Le Chiran, c’était une vieille envie qui tardait à se réaliser. Il aura fallu un hiver sans neige dans le sud pour que l’occasion d’y grimper se présente finalement. Pas question de bâcler cette rencontre trop longtemps différée. Je décide d’une immersion prolongée sur le domaine de ce sommet emblématique du Verdon. Je dessine donc une ligne qui, depuis le col de Reybert, fait sa trace en direction du Chiran et de son fameux petit observatoire. Pour le retour, c’est l’option des crêtes qui est retenue avec, là aussi, la promesse d’une enthousiasmante aventure hors des sentiers battus. Le Chiran en hiver, ça se mérite et ça ne fera pas l’affaire des frileux/ses ! Pour les autres, préparez-vous à une randonnée mémorable dans un cadre panoramique que vous ne serez pas prêts d’oublier !
Difficulté : assez difficile | Distance : 15 km | Durée : 6h | Dénivelé : 1065m | Chiens admis : oui | Carte : IGN TOP25 1/25000è 3441OT Barrême, Vallée de l’Asse, PNR du Verdon
MAJASTRES : UN BOUT DU MONDE
Depuis la vallée de l’Asse, point de passage obligé qu’on vienne de Digne ou de la vallée de la Durance, ce sont 17 kilomètres d’une route de montagne sinueuse, pas toujours large et à grand spectacle, qui vous attendent. La section qui domine les Gorges de Trévans et qui fraye sous les falaises de la Montagne de Beynes jusqu’à l’échancrure étroite du Pas de l’Escale est extraordinaire.
Monter à Majastres, le point de départ de cette superbe randonnée, est déjà une sorte d’aventure en soi.
Vous n’y croiserez pas facilement mais, rassurez-vous, c’est loin d’être un axe très fréquenté. Majastres est en effet un cul-de-sac, à moins ensuite d’avoir un 4×4 pour rejoindre les Chauvets ou le sommet du Chiran. Nous, on a préféré y monter à pied et on a laissé le véhicule sur le petit espace réservé au stationnement à l’entrée de Majastres.
ÉCHAUFFEMENT AU-DESSUS DU RAVIN DE LA FONT DES PRÉS
De Majastres au col de Reybert : 4,3 km – 320m – 1h
Majastres c’est un bout de monde sous perfusion. Avec ses quatre habitants permanents, c’est la troisième plus petite commune de France. Le début du sentier est juste à l’entrée du village, adossé au mur de l’église. On s’y engage accompagné par le bêlements des brebis et les aboiements des chiens de l’exploitation en contrebas de la route. Direction le carrefour du Villard (1), bel espace aplani une centaine de mètres plus haut, à partir duquel des chemins partent tout azimut.
Le premier quart de la randonnée est sans doute le plus fastidieux mais doit s’envisager comme un échauffement nécessaire et utile.
On prend la direction de Blieux, autre minuscule commune d’à peine 50 habitants, atteignable en quelques 12,5 kilomètres de marche en suivant patiemment un long chemin carrossable. On n’ira pas jusque là : le col de Reybert (2) s’atteint en 4 km et marque le début de l’aventure hors sentier pour nous autres marcheurs. Ce préambule aura cependant donné l’occasion d’avoir un premier aperçu de l’ambiance reculée de cet arrière-pays du Verdon.
ENTRÉE AU PAYS DU CHIRAN
Du Col de Reybert à la Cabane de Peire Naisse : 2,5 km – 260m D+ – 30mn
Du col de Reibert, où un vent du nord frigorifiant vient nous rappeler qu’on n’est encore qu’au mois de février, il faut tirer plein sud dans les pentes en direction d’un col bien visible à droite du sommet en forme de selle de l’Hauteur (3). C’est la première prise de contact avec ces immenses espaces herbeux qui vont nous accompagner tout au long de cette journée fleuve.
Ici il n’est pas rare, hors période d’estive, d’apercevoir des hardes de plusieurs chamois broutant sous les barres rocheuses de la Trappe.
L’ascension, régulière, s’effectue avec les falaises de la Montagne de Vibres en arrière-plan. Plus loin encore, les silhouettes en triangle des sommets du Haut-Verdon font leur apparition à l’horizon. Le début d’une galaxie de reliefs prometteur qui atteindra son apogée une fois le Chiran rejoint.
Une fois le col atteint, à 1692 mètres d’altitude, les amateurs de points hauts pourront s’amuser à rejoindre celui de l’Hauteur – 1777m – ou de la Trappe – 1748m. Tout dépendra du temps alloué à la sortie et de la forme physique de chacun. Autrement il faut se diriger vers le sud et remonter encore quelques mètres en direction d’un replat bien dessiné et en contournant un petit creux par la gauche. (4)
Premier face à face avec le Chiran et le Mourre de Chanier qui apparaissent finalement dans le cadre, faisant monter d’un cran l’ambiance montagne de la sortie.
La bascule s’opère de l’autre côté pour se laisser glisser en douceur jusqu’au pied du Brusquet, cette petite éminence rocheuse au sommet de laquelle il doit y avoir moyen de grimper pour imaginer une photo à la perspective spectaculaire. C’est là, dans une trouée un peu « buis »-sonnante (5) que se découvre le passage qui va permettre de descendre à l’étage inférieur.
Un passage malin qui donne accès à cette vaste prairie déserte ouverte entre la crête du Chiran et les falaises du versant ouest de l’Hauteur. Ici le randonneur s’enfonce encore davantage dans la sensation d’immersion amorcée depuis qu’il a quitté le col de Reibert. L’hiver c’est définitivement le sentiment de rupture avec la civilisation qui domine.
On est seul au monde dans ces grands espaces secrets que les troupeaux rejoindront avec l’arrivée de l’été, d’ici plusieurs mois.
Les amoureux d’échappées solitaires apprécieront cette navigation en roue libre dans ces étendues à l’allure sauvage. On gagne ensuite d’un pas tranquille l’extrémité sud-est de cette prairie doucement balayée par une brise froide. Ouvrez l’œil pour y découvrir le cairn annonçant le début du passage dans le ravin qui s’ouvre à droite de cet isthme. (6)
Peire Naisse est une cabane rustique mais judicieusement située sur l’itinéraire pour en faire un objectif de pause pertinent.
Un sentier bien dessiné et régulièrement cairné se fraye un passage en rive droite de ce petit ravin rocailleux qui se transforme plus loin en canyon marqué. Le sentier s’en écarte, arrondissant sud pour rejoindre la cabane de Peire Naisse, endroit à l’abri du vent et propice à la pause déjeuner. (7) Le petit abri a été bâti dans une cuvette striée de ruisseaux qui convergent tous, au-delà, vers le canyon précédemment aperçu.
ROUTE VERS LE SOMMET
De la Cabane de Peirre Naisse au sommet du Chiran : 2 km – 360m D+ – 1h
La pause terminée, on s’extrait de la cuvette en grimpant sur la croupe s’élevant plein sud derrière la cabane. La trace se crée entre deux combes peu profondes où se laisse admirer un chamois solitaire et peu perturbé par notre passage. Une fois le replat à 1700 mètres atteint, j’oriente la marche vers l’arête nord du sommet. (8)
Encore une très belle partie de navigation à vue en direction du sommet du Chiran qui ferme ce large vallon au sud.
Le froid se fait plus mordant ici comme en témoigne le givre glacé et fixé en drapeau le long des brins de la végétation rare et rase des lieux. Une petite brèche dans l’échine rocheuse de l’arête m’inspire un passage rapide en versant est. Plus que quelques mètres sans difficulté à parcourir et voici déjà la table d’orientation du Chiran rejointe, à 1909 mètres d’altitude. (9)
La neige, plus omniprésente avec l’altitude, n’en demeure pas moins la grande absente pour l’époque. 2022 ne restera pas dans les annales hivernales des Alpes du Sud.
Le sommet est également occupé par un petit observatoire, anciennement propriété du CNRS, qui, sur réservation et à partir du 1er mai, permet aux visiteurs/ses de profiter d’une soirée d’observation au sommet en compagnie d’un animateur astronome. Un petit refuge accueille ensuite tout le monde pour la nuit. Un bon plan à coupler avec la randonnée, non ? — Infos et réservation
Si le sommet du Chiran se prête bien à l’observation des planètes et des constellations grâce à la clarté de son ciel, il donne également l’occasion d’un panorama assez vaste sur les Alpes du Sud. En affûtant un peu ses yeux on pourra donc apercevoir le Mercantour – notamment la Cime du Gélas – mais aussi les sommets italiens voisins comme, par exemple, celui de l’Argentera parfaitement visible. En continuant à remonter cette ligne de reliefs on distingue très bien le bloc du Mont Pelat suivi de celui de l’Estrop.
Du Mercantour aux Écrins, du Ventoux à la Provence : le panorama depuis le Chiran assure le spectacle et offre une belle récompense visuelle au marcheur après l’effort de l’ascension.
Les autres sommets marquants sont ceux de la Barre des Écrins et du Pelvoux. Côté sud, au-delà du Mourre de Chanier qui impose sa présence, on repère facilement le Pré Chauvin, avec un bout de Cadières qui dépasse juste derrière. L’entaille du Grand Canyon du Verdon s’aperçoit également. Les massifs provençaux – Sainte-Beaume et Sainte-Victoire – intègrent le panorama ainsi que Lure et le Ventoux, répartis au-delà d’un bout du Lac de Sainte-Croix et de l’immense Plateau de Valensole. Encore un 360° remarquable !
RETOUR PAR LES CRÊTES AU PAYS DES VAUTOURS
Du sommet du Chiran à la Crête du Chiran : 2,5 km – 125m D+ – 1h
On quitte le sommet par le portail mais pas question de suivre le PR jaune qui descend vers un autre, celui de Blieux : la navigation dans les grands espaces du Chiran se poursuit avec un nouveau chapitre de la boucle. C’est l’option de la Crête du Chiran que j’ai retenu pour retourner vers Majastres. On s’oriente donc plus ou moins nord-est pour dégringoler sous le sommet en direction de la grande plaine où s’abrite une petite bergