux bienfaits de la mobilité douce tout en restant totalement raisonnable pour le budget. Il permet d’entrer et de sortir de l’itinéraire avec un confort dont aimerait pouvoir disposer d’autres GR®. Depuis Alès, compter environ 1h20 en moyenne et une quinzaine d’euros.
Où dormir à la Bastide-Puylaurent ?
Point de passage de plusieurs grands GR® et héritière d’une longue tradition de ville-étape pour les voyageurs à pied, la Bastide-Puylaurent ne manque pas d’offre d’hébergements pour les randonneurs/ses en transit. Hôtels ou chambres d’hôtes, vous y aurez l’embarras du choix. En ce qui me concerne je peux vous recommander l’hôtel-restaurant La Grand’Halte où j’ai séjourné le premier soir, à la descente du train (la gare est à 5mn à pied du centre). Sans chichi mais avec tout le confort nécessaire, l’établissement propose 18 petites chambres parfaites pour une étape d’un soir. Il dispose également d’un restaurant où un menu-étape fait maison et très correct est servi le soir. Tarif : demi-pension à partir de 50 euros et jusqu’à 78 euros. Possibilité de panier-repas. Infos et réservation : 04 66 46 00 35
Pour info, je dois également citer que la Bastide-Puylaurent abrite également l’Étoile, ancien hôtel de villégiature tenu par Philippe Papadimitriou dont le sens de l’accueil et la cuisine régalent les randonneurs/ses de passage. Philippe est également le webmaster du site GR-Infos sur lequel tout(e) marcheur/se à la recherche d’informations sur les GR® est forcément tombé un jour ! Autant dire que c’est donc une très bonne adresse pour celles/ceux qui se déplacent à pied avec un sac à dos. Seul bémol, l’Étoile n’accueille pas à la nuitée. La durée minimum requise est de 3 jours pour un tarif à partir de 70 euros/jour. À « booker » en amont de votre premier jour de marche sur « le Cévenol » donc. Infos et réservation : 06 83 99 70 86 ou papadimitriou4@gmail.com
JOUR 1 : LA BASTIDE-PUYLAURENT – MONTSELGUES
Difficulté : difficile | Distance : 25,5 km | Durée : 8h30 | Dénivelé : +1035m/-1040m
Nichée dans un repli boisé où se faufile un Allier encore jeune, à près de 1000m d’altitude, la Bastide-Puylaurent affiche un impressionnant carrefour d’itinéraires pédestres. Une sorte de super-échangeur autoroutier, ramené à la randonnée : le Stevenson, la Régordane, le GR®7 « des Vosges aux Pyrénées », le GR®72 mais aussi le Tour de la Montagne Ardéchoise y mélangent leurs balises.
Des milliers de marcheurs/ses convergent ainsi vers cette modeste commune lozérienne avant d’être expédiés dans toutes les directions après une nuit passée entre ses murs. Parmi ces mille et uns regards croisés et saluts esquissés, peu empruntent la route du « Cévenol », ce GR® de Pays dont la planète randonnée a presque oublié l’existence et qui, tournant le dos aux grands itinéraires sur-fréquentés, part explorer les vallées et villages isolés de la Montagne Ardéchoise.
Un départ en toute discrétion, presque sur la pointe des pieds, effectué depuis la Bastide-Puylaurent en direction de Notre-Dame-des-Neiges, sanctuaire trappiste dédié à la quête du divin depuis 1850. Le site, pacifié par la présence monastique, exprime à la fois la beauté rigoureuse d’une Nature farouche et le calme étrange de ces lieux solitaires hésitant entre hospitalité et froideur.
L’abbaye sonne le glas d’un prologue aux allures d’échauffement inscrit dans le goudron d’une petite route qui y monte depuis le village. C’est en effet bien là, dans le creux de ce vallon courtisé par le hêtre et le genêt et adoubé par Dieu lui-même que le Cévenol prend véritablement son envol. Un large chemin, arrimé aux pentes douces de reliefs modestes et couronnés de résineux où broutent parfois des chevreuils, l’élève ainsi jusqu’à la Croix du Pal.
J’y laisse derrière moi un bataillon de nuages contrariés revendiquant leur droit au partage du ciel ainsi que cet horizon de bois sombres qui se déroule, par vagues, jusqu’aux Cévennes et au lointain Mont Lozère. Par un sentier étroit, ouvert entre les genêts, je me laisse ensuite glisser jusqu’à la Tour de Saint-Laurent-les-Bains, sentinelle massive dont le plan carré domine le village de 110 mètres depuis l’éperon rocheux d’où elle émergea il y a bien des siècles.
J’y suis cueilli par un vent de tempête qui disperse les nuages récalcitrants tout en jetant un froid polaire sur une Ardèche grelottante. Presque de quoi m’inciter à me jeter séance tenante, mon sac à dos et moi, dans le bassin public de la source des Caquets de Saint-Laurent-les-Bains.
Mesurée à 53°C, son eau arrivée en droite ligne des profondeurs terrestres sans avoir eu le temps de refroidir, se classe à la 9ème place des plus chaudes de France ! De quoi faire le bonheur des thermalistes venus soulager leurs rhumatismes grâce aux propriétés naturelles oligo-métalliques de cette manne liquide connue depuis le Moyen-Âge.
C’est une fois Saint-Laurent-les-Bains dépassé que « le Cévenol » s’ensauvage réellement. En décidant d’emboîter le pas de La Borne, il franchit une frontière. De celle avec laquelle même le goudron, qui relie à la patience les minuscules hameaux ayant relevé le défi de l’isolement, garde prudemment ses distances. La seule légitimité à s’aventurer en ces lieux est celle du marcheur.
J’en savoure le privilège alors que s’ouvre, devant et en-dessous de moi, le paysage vierge de toute corruption humaine du vallon de La Borne. Tout en rondeurs, tapissé de coulées de vert et de bruyères. Le lit de schiste de la rivière y trace un sillon propre s’allongeant en courbes alanguies ou parfois enroulé en lacet quand la roche s’est soustraite au passage en force du courant.
C’est le cas en amont de la Passerelle du Péril, séduisante union des deux rives que la toponymie a voulu flanquer d’une aura de danger. Seul dans le secret de ce lieu qui semble exister en marge du monde, je décide d’en faire celui de ma pause déjeuner, imitant les colonies de gerris qui festinent à la surface de l’eau et dans l’ombre du pont.
Plus tard me voici en route pour le Serre de Chabanis, la tête rentrée dans les épaules et le corps exagérément courbé pour échapper aux rafales de vent qui malmènent les bosquets de bruyère. Depuis que j’ai passé le petit hameau d’Ubac, il n’y a plus aucun châtaignier pour faire écran de son tronc face aux assauts répétés du vent.
Libre comme l’air, il harcèle le versant où j’évolue rageusement, avant d’être pourfendu par des enclumes schisteuses comme la vague sur le brise-lame un jour de tempête. Je retrouve l’équilibre plus bas, à l’abri des façades des maisons de Laval-d’Aurelle. Un bout du monde en apparence. En apparence seulement. À côté d’Ourlette, hameau minuscule de l’âge du schiste qui met le point final au goudron, Laval-d’Aurelle fait figure de grand centre urbain !
C’est l’âme des Cévennes qui survit à travers cette volonté d’exister loin de tout, dans ces esquisses de villages de bric et de roc et que reliaient des linéaires de sentiers caladés aujourd’hui ressuscités par le Cévenol. C’est sur l’un d’entre eux que je chemine en direction des inattendues gorges d’Ourlette, un défilé de schiste brunâtre effondré depuis le sommet du Serre de la Coste, quelques trois cents mètres plus haut.
Protégé du vent par son encaissement prononcé, le lieu piège la chaleur du soleil sur le sentier, invitant la sueur à la fête le temps d’une ascension en sous-bois aux allures de réveil musculaire. Je finis par basculer de l’autre côté, versant Chalendas et Pradon, un vallon de transition qui accompagne le/la marcheur/se vers les étages supérieurs des Cévennes d’Ardèche.
Le paysage se fait ici plus sobre, presque taciturne. Les rares âmes qui s’y sont établies, notamment aux fermes de Pradon, l’ont sans doute fait par pragmatisme. Ces hauteurs, de plus en plus dégarnies tandis que pointe à nouveau la barre des mille mètres d’altitude, se révèlent en effet propices à l’élevage de quelques chèvres dont le fromage contribuera, une fois vendu, à générer une économie de subsistance.
Il faut de la détermination pour vivre là-haut, dans ce décor de lande battu par le vent, cuit par le soleil ou harcelé par le froid. C’est un fascinant, mais redoutable, territoire d’extrêmes dont l’hostilité souriante charme inévitablement le visiteur de passage. Un toit du monde trônant sur un royaume de vallées profondes et de crêtes dépliées à l’infini.
Rien d’étonnant à y trouver, planant dans le ciel cotonneux de la fin de journée, la silhouette bien reconnaissable du vautour fauve à qui on sert ici la table à la faveur d’une zone d’équarrissage à laquelle a été récemment adjointe une proche plateforme d’observation. C’est un habitant familier de nos moyennes montagnes et un compagnon indissociable de l’élevage.
Je le perds de vue peu avant d’atteindre Montselgues, une capitale ici, au faîte des Cévennes d’Ardèche. Petite bourgade de montagne compacte, dont les maisons en pierre blotties les unes aux autres suggèrent un geste à la fois de protection et de réconfort, Montselgues affiche un visage qui pourrait faire croire une forme de léthargie contrainte par la géographie. Il n’en est rien.
Montselgues, une petite oasis de vie et d’attractivité dans le dénuement superbe, mais rigoureux, des hauteurs ardéchoises
Avec moins de cent habitants au compteur, Montselgues affiche bien au contraire un dynamisme dissimulé sous le masque des apparences : une dizaine d’exploitations agricoles, une école, quatre associations et une auberge s’y découvrent, sans oublier le gîte doublé d’un pôle d’activités de pleine nature de La Fage vers lequel je dirige mes pas pour clore cette première étape sur les chemins du Cévenol.
À découvrir en chemin
Les Ruchers du Moulin : en débouchant à Ubac, sur la commune de Laval-d’Aurelle, le Cévenol passe devant la boutique et le domaine de Gérard et Rémy Delenne, apiculteurs et castanéiculteurs de père en fils, chacun très engagé dans la sauvegarde du patrimoine lié à leur activité. Ils partagent leur vision d’une apiculture à la fois moderne et traditionnelle autour d’une visite de 1h au cours de laquelle les participants passent la combinaison pour entrer dans le vif du sujet et des abeilles. À la clé vous attend une dégustation des miels du domaine. Infos et réservation : 06 41 09 62 59 ou 06 83 81 65 28
L’Échappée Bêle : avant d’arriver à Montselgues, « le Cévenol » passe par le lieu-dit Pradon, un abri pour quelques corps de fermes. Parmi eux se tient l’Échappée Bêle, qui a vu le jour en 2021 avec le soutien d’une campagne de financement participatif. Stéphanie et Pauline y vivent une aventure familiale nourrie par le rêve d’un retour à la ferme autour d’un atelier caprin. Produits frais en appellation Picodon AOP et ateliers pédagogiques au programme. À terme également, un projet d’hébergement à la ferme. Plus d’infos : 06 73 40 53 89 ou stephanie.plouard0961@orange.fr
Où dormir à Montselgues ?
Le stop incontournable c’est naturellement le gîte de La Fage. Plus qu’un hébergement, c’est le pôle historique des activités de pleine nature à Montselgues et un acteur reconnu de la dynamique du village. En complément de prestations hôtelières permettant l’accueil jusqu’à 60 personnes en demi-pension, hiver comme été, La Fage est le quartier général et le point de départ de nombreuses activités : randonnées, évidemment, mais aussi VTT, balades yoga ou balades célestes en nocturne.
C’est un lieu vivant et animé par une équipe engagée et dynamique. Difficile de passer à côté quand on chemine sur le Cévenol ou sur le Tour de la Montagne Ardéchoise. Tarif : demi-pension à partir de 50 euros. Possibilité de gestion libre. Infos et réservation : 06 29 26 69 03 ou contact@gite-lafage.com
JOUR 2 : MONTSELGUES – SAINT-JEAN-DE-POURCHARESSE
Difficulté : assez difficile | Distance : 20 km | Durée : 6h35 | Dénivelé : +530m/-1120m
C’est l’asphalte qui déroule son tapis gris au prologue de cette deuxième étape en allant chercher plus bas, sur la départementale, le sentier qui mènera le Cévenol vers Thines et sa vallée. Pas de tour d’honneur de prévu par les célèbres chaos granitiques de Montselgues, boudés par l’itinéraire.
Pour profiter de ces étranges champs de pois rocheux qui forgent l’identité paysagère du lieu, il aurait fallu s’embarquer dans l’aventure du Tour de la Montagne Ardéchoise, un autre GR® de Pays de 220 km qui traverse l’étonnant décor pour rejoindre Montselgues en venant de Loubaresse.
Je fais donc la sourde oreille au fiel de la frustration qui voudrait saper mon enthousiasme matinal tandis que je prends un bain de genêts en descendant vers les fermes de Boyer Bas. Les calottes rases des plus hauts reliefs s’évanouissent au fur et à mesure que les fougères et les feuillus se réapproprient des versants que les contraintes de l’altitude avaient forcé à abandonner.
Dans le fond de ce vallon où serpente la Thine, l’itinéraire suit la trace d’anciennes calades qui, jadis et bien avant le déploiement du réseau routier, constituaient le seul lien possible entre les fermes et les hameaux qui avaient courageusement poussé en ces lieux reculés.
Si certains se découvrent à l’état de ruines, abimés par le temps et dévorés par la végétation, d’autres survivent et trouvent un second souffle dans la restauration qui leur est amoureusement accordée. C’est le cas du petit hameau de Tastevins, un bout de route qui semble s’être mis à l’écart du monde. Un petit havre d’exilés volontaires poursuivant la paix dans l’isolement.
C’est également celui de Thines, temps fort inattendu de la journée, un miracle paysager dont la découverte suscite une émotion similaire à celle qui nous étreint lorsque, par hasard, on retrouve au fond d’un coffre ou d’un placard une photo ou un objet convoquant un lointain souvenir nostalgique. Thines, perché sur son rocher à 589m d’altitude, a la saveur d’une douceur oubliée dans le trop plein de la malle à trésors de l’Ardèche.
Le découvrir pour la première fois, en montant par le sentier des Poètes, tient presque de la révélation. Si ce n’est de l’illumination. Fort d’une Histoire qui ne date pas d’hier – les premières traces d’occupation du secteur remontent au Néolithique – Thines suit la trajectoire ascendante de la plupart de ces villages dont l’âge d’or culmine aux beaux jours de la paysannerie du 19ème siècle.
La fin de siècle a malheureusement le goût amer des lendemains qui déchantent : surpopulation, épuisement des terres et maladies végétales ont raison de l’orgueil des hommes qui vont choisir l’exode. Le début de la fin. Thines se fane, se vide, sombre lentement dans le silence de l’oubli.
Il faudra attendre l’après-guerre et l’arrivée de Marcel Bacconier venu sculpter le Monument à la Résistance commémorant la tragédie du 4 août 1943 qui verra mourir ici six maquisards et trois villageois, pour amorcer un inattendu renouveau. Son lien avec le village est spécial et le poussera, aux côtés de son frère, de leurs épouses et de Lucienne Alibert, à fonder l’Association des Amis de Thines en 1948, toujours active aujourd’hui avec pas loin de 80 adhérents.
L’amour de ces bénévoles pour le village suspend sa condamnation. Thines s’offre une nouvelle jeunesse et affiche de nouvelles ambitions en encourageant et promouvant le savoir-faire local ainsi que la création d’emplois sur le rocher. L’essor rapide du tourisme se présente comme une opportunité embrassée par les fourmis ouvrières de l’association qui, en marge de leur mission de préservation des murs du village, battent désormais pavillon de la culture, de l’animation et de l’accueil des visiteurs.
Cette force vive témoigne d’un engagement et d’une efficacité qui la conduisent à se faire remettre délégation de la gestion de ces missions par le Parc Naturel Régional des Monts d’Ardèche qui voit le jour en 1992. Quartier général des opérations, la Maison du Gerboul, proche de l’entrée du village, ouvre ses portes aux visiteurs en quête d’informations. Mais pas que.
L’endroit expose des créations artisanales locales, vend des produits alimentaires issus du circuit-court ou tout simplement invite à une petite pause gourmande sur l’une des tables de la terrasse jouxtant le hall d’exposition. C’est là que je choisis de déjeuner, bercé par le récit de l’histoire de Thines et les commentaires enthousiastes de touristes atterris là un peu par hasard et définitivement, eux aussi, sous le charme de ce village ressuscité.
Thines Pratique
La Maison du Gerboul : située immédiatement à gauche de la voie goudronnée démarrant juste après l’esplanade sur laquelle atterrit le chemin des Poètes, la Maison du Gerboul met à disposition un espace « documentation et informations ». Vous pouvez y consulter librement les publications éditées par le Parc Naturel Régional des Monts d’Ardèche ainsi que celles des Amis de Thines et les ouvrages sur l’église et sur la région. Un magasin de produits est également mis en place rendant possible sur place la pause déjeuner. Ouverture tous les jours, sauf le lundi, de 11h à 19h du 1er juin au 30 septembre et de 14h à 18h le reste de l’année. Fermeture hivernale de fin novembre à début février.
L’Auberge de Thines : ouverte du printemps au début de l’automne, cette bonne adresse pittoresque au coeur du village est tenue par Bérangère et Julien. Ils y accueillent les visiteurs/ses de 11h à 18h autour d’un cuisine simple et familiale à base de produits locaux et de saison. Infos et réservation : 06 56 88 15 48
L’après-midi est déjà bien amorcé lorsque je pose les yeux sur le village, déjà plus d’une centaine de mètres en-dessous de moi, depuis le sentier courant sur le rebord d’anciens murets de schiste. Thines resplendit comme un Macchu Picchu ardéchois que l’attachement des hommes aux vieilles pierres a sauvé du naufrage.
Une histoire d’amour couvée par les chênes verts et les genévriers oxycèdres en guise de témoins. Tout comme le village, le chemin semble vouloir obéir à une obligation esthétique. S’élevant en douceur vers les escarpements rocheux du Ranc de Rode, l’itinéraire n’en finit pas de me séduire.
Comme sur l’étape précédente, lorsqu’elle épousait le cours de La Borne, la marche s’habille d’harmonie tout en donnant au randonneur le sel même de ce qui le/la pousse à se mettre en route : le sentiment exaltant de l’isolement, l’étreinte d’une Nature immense qui sait tenir les ardeurs humaines à distance, le parfum enivrant du dépaysement : il y a tout cela en même temps sur les chemins du Cévenol.
Hissé désormais à plus de 800m sur la crête qui va me ramener vers Peyre et l’ancienne voie romaine, je contemple une dernière fois l’îlot de Thines, dérisoire concentration d’âmes figée dans le ressac verdoyant de colosses aux pieds de schiste. Ici la montagne impose la souveraineté de ses crêtes, de ses sommets et de ses vallons à la volonté des hommes désireux d’y mener la barque fragile de leurs existences.
Fragment de vie isolé sur les hauteurs dénudées de Croix Blanche, Peyre et son auberge auraient pu m’accueillir le temps d’un café si l’établissement n’avait pas affiché fermé. Je poursuis donc ma route sans marquer de pause, continuant mon jeu de saute-vallées démarré hier à la Bastide-Puylaurent.
Moins marquée par le sceau de la roche que la précédente, la vallée du Suret se présente sous l’habit d’une forêt sombre et peu encaissée que coiffent, à l’horizon, deux sommets familiers : la Dent de Rez d’abord, qui émerge des Bois du Laoul et, au-delà encore, camouflé dans un flou indistinct qui le confond presque avec les nuages, le Mont Ventoux.
Si le vallon a clairement perdu pas mal de l’envergure visuelle qui baignait celui de Thines, il n’en déploie pas moins un éventail de caractéristiques qui, à mes yeux, forgent peu à peu l’identité du Cévenol : la bruyère, omniprésente ; l’eau, mariée au rocher, qui remplit le moindre thalweg ; un sentier monotrace suspendu en balcon à flanc de versant ; les troncs fantasques des châtaigniers qui répandent en sous-bois une moquette de feuilles et de bogues.
Sur le bord des chemins, des parterres de vergerettes – ces cousines de la pâquerette aux pétales plus nombreuses et plus fines – fêtent mon passage en feu d’artifice blanc et or. Survient Dépoudent, encore un de ces innombrables cul-de-sac plaidant en faveur du passé et où abdique le goudron. L’un des hameaux parmi les plus isolés de la commune de Saint-Pierre-Saint-Jean, issue du regroupement de Saint-Pierre-le-Déchausselat et de Saint-Jean-de-Pourcharesse et terminus de cette journée.
En chemin j’exhume de hauts murs de pierre et un vieux pont de schiste, vestiges usés, mais toujours debout, de quotidiens lointains qui les ont vus longés et empruntés bien plus fréquemment qu’aujourd’hui. Je me réjouis que la randonnée contribue à entretenir les chemins et le souvenir de ces âges qui ont façonné les paysages bien avant que notre société de loisir insouciante ne s’en empare pour son usage.
Je me heurte ensuite de plein fouet à l’élégante toiture en lauze de l’église romane de Saint-Jean. Une oeuvre d’art flanquée d’un magnifique clocher-mur percé de quatre arcades dont l’une accueille la cloche. « Ici on appelle ça plutôt un clocher à peigne » me glisse Alain Feynerol, élu de la commune qui tient la permanence à la mairie, à quelques pas de là.
L’édifice, à l’instar de Thines, revient de loin et doit son salut, une fois n’est pas coutume, à une poignée de passionné(e)s réuni(e)s sous la bannière d’une association. La vétusté peut retourner au vestiaire. Les anges-gardiens de la conservation veillent, pour ce siècle encore, sur le futur de l’église.
« Ce ne serait pas vous qui dormez chez moi ce soir par hasard ? » m’interroge alors Alain Feynerol avant de retourner siéger à la permanence. « Vous êtes le propriétaire des Alrassets ? » réponds-je sans tenter de cacher ma surprise. Quelle amusante coïncidence ! Les Alrassets c’est une exploitation agricole dédiée à la gloire de la châtaigne et dont partie des murs de pierre solides a été transformée en chambres pour pouvoir accueillir marcheurs et visiteurs.
Accrochée au versant opposé, elle est distante d’environ 40 minutes de marche de Saint-Jean et hors GR®. « Le temps de finir ma permanence et on devrait s’y retrouver au même moment » ajoute l’élu avec un sourire. C’est un supplément de marche et de dénivelé qui taquinera le mental au bord de la défaillance des plus fatigué(e)s.
Mais la plongée, par le PR, dans la foison de châtaigniers qui dégringole jusqu’au canyon enjambé par le Pont des Planches vaut bien cet effort. Et une nuit de repos dans le petit paradis d’Alain et de Cécile effacera, n’en doutez pas, jusqu’à la dernière trace de lassitude qui aurait pu accompagner ce final en forme de faux fuyant.
Où dormir ?
Lors de cette itinérance sur le Cévenol je suis allé dormir chez Cécile et Alain, aux Alrassets. Comme expliqué dans le récit, c’est une adresse « hors GR® » qui nécessite de marcher encore un peu une fois Saint-Jean-de-Pourcharesse atteint. Bâtis autour d’une châtaigneraie en exploitation, les Alrassets peuvent accueillir jusqu’à 12 personnes sur deux espaces distincts mais c’est la petite chambre, prévue pour 2 personnes, qui intéressera celles/ceux ne restant qu’une nuit.
L’ensemble a du cachet – notamment la salle basse où se prend le petit-déjeuner et les repas en gestion libre – joliment restauré dans le matériau brut d’une maison de caractère de 1770 entièrement en schiste. Agriculteurs depuis près de 20 ans, Alain et Cécile auront plaisir à vous faire découvrir les produits issus de leur activité, notamment les confitures. Demi-pension à partir de 50 euros. Infos et réservation : 04 75 39 46 39 ou 06 75 29 81 30
JOUR 3 : SAINT-JEAN-DE-POURCHARESSE – LES VANS
Difficulté : moyen | Distance : 15,5 km | Durée : 4h50 | Dénivelé : +325m/-585m
Raccorder à nouveau le tracé du Cévenol me fait repasser par le Pont des Planches et son chaos rocheux séduisant qu’effleurent, en douceur, les premiers rayons de soleil parvenant à se hisser au-dessus de la crête du Courbarel. J’offre au lieu un shooting photo, plus facile à réaliser en début de journée qu’hier, alors que la lumière s’en était déjà retirée.
Je n’irai pas plus loin sur mes pas, filant ensuite en rive gauche de la Sure en direction d’un autre pont, celui de Fra, nouvel exemple de l’intégration harmonieuse du bâti dans le paysage. Pierre sur pierre, comme si le rocher s’était étiré par magie d’une rive à l’autre. La ravine franchie, la sente abandonne la cuvette boisée et encaissée pour se hisser jusqu’aux maisons du Serre.
La marche à flanc de versant reprend, qui épouse patiemment les caprices du relief, résolument orientée sud et continuant, sans hâte, à perdre doucement de l’altitude. Par petites touches, à coups retenus de nuances discrètes, une tonalité provençale s’insinue dans le sous-bois.
Le pin d’Alep a succédé aux châtaigniers, encerclé par des armées de fougères. Une chaleur plus marquée a pris ses quartiers sous des bosquets d’arbousiers, chauffant les pierres disjointes des murets qui bordent encore très souvent le chemin. Ce troisième jour pose les fondations d’un nouvel univers paysager, plus méditerranéen et également plus habité.
Un horizon de reliefs boisés se dévoile en atteignant Brès, bourgade modeste, mais attachante, dédiée à la gloire du grès rose. J’y croise un petit monsieur, occupé à son jardin, qui a toujours habité ici. Il me raconte ses souvenirs d’enfance, à la Pagnol, évoquant la charrue que son grand-père tirait pas loin d’ici, la vigne aujourd’hui remplacée par les oliviers, les restanques qui aménageaient les alentours.
« Il n’y avait pas un espace qui n’était pas cultivé autour de Brès. » m’explique-t-il, désignant les masses de résineux qui encerclent maintenant le village. Je lis dans son regard l’amour de la terre et la nostalgie d’un art de vivre qui s’est perdu en chemin. « Vous allez où ? » me demande-t-il. « Aux Vans » réponds-je. Je lui parle du Cévenol, désignant la balise qui apparaît à la sortie de son jardin.
« Y’en a de belles choses c’est vrai. Mais on n’a jamais vraiment bien pris le temps d’aller voir beaucoup plus loin que chez nous » semble-t-il regretter. Force est de constater que, en ce qui me concerne, c’est plutôt l’inverse. Trop dévoré de curiosité et poussé par le mouvement perpétuel pour réussir à rester en place. Je le salue d’ailleurs, déjà pressé de continuer à dérouler le fil du Cévenol.
La trace se prolonge sans heurt. Si j’étais marin, j’aurais l’impression de naviguer sur une mer d’huile, fendant avec aisance des étendues de fougères et des océans de pins. Sans beaucoup d’effort, je rejoins les habitations de Champmajour où un banc et un peu d’ombre suffisent à me convaincre d’y faire une pause pour le déjeuner.
Les maisons sont ici moins roses qu’à Brès mais ne manquent cependant pas de ce charme naturel conféré par la pierre aux constructions anciennes. Sous une fenêtre, deux visages taillés dans le grès encadrent, gravée dans la roche, l’inscription « fait en 1778 ». Soit onze ans avant la Révolution… À quoi pouvait donc bien ressembler Champmajour et l’Ardèche en cette fin de 18ème siècle ?
La vie devait sans doute s’y tenir beaucoup plus localement, jamais plus loin que les champs ou le village voisin, rallié à pied ou à dos de mule. Descendre aux Vans relevait probablement de l’événement. Et les voies de circulation, comme les places publiques et les hameaux, étaient encore à plus d’un siècle d’inviter la voiture en leur sein.
Près de 250 ans plus tard et l’avènement de la civilisation du pétrole, je trouve leur présence grossière dans ces villages d’un autre temps. Des verrues inadaptées à la largeur des rues qui peinent à se fondre dans le cadre. Décalage entre le métal, clinquant et vulgaire, et la pierre, beauté brute et primitive. Deux mondes contraints à une cohabitation forcée, presque anachronique que je considère souvent sous l’angle d’une bataille perdue.
J’échappe à ces pensées mélancoliques en me réfugiant à nouveau en forêt. Le soleil franc d’un début d’après-midi éclaircit la ligne brune du chemin ouvert entre deux rangées de fougères. J’y capte du coin de l’oeil un mouvement fugace, accompagné d’un bruissement de feuilles. Un pépiement répété à l’envi et c’est un troglodyte mignon qui disparait en un battement de paupière derrière la carcasse moussue d’un vieux châtaignier.
Je profite de ces derniers et brefs segments de pleine nature tandis que la proximité des Vans se fait ressentir. Une ligne haute tension ici, un versant mis à nu par des engins de chantier là, l’écho d’une moto qui met les gaz en quittant Chambonas plus bas… L’empreinte humaine dans le paysage a pris de l’ampleur lorsque je rejoins les rives du Chassezac en mettant un terme à la descente patiente amorcée hier depuis Croix Blanche et Peyre.
Je ne boude pas mon plaisir des retrouvailles avec cette rivière avec laquelle j’entretiens un lien plus marqué qu’avec l’Ardèche. Je la tiens pour bien plus sauvage que celle, envahie chaque été par des milliers – millions ? – de visiteurs/ses et de canoës. Et puis il y a aussi ces gorges impressionnantes, en amont, que j’avais découvertes depuis la Garde-Guérin lors d’un reportage sur le Chemin de Régordane – voir l’article : Chemin de Régordane, 250km sur le GR®700.
Sans oublier ces vieux épisodes de Carnets de Rando – qui mériteraient une actualisation avec des moyens techniques plus récents ! – tournés pas loin dans le Bois de Païolive et la Presque’Île de Casteljau. Oui, assurément, il y a un peu de nostalgie à côtoyer ce Chassezac associé à tant de souvenirs.
J’en manque presque les toits vernissés des tours du château de Chambonas, émergeant de la ligne d’arbres qui borde le haut mur du périmètre extérieur. Malgré sa proximité, l’entrée du village n’est pas le lieu le plus adéquat pour admirer ce bel édifice construit par la famille De Lagarde au 13ème siècle.
Pour profiter du spectacle offert par le long escalier des cinq terrasses de son jardin à la française, il faudra prendre un peu de hauteur et traverser le magnifique pont médiéval qui, en trois arches imposantes, enjambe le Chassezac en amorce d’un lacet. Invisible derrière le rempart pentu de Côte du Pont, l’agglomération des Vans se déploie en pente douce jusqu’à son centre le plus ancien.
J’y recroise le GR®4, qui descend lui aussi de Thines mais par un autre chemin. Il poursuit ensuite vers l’est et Vallon-Pont-d’Arc pour rejoindre l’Ardèche, plus tard, à la sortie de ses gorges, à Saint-Martin-d’Ardèche. S’esquivant du tracé principal en catimini, le GR®44 prend lui la route du sud-ouest en direction de la Lozère alors que son jumeau, le GR®44B, prend la poudre d’escampette, direction la Lozère également mais avec, comme objectif, la Montagne de la Vieille Morte.
Depuis la terrasse du Dardaillon où je trinque avec une Vals-menthe à la fin de cette troisième étape, j’assiste au ballet des passants et des voitures autour de la place Léopold Ollier, le père de la chirurgie orthopédique moderne, né aux Vans en 1830 et à qui la ville a consacré un musée. Après ces premières étapes dans la solitude des hautes vallées du territoire, l’atterrissage aux Vans, à la confluence des Cévennes et de l’Ardèche Méridionale, pourrait paraître brutal.
Et pourtant pas tant que ça, une fois les agréables rues et ruelles du centre historique rejointes où le visage contemporain des Vans côtoie l’ancien dans un mariage des genres réussi. Dans la rue du marché, un apéro musical, rythmé par des guitares et des percussions, bat son plein devant l’atelier-boutique Cristel Kora, une créatrice de mode influencée par la culture africaine.
Je reconnais dans Les Vans ce visage un peu bohème et coloré de l’Ardèche que j’affectionne, son goût pour l’artisanat populaire et les fêtes improvisées, pour la boustifaille et la camaraderie. Sans chichi. L’Ardèche nature, peinture. J’y traine encore un peu, poussant jusqu’à la rue du Cancel, à mes yeux la plus belle des Vans avec sa rue pavée, ses petits commerces fleuris alignant des terrasses où on siroterait bien un verre de Viognier.
Je fais le tour derrière l’église Saint-Pierre-aux-Liens, y cherchant de bonnes excuses pour trainasser encore un peu avant de finalement remonter par la rue de la Calade à la sortie de laquelle je me heurte quasiment au temple protestant du Rousselet, rappel du passé protestant encore d’actualité de la commune.
Il me vient alors en tête, alors que je franchis l’entrée de l’hôtel du Vanséen, que de tous les visages de l’Ardèche précédemment cités, l’un m’avait échappé et pas le moindre : celui d’une terre de résistance. En Ardèche, soyez assuré(e)s qu’on ne fait pas comme tout le monde et qu’on en est fier !
Où dormir ?
Avec deux chambres d’hôtes et deux hôtels à disposition dans le périmètre de son centre-ville, Les Vans se posent en point d’étape privilégié sur le Cévenol. En ce qui me concerne j’ai passé la nuit à l’hôtel Le Vanséen, un agréable 3 étoiles tenu par un duo tout en sourire et en plaisir d’accueillir. L’établissement, fraîchement repris depuis moins d’une paire d’années, a été joliment adapté aux goûts et couleurs de ses nouveaux propriétaires. Résultat : des chambres spacieuses et colorées, à la déco discrète mais réussie. Et puis le calme d’une position à 5mn du centre. Une piscine permettra de se délasser après la journée de marche. Un endroit qui dégage une belle énergie et où j’ai apprécié m’arrêter le temps d’une nuit. Tarif : à partir de 69 euros, petit-déjeuner compris. Infos et réservation : 04 75 94 91 88 ou hotellevanseen@gmail.com
Où manger ?
Les Vans affichent une liste étoffée de restaurants pour tous les budgets. Très proche de l’hôtel et auréolé d’une belle réputation – la réservation y est conseillée – j’aurais bien tenté La Feuille de Chou dont la carte titillait ma curiosité autant que le lieu. Le restaurant était malheureusement fermé le soir de mon passage aux Vans. Je me suis donc laissé glisser vers le centre ancien, hésitant entre les formules à l’assiette de O’Brothers, dans la rue Droite – que m’avait recommandé l’Office de Tourisme – et les pizzas de l’Olivo, rue du Marché. J’ai finalement cédé à l’appel de la Quatre Fromages et d’un tiramisu à cette dernière. Pas déçu. Un service rapide et sympa, un budget maîtrisé et de très bons produits. Je recommande.
Le Musée des Vans
C’est l’un des plus anciens musées d’Ardèche, articulé autour de cinq expositions dédiées à la connaissance du territoire des Cévennes ardéchoises. Installé dans les bâtiments d’un ancien couvent et d’une ancienne filature, il porte à la connaissance du public la nature très contrastée du pays à travers des thématiques comme la géologie, l’archéologie, l’ethnographie ou encore la médecine. Il accueille également des expositions temporaires et des événements culturels. Ouverture du 16 mars au 17 novembre. Rendez-vous au 4 rue du Couvent. Tel : 04 75 37 08 62
Plus d’infos
Il est utile de préciser que Les Vans abritent le siège de l’Office de Tourisme Cévennes d’Ardèche, en charge de l’information et de la promotion d’une grosse partie du territoire traversé par le Cévenol. L’étape peut donc être l’occasion de répondre à des questions que vous vous poseriez sur d’autres aspects que la randonnée en vue d’en apprendre davantage sur les alentours et les autres possibilités touristiques offertes pour de futurs séjours.
JOUR 4 : LES VANS – MALBOSC
Difficulté : moyen | Distance : 18 km | Durée : 6h10 | Dénivelé : +850m/-490m
Ce n’est pas si courant de pouvoir quitter rapidement une agglomération sans trop avoir à subir le goudron. C’est pourtant ce que propose Les Vans et le Cévenol une fois l’extrémité de la rue du Bourdaric dépassée. En quelques minutes c’en est fini du manège des voitures, des trottoirs, des livreurs pressés et des commerces qui s’animent dans des odeurs de café et de croissants chauds.
Le GR® ferme rapidement la porte au quotidien contemporain des hommes, préférant la nostalgie de chemins délaissés à l’image de celui du Vieux Naves qui tire droit vers le village éponyme et le sommet du Serre de Barre en toile de fond. L’un comme l’autre tiennent assez de l’image d’Épinal du voisinage des Vans.
Les Vans sans le Serre de Barre, c’est un peu comme le Dévoluy sans le Pic de Bure. Une présence iconique et familière, à la fois tendre et sévère, vers laquelle semble vouloir se diriger le sentier. Elle échappe cependant à ma vue lorsque celui-ci plonge sous le couvert des chênes à la faveur d’une calade antique, mais pleine de charme, ceinte d’épais murets en pierre.
Le lierre y crée, ici et là, des entrelacs de vert sombre qui infiltre des fissures élargies par l’action du temps. Le « chemin vieux » est une voie aussi magnifique qu’inattendue qui, depuis le Moyen-Âge, fait la jonction entre Les Vans et Naves. Mes pas s’y fondent dans ceux des agriculteurs de jadis qui, après avoir franchi le pont de Bourdaric, montaient chaque matin sur le plateau afin de cultiver leurs terres.
Au 21ème siècle, la tradition se poursuit dans les vignes de l’IGP Ardèche qui ceinturent les pentes douces de marnes feuilletées des alentours des Vans. Je leur tourne le dos pour faire mon entrée dans Naves. Le coup de foudre est immédiat et d’autant plus fort qu’il m’a pris de court. Le vieux Naves est un bijou, un concentré de patrimoine médiéval à tomber par terre.
Impossible de ne pas succomber au charme de ses rues étroites et pavées, de ses porches en pierre et de ses façades grignotées par le lierre. Un dédale de coursives et de jardinets, émaillé de brefs escaliers, où l’ombre joue à cache-cache avec la lumière sur des fenêtres à meneaux. Naves est une lettre d’amour à la pierre, un éclat de compacité que sa position haute, perchée sur la butte de Grisel, rend d’autant plus magnifique.
C’est un lieu qui incite le visiteur à l’abandon, usant habilement de ses atours minéraux et fleuris pour retenir ses pas. Naves est à la croisée des schistes cévenols et des calcaires du sud-est, oublieux de cet âge lointain où la région baignait dans les eaux chaudes d’un océan.
Une situation qui, aujourd’hui, fait de Naves un site d’intérêt pour les géologues amateurs qui viennent y déchiffrer l’histoire dans les strates de son cirque plus sûrement que dans les livres. Le Cévenol emprunte d’ailleurs partie des 4 kilomètres du Géosentier spécialement créé pour voyager sur une vire de l’impressionnante dépression calcaire ouverte à l’arrière du petit bourg.
Sous mes pieds, c’est 18 millions d’année d’histoire de la Terre révélés par la présence de la faille d’Orcières, une entaille de six kilomètres qui prolonge celle, septentrionale, du Mont Lozère. Là-dessous, invisible, s’ouvre un véritable gruyère karstique.
Dissimulée à ma vue par un repli boisé, la rivière du Bourdaric jaillit ainsi au grand jour après un voyage souterrain à travers les substrats de la Grotte de Champclos où une cavité, baptisée du Mont-Blanc, atteint 40m de haut. Comme si un autre monde fait de gouffres, de puits et d’obscurité se trouvait juste là, sous le tapis rassurant du chemin sur lequel je progresse.
Tout ça s’évanouit lorsque l’itinéraire abandonne derrière lui les convulsions de la géologie pour retrouver la luminosité d’une châtaigneraie soigneusement éclaircie et que des lignes de restanques, montées en gradins, viennent soutenir jusqu’à la grande bâtisse des Alauzas.
Des empilements de bogues piquantes attendent l’heure du ramassage de part et d’autre du chemin. À moins d’avoir à faire à la version ardéchoise des cairns… Pas question, en tout cas, de succomber à l’envie d’en prélever pour sa récolte personnelle : on ne rigole pas avec la châtaigne en Ardèche, et encore moins avec la propriété privée !
Les Alauzas, posés sur une épaule dégarnie du versant occidental du Serre de Barre, trônent bien au-dessus des Vans, face aux Monts d’Ardèche et au lointain Mont Ventoux, souverains absolus d’un royaume de châtaignes.
La suite de l’ascension vers le Serre de Barre s’y attrape, dirigeant ses forces vers la Croix de Bancillon, 150m sous le sommet et sa tour de vigie. Elle y rejoint le GR®44 venu depuis Brahic pour flirter avec sa crête et rejoindre, bien après, Malons-et-Elze, dans le Gard.
Pour le/la marcheur/se en mission sur le Cévenol cette option peut officier comme variante pour rejoindre Brahic autrement que par la longue DFCI de l’itinéraire original. Je fais cependant voeu d’obédience à la trace d’origine et tue cette idée dans l’oeuf en me lançant à grandes enjambées dans la patiente remontée du Plateau des Gras vers Brahic.
J’y croise la route de Manon, rentrant au village en promenant ses trois brebis dodues derrière elle. Amusante rencontre ! Puis Brahic est là au débouché de la forêt, modeste bloc de maisons de schiste hésitant entre l’ocre et le roux, déposé à l’ombre de son église romane du 12ème siècle et de son clocher-peigne à quatre arches qui sonne midi à mon passage.
Les petites rues du village exhalent une succulente odeur de viande fumée. Un éclat de voix plus tard, je trouve mon passage barré par un banquet improvisé en pleine rue. Installée au-dessus d’un barbecue rudimentaire, une longue broche tourne lentement en emmenant dans son sillage plusieurs poulets. Un peu plus loin, une table et des bancs jetés en travers accueillent un petit groupe de gars du coin solides et gouailleurs.
L’un d’eux vient m’aider à franchir l’obstacle. « T’as pas cinq minutes ? Bois donc un coup avec nous ! » me tanne-t-il en attrapant le sac à dos que je lui passe le temps de me faufiler entre le mur et la broche. « Mince mais t’as quoi là-dedans ? » ajoute-t-il, surpris par le poids de mon chargement. « Hé ! Sers donc un verre au p’tit gars ! » lance-t-il alors à l’adresse d’un balèze à la stature de rugbyman.
Je cède à l’improvisation et à la curiosité de cette rencontre qui fait écho à mon ressenti sur la nature généreuse de l’Ardèche et des ardéchois, évoqué un peu plus tôt. « On fête quelque chose ? » je demande en levant un petit ballon de rouge qu’on vient de me servir. « Pourquoi attendre un événement en particulier pour se réunir ? » me répond, en face de moi, celui qui se présente comme un artisan. « On trinque à l’amitié et au plaisir d’être en vie, c’est tout ! » conclut-il dans un sourire.
Ça me plait assez bien. Je leur fais remarquer que beaucoup de choses ici, en Ardèche, me rappellent la Corse. Y compris ses habitants, genre un peu forts en gueule mais généreux, chasseurs revendiqués, amateurs de bonne chère et de levage du coude. On me tend une assiette. « Ça c’est du local, tu m’en diras des nouvelles » Ça rit, ça trinque, ça parle fort : un instant de vie simple et décomplexé auquel je me retrouve convié un peu par hasard. Quand je reprends ma route, la tête tourne un peu. J’ai bien fait de refuser la troisième mi-temps.
La suite de l’étape installe un nouveau décor durable : celui de hauts pins maritimes, à l’écorce grise et rugueuse, poussant droits comme des pylônes électriques, dans une futaie qu’un tapis d’aiguilles abandonnées colore d’une étrange teinte orangée. Dans ce paysage uniforme qui rappelle la Provence, des habitations isolées et cossues s’aperçoivent parfois.
C’est néanmoins la solitude qui accompagne plus généralement ma marche tandis que l’itinéraire ondule lascivement entre fougères et bruyères. Phénomène dont je me réjouis bien davantage que je le déplore. Il y a quelque chose d’assez intime quand la trace vient, par exemple, provisoirement épouser le cours peu profond et sage du ruisseau de Planzolle.
La randonnée se fait soudain dilettante sur cette section agréable que le soleil vient effleurer d’une main encore chaude pour la saison. Un peu plus et j’aurais piqué une tête dans la Gannière, voie d’eau fraîche descendue depuis les versants sud du Serre de Taravel et que je croise plus loin, prise en tenaille dans un joli défilé de roche, au passage du Moulin de Gournier.
C’est le signal annonçant la reprise du dénivelé, relativement modeste jusqu’ici. Je garde en tête que, demain, j’aurai rejoint le pied du Mont Lozère à Génolhac et que, sans ascenseur, il va bien falloir prendre de l’altitude à un moment. Je procède par palier, pareil à un plongeur remontant à la surface, me fixant dans un premier temps d’atteindre Sabuscles, une autre de ces colonies ardéchoises bâties dans le schiste et installée à l’étroit sur une hauteur rasée de frais pour l’occasion.
Comme d’autres hameaux de ce type, Sabuscles a des airs de village fantôme. Sa « rue » haute, ouverte dans la pierre et large d’à peine deux mètres, est bordée de maisons aux portes et fenêtres closes où les pierres arborent une teinte de rouille. Étrangement, façades et voie se « modernisent » au fur et à mesure que je traverse le village, un peu comme si Sabuscles s’était construit par tranches, du haut vers le bas, autour d’une seule et unique artère.
Une activité humaine réduite et à peine visible me fait m’interroger sur ce qui se cache vraiment derrière les murs muets de ces hameaux frappés du sceau de l’abandon. Le tourisme et le goût de l’ancien seront-ils suffisants pour leur éviter de disparaître définitivement dans le futur ? Je suis toujours en train de considérer cette question lorsque je franchis, plus bas, le ruisseau d’Abeau par le pont de schiste robuste et élégant qui l’enjambe.
Le secteur abonde en voies d’eau à la fraîcheur attirante, souvent garnies de rochers incitant à la pause quand ce n’est pas de vasques propices à la baignade. Deux siècles plus tôt, certaines ont fait l’objet d’aménagements hydrauliques. Ce fut le cas de l’Abeau, entre 1850 et 1886, pour l’irrigation et l’alimentation d’un moulin, plus en aval, au niveau de la ferme d’Abeau.
Des travaux y sont actuellement en cours pour réhabiliter le site et les infrastructures que des crues et l’abandon progressif ont fini par faire presque entièrement disparaître. L’échancrure de l’Abeau, ouverte en travers de l’itinéraire, m’a en tout cas refait perdre ces quelques mètres de dénivelé durement acquis en montant à Sabuscles. Je peux tout recommencer à la sortie du pont alors que le sentier s’élance à travers la forêt en direction de Malbosc.
Les mollets se tendent, le souffle se fait un peu plus court et les épaules davantage douloureuses, mais je tiens bon. Malbosc sera mon dernier effort de la journée. Du moins est-ce ce que je crois en y débarquant à plus de 18h alors que l’ombre du Serre d’Aubrias s’étend lentement sur les toits du village. Je n’avais pas intégré, dans mon calcul d’itinéraire, que Fourniels et mon hébergement du soir, se trouvaient encore à 2km du centre-bourg et en-dehors du Cévenol.
Du rab’ comme on dit à la cantine ! À consommer cependant au fil d’un PR bien dessiné qui m’expédie plus rapidement que je ne l’aurais imaginé dans la paix de « l’Aube des Fourniels », petite bulle de tranquillité dont je savoure le confort et le charme à l’aune d’une nouvelle journée encore bien remplie sur les sentiers ardéchois.
Bon à savoir
Les Alauzas, cités dans le récit, sont également un gîte, répertorié auprès des Gîtes de France. Si j’en fais mention ici c’est clairement parce que l’endroit m’a plu et que je me suis dit, devant la porte d’entrée, que je m’y serais bien vu passer des vacances. Rentré plus tard au bureau, la sensation m’a été autant confirmée par les images vues de l’intérieur que par le prix de départ d’une location à la semaine (400 euros). Autant partager le tuyau ici. Rendez-vous sur le site des Gîtes de France Ardèche pour découvrir cette pépite.
Juste avant d’attaquer la montée vers Sabuscles, en passant le pont sur la Gannière dont je fais mention dans le récit, j’ai noté la présence du petit Camping du Moulin de Gournier. Il était fermé au moment où j’étais sur le Cévenol mais je m’étais dit qu’il serait peut-être intéressant d’en faire mention dans l’article pour celles/ceux susceptibles de passer en période d’ouverture et qui voyageraient en tente. Le camping est ouvert du 1er juin à fin août et dispose d’emplacement pour tente de 18 à 24 euros/nuit. Infos et réservation : 07 68 89 49 92 ou lemoulindegournier@laposte.net
Où dormir ?
Malbosc a longtemps été le maillon faible sur le Cévenol en terme d’hébergement. L’Aube des Fourniels a changé la donne et demeure, à ce jour, la seule et unique solution pour y faire étape. Avec 4 gîtes à disposition pouvant accueillir au total jusqu’à 10 personnes, cette superbe demeure ouvrant jusqu’aux Alpes et au Mont Ventoux, ne sera donc pas une option. Je vous invite à contacter Catherine, la propriétaire, en amont de votre visite pour vous assurer une place lors de votre passage. L’établissement ne propose en effet la nuitée que sur sa chambre de l’Étoile, pour 2 personnes. Notez également, ainsi qu’il est bien dit dans le récit, que le domaine est situé à 20mn de marche depuis le centre de Malbosc. Tarif à partir de 75 euros, petit déjeuner compris. Infos et réservation : 06 23 21 22 11 ou 06 77 28 85 64 ou par mail laubedesfourniels@gmail.com
Où manger ?
Comme il n’y a pas de Table d’Hôtes à l’Aube des Fourniels, il faudra donc anticiper et réserver un plateau repas à Lullia ou à Jérémy au Bistrot de Malbosc, un convivial Bistrot de Pays proposant une cuisine de terroir, à base de produits locaux, qui privilégie la fraîcheur et les circuits courts. L’établissement est ouvert du 1er mai au 1er octobre le mardi, mercredi, jeudi et dimanche de 9h à 18h, puis Le vendredi et samedi de 9h à 23h. Il est fermé le lundi. Le reste de l’année uniquement le vendredi et samedi de 16h à 20h puis le dimanche de 9h à 18h. Catherine ou son époux pourront, si vous êtes coincés, vous aider à récupérer le plateau pour manger à la chambre. Infos et réservation : 06 11 07 14 01
JOUR 5 : MALBOSC – GÉNOLHAC
Difficulté : difficile | Distance : 21,5 km | Durée : 7h | Dénivelé : +810m/-850m
Ce matin, c’est cadeau. Depuis la fenêtre panoramique de ma chambre de « l’Aube des Fourniels » j’assiste au lever du soleil sur l’horizon dégagé de l’Ardèche méridionale. Quelques secondes suspendues, au cours desquelles le jour glisse sur des filaments nuageux qui roulent sur les reliefs encore indistincts comme des vagues sur l’océan. Le disque aveuglant pointe alors un bout incandescent qui, le temps de quelques battements de coeur, embrase la ligne d’horizon d’une couleur d’incendie.
L’affaire est réglée en seulement quelques minutes, dissipant des brumes récalcitrantes et révélant plus nettement le dessin de crêtes et de collines se répétant à l’infini, par-delà ce qui doit être la plaine du Rhône.« Certains jours on peut apercevoir les Alpes et le Mont-Blanc » me dit Catherine en m’apportant mon petit-déjeuner sur un plateau. Sans aucun doute la cerise sur le gâteau d’un spectacle déjà réussi qui a le don de mettre ma dernière journée immédiatement dans les bons rails.
Je retourne à Malbosc par le chemin de la veille. Le petit village baigne dans la lueur chaude d’un matin neuf, savourant les bienfaits d’une lumière vive employée à faire oublier les frimas de la nuit. Avant de quitter Malbosc je me suis promis un aller-retour rapide par sa table d’orientation, à l’écart du cimetière ouvert au nord du hameau.
Trois tables de lecture permettent d’identifier les sommets susceptibles de se dévoiler en fonction de la clarté, de l’heure et de la météo du moment. Une version « matérielle » de Peakfinder qui me renseigne sur la présence du Dévoluy à l’horizon et, notamment, de la Tête de Garnesier, gravie pour un précédent reportage – voir l’article Garnesier, le Sommet à qui il faut faire la Tête. Je force le regard pour tenter de distinguer la Barre des Écrins et la Meije, dûment mentionnées, en vain.
Catherine m’avait dit que, depuis les Fourniels, il était possible de raccorder plus rapidement le Cévenol au niveau du Serre d’Aubrias qu’en revenant à Malbosc. Mais désireux de documenter l’itinéraire tel qu’il a été pensé, je n’en tiens pas compte et prends la direction d’Escoussous par des chemins forestiers aux calades disjointes menant au pied d’une de ces « ruines » enchantées dont les Cévennes ont le secret.
À l’instar du « chemin vieux » hier, à Naves, un nouvel superbe escalier qui a survécu aux assauts du temps escalade, en zigzags, les derniers mètres de pente desservant Escoussous. Des murets de pierre moussus délimitent la voie ancienne que recouvrent les feuilles racornies des chênes verts, poussant maintenant en lieu et place de toute culture maraichère ou céréalière, de part et d’autre du chemin.
Escoussous survient au débouché d’une dernière volée de marches, déclinaison plus compacte de Sabuscles, comme un salut et un refuge offert aux hommes dans le désert vert d’une forêt sans fin. Ses étroites venelles sur lesquelles rampent des rideaux de lierre sont peut-être même encore plus immersives, à l’image de cette calade des Arts, une brève montée au paradis qui ouvre le bal de ces hallucinants décors d’un autre âge.
La frontière avec le Gard voisin n’est plus très loin désormais. Pas de douane mais une simple barrière, ancrée au sommet d’un talus sous lequel arrondit le large chemin bordé de chênes et de châtaigniers qui m’a conduit jusque là. Je reconnais l’endroit. C’est la propriété « prisée » de Michel Pena, artiste et paysagiste, qui a « sculpté » et aménagé l’espace du Pré aux Sources par lequel fraye le Cévenol en rejoignant le GR®4 et le GR® de Pays Haute Vallée de la Cèze arrivant de Bordezac.
J’empruntais ce dernier quelques mois plus tôt à l’occasion d’un autre reportage pour le magazine Balades – à paraître dans le n°182 de novembre-décembre 2024, NdlR. Je me sens immédiatement en terrain connu, sachant exactement où chercher le sentier et ce que je vais y trouver. Avec assurance, je traverse donc ces mêmes sous-bois isolés qui s’élèvent vers le sommet de la Loubière, par une trace à moitié invisible sous un tapis de feuilles mortes et que vient confirmer un balisage soigné et régulier.
Là-haut m’attend un rendez-vous avec la planète Cévennes. La crête émaciée de la Loubière, en même temps qu’elle offre un semblant provisoire et apprécié de cheminement plus rocheux, courtise un horizon infini de reliefs vers l’ouest comme vers l’est. J’y reconnais le village de Bonnevaux, côté nord, dominant l’entrée du vallon du Péras. Un autre chef-d’oeuvre façonné au schiste mais auquel le Cévenol tourne toutefois le dos.
Passé le col du Péras, il bascule à l’ouest pour rejoindre Aujac, via le hameau des Bouchets où j’avais également fait, au printemps, quelques images des ruches-troncs cévenoles, une tradition ici. L’abeille noire des Cévennes, espèce singulière et inféodée au climat local, y trouve refuge dans ces troncs de châtaigniers transformés pour elle en maison. Une lauze plate, posée par-dessus, lui sert de toiture. La ruche-tronc symbolise l’expression d’une apiculture ancestrale que le Parc National des Cévennes et une poignée d’artisans du miel aimeraient remettre au goût du jour.
Plus bas encore s’ouvre Aujac où le Cévenol abandonne le tracé du GR® de Pays Haute Vallée de la Cèze. Je jette un bref coup d’oeil en arrière, pour vérifier que le château du Cheylard se tient toujours solidement campé sur son promontoire. C’est l’un des mieux conservés de la vallée, fier vestige d’un ancien système défensif qui se déployait tout au long de la Cizarencha, axe de communication stratégique tiré entre Alès et Langogne au 13ème siècle.
Je m’en remémore la visite privilégiée, en fin de journée, avec sa passionnante propriétaire Marlène Léautier. Le château est ouvert au public les dimanches et jours fériés et bénéficie, en ce sens, d’une belle dynamique de visite mise en place par l’équipe qui gère amoureusement l’endroit. Un crochet à envisager en fonction du jour qu’il est et du temps qu’on a devant soi.
Ce temps, ce jour-là, je n’en dispose pas. Le train m’attend à Génolhac en limitant ma marge de manoeuvre. Il reste, mine de rien, encore 13 kilomètres à parcourir depuis Aujac : pas de quoi espérer se la couler douce. C’est le moment choisi par le Cévenol pour perdre en intensité visuelle. Entre Aujac et Charnavas – soit pas loin de 4,5 km – c’est essentiellement sur de la route qu’il faut avancer.
Le franchissement de la Cèze, bordée de plages de fins galets et de rochers, offre une parenthèse appréciée entre deux tranches de goudron. La montée, assez sévère ensuite, jusqu’à Charnavas enfonce le clou. Le hameau, paisible cohabitation de quelques maisons et fermes, n’a cependant pas le charme d’un Bonnevaux ou même d’un Sabuscles. Et ainsi en va-t-il du cheminement à compter de maintenant.
Sans non plus être dénué de tout intérêt, il peine à se hisser au-dessus du quelconque. Un petit quelque chose s’est perdu en chemin. Peut-être la faute à cette alternance forcée avec le bitume. Ou à des sentiers visuellement moins excitants, à la végétation plus brouillonne ou coincé sur des versants rasés par les forestiers.
Il y a quand même ce moment, à la sortie du petit bourg de Montredon, où le socle du Mont Lozère tout proche s’impose dans le paysage comme s’il voulait manger le monde. Une perspective qui fait forte impression avant qu’un sous-bois de résineux au visage plus anarchique n’avale finalement la brève vision.
Plus bas, dans ce vallon un peu sombre et pas mal désordonné, coule l’Amalet que franchit le petit pont de Jeannot. Le mot « Amalet » viendrait de « Valmalet » qui signifie mauvaise vallée, mauvaise exposition et, par extension, mauvais pour les cultures. Comme si la toponymie voulait confirmer mon ressenti plus mitigé sur ces derniers kilomètres avant Génolhac.
J’atteins le gros bourg cévenol, au pas de course et un oeil sur la montre, par le col de Canteperdrix. Un point haut pour disposer d’une vue d’ensemble sur la bourgade qui sert de porte d’entrée sud-est aux étages supérieurs des Hautes Cévennes. À Génolhac, l’ancien, le médiéval et l’industriel cohabitent pacifiquement, loin des Guerres de Religion, de Cent Ans et des Camisards qui ont marqué son histoire au fil des siècles.
Génolhac est également traversé, dans le sens nord-sud, par le Chemin de Régordane, nom de code GR®700. C’est lors d’un reportage déjà pas mal ancien sur cette voie historique qui relie Le Puy-en-Velay à Saint-Gilles-du-Gard – voir l’article Chemin de Régordane : 250km sur le GR®700 – que j’avais découvert et évoqué Génolhac. Les hasards des reportages m’y ont fait repasser au printemps de cette année (2024, NdlR) pour un autre sujet randonnée consacré à des itinéraires autour d’Alès à paraître dans le numéro 183 de Balades de Janvier-Février 2025.
Autant dire que je me dirige sans l’once d’une hésitation vers la gare du village où le TER fait étape en venant d’Alès ou de Langogne. On ne le dira peut-être pas assez mais cette voie ferrée est un atout précieux pour le territoire qui gagne ainsi en mobilité. De quoi, en tout cas, faire les affaires des randonneurs comme moi qui peuvent ainsi, très facilement, rallier ou quitter la plupart des grands itinéraires pédestres qui sillonnent cette partie de l’Occitanie.
Vous l’aurez compris, désormais, vous n’aurez plus aucune excuse pour prétexter une quelconque difficulté d’accès et ainsi différer le moment de vous aligner sur le départ de cet itinéraire injustement oublié sur lequel il n’y a pourtant, à mon sens, pas grand-chose à jeter. Bien au contraire ! Longue vie au Cévenol et puisse-t-il conquérir le coeur des futur(e)s randonneurs/ses qui s’aventureront dessus !
Bon à savoir
Si vous y passez à l’heure du déjeuner et aux jours d’ouverture – pas le mercredi donc – vous pourrez faire la pause au Secret d’Aujac, petit adresse rurale et rustique à la cuisine simple mais correcte. Les patrons sont du cru et le lieu pas mal dans son jus. Ça pourra en déboussoler certain(e)s, ce qui n’a pas été mon cas. Selon l’affluence et la commande, le service peut y être aussi rapide que désespérément long. Pour le trouver, il faut rentrer dans le village : l’adresse est pile à l’arrière de l’église en arrivant. Infos et réservation : 04 66 25 13 83
Où dormir ?
Si vous souhaitez passer une nuit à Génolhac avant de prendre votre train j’aurais tendance à vous diriger vers le Temps des Cerises, une chambre d’hôtes ouverte dans une maison de maitre de 1889 dotée d’un magnifique parc planté d’espèces rares. Je n’y ai pas séjourné mais c’est l’adresse la mieux placée par rapport au centre, au Cévenol et à la gare. Je cite le site web de l’établissement : « (la demeure) a retrouvé tout son faste d’antan en alliant le cachet de la bâtisse à une pointe de romantisme. De styles différents, les cinq chambres sont spacieuses et possèdent chacune une salle d’eau et des sanitaires.Le Temps des Cerises est agrémenté d’un jacuzzi et d’une piscine à débordement. Des massages prodigués par un intervenant extérieur sont proposés. » L’idée a du sens après cinq jours de randonnée sur le Cévenol après tout, non ? Tarif à partir de 115 euros pour 2 personnes. Infos et réservation : 06 47 14 89 96 ou letempsdescerises-genolhac.fr
Le Cévenol : à vous de jouer !
J’en ai fini avec le récit de mon expérience et les informations purement pratiques permettant de planifier votre propre aventure. J’ajoute que ces dernières n’ont rien de définitif ou d’exhaustif, n’exprimant que le reflet de ma propre itinérance et de mon ressenti que chacun(e) est libre de partager ou pas. Je vous joins maintenant, en guise de conclusion et sous forme de FAQ, quelques points d’ajustement susceptibles de répondre aux principales questions que vous pourriez encore être amené(e)s à vous poser à l’issue de cette lecture. Si je suis, par hasard, passé à côté de certaines, n’hésitez pas à me les poser par mail en m’écrivant à l’adresse habituelle contact@carnetsderando.net
Y a-t-il un TopoGuide pour le Cévenol ?
Aucun. Il y en pourtant bien eu un il y a longtemps mais il a cessé d’être commercialisé et n’a pas été ré-édité. En partenariat avec la FFRandonnée, le territoire a cependant dans les cartons la sortie d’une TopoCarte recensant les trois grands itinéraires pédestres de la destination. Il devrait voir le jour prochainement, d’ici début 2025, et sera proposé à la vente avec le détail des étapes pour pouvoir partir sur le Cévenol. D’ici là il est fortement recommandé d’avoir la trace GPX à disposition et/ou de suivre le tracé visible sur l’IGN. Le Cévenol apparaît en effet sur le fond de carte 1/25000ème d’IphiGéNie, nonobstant de rares divergences sur le terrain. J’ai en projet de rédiger un petit topo au format PDF. Je ferai état de sa disponibilité ici dès qu’il sera achevé. Enfin le parcours est consultable sur le site de la FFRandonnée en vue de son usage dans leur application MaRando.
Où puis-je récupérer la trace GPX en attendant ?
Vous pouvez me la demander en m’écrivant à l’adresse contact@carnetsderando.net. J’ai à disposition les traces respectives des cinq étapes du parcours décrit dans l’article.
Le Cévenol a-t-il quelque chose à voir avec le GR®67 ?
Absolument pas et attention à la confusion possible entre les deux. Le GR®67 est associé, lui, à une itinérance de 7 jours et 125km appelée « Tour en Pays Cévenol », nuance. C’est un parcours qui s’effectue en boucle au départ d’Anduze, dans le Gard.
Est-ce que le balisage du Cévenol est bon ?
Globalement je répondrai que oui. Bon est un adjectif qui convient. Ça signifie donc qu’il n’est pas « excellent » et, à l’inverse, qu’il n’est pas « catastrophique » non plus. On navigue dans un entre-deux avec une qualité de signalétique très variable selon le secteur. Ma réflexion, sur le terrain, avait été de le qualifier la plupart du temps de plutôt « paresseux ».
Vous constaterez ainsi qu’il est souvent réalisé « à l’économie ». J’entends par là que le marquage est plus souvent latéral que frontal afin de n’utiliser qu’une balise pour les deux sens possibles. Ça peut parfois être gênant quand on cherche une confirmation au loin. À ce titre, le triptyque « annonce », « croix » et « rappel » accompagnant normalement les intersections n’est pas forcément présent au complet à chaque fois.
Chacun(e) sera libre également de débattre sur la position de certaines balises. La plupart du temps, toutefois, la signalétique, toute ancienne ou peu judicieusement placée qu’elle puisse être, est bel et bien là et un(e) marcheur/se habitué(e) à pister un balisage aura suffisamment de bons réflexes pour garder le cap.
Je n’ai relevé qu’un seul endroit paumatoire – début de J2 en descendant vers Boyer Bas – que j’ai fait remonter au territoire. J’ai également fait l’impasse sur le balisage officiel en J5 après Charnavas qui me paraissait renvoyer inutilement en versant nord du Ranc Communal, pas du tout dans la direction de Génolhac alors que l’ancien tracé, visible sur Géoportail et IphiGéNie, tirait plus direct.
Il se peut que l’itinéraire est subi une modification récente, possiblement liée à des ruptures de convention l’ayant contraint à être détourné et inutilement rallongé. Libre à chacun(e) selon le temps dont il dispose et son humeur du moment, de suivre le balisage officiel ou la trace que j’ai choisie.
Est-ce que le Cévenol est un GR® difficile ?
Le Cévenol n’est pas difficile, non. Mais on ne peut pas dire non plus qu’il est facile. Je ne le recommanderai donc pas nécessairement à des débutant(e)s. Et d’une parce que certaines étapes sont quand même bien longues et requièrent pas mal d’endurance. Ensuite parce que le dénivelé, fractionné, pourra vite casser les pattes des moins endurci(e)s à cet effort qu’il faut savoir gérer sur une journée complète pour ne pas finir rincé(e) le soir. Enfin parce que c’est souvent une trace un peu « sauvage » pour amateur/trices d’isolement.
Un(e) débutant(e), assez naturellement, cherche le réconfort d’un itinéraire bien dessiné et pas mal fréquenté. Le Cévenol cultive l’isolement et distille quelque chose de « primitif » plus adapté à des trekkeurs/ses commençant à avoir un peu de bouteille et à la recherche d’un itinéraire original et ambitieux, à même de répondre à l’exigence de leur expérience. Il s’adresse, à mon sens, à des personnes qui, disposant d’une première connaissance de l’Ardèche et des Cévennes, cherchent maintenant à sortir des sentiers battus pour une vision plus intime du territoire.
Est-ce qu’on peut faire le Cévenol en tente ?
Pas foncièrement évident non. Les étapes et le terrain n’y sont pas extrêmement propices. Sans compter qu’une petite partie du Cévenol se trouve sur la zone d’adhésion du Parc National des Cévennes. Bref, si vous envisagez le bivouac classique sous tente, l’expérience pourrait bien être décevante. Seul les aventurier(e)s faisant fi de la tente pourraient prétendre à l’autonomie en optant pour une nuit à la dure et à la belle étoile sur un simple tapis de sol posé sous le premier arbre venu. À moins de faire le choix du hamac.
Dans tous les cas, il faudra aussi résoudre l’équation de l’eau. Si celle-ci coule plutôt abondamment sur l’itinéraire, comme mes photos et mon récit le confirment, je vous recommande l’usage d’une gourde filtrante pour vos prélèvements. Enfin, côté ravito, vous trouverez sur votre route : un commerce multi-services à Saint-Laurent-les-Bains, la Maison du Gerboul à Thines, tous commerces aux Vans. Bien se renseigner avant sur les jours et horaires d’ouverture.
Est-ce que le Cévenol continue après Génolhac pour revenir à la Bastide-Puylaurent ?
Il aurait pu, mais non. En vérité ça n’aurait pas été très utile. Il y a déjà trop d’itinéraires qui s’élance au nord et à l’ouest de la Bastide-Puylaurent. Prolonger le Cévenol n’aurait conduit qu’à une surcharge inutile du réseau. Ce qui ne signifie pas que ce retour n’est pas réalisable. Simplement que, pour l’effectuer, il sera nécessaire d’emprunter d’autres itinéraires déjà balisés. Le plus logique serait de suivre le Chemin de Régordane qui, en deux journées et 36km, opère la jonction, via une étape à Villefort – voir l’article Chemin de Régordane : 250km sur le GR®700 déjà cité.
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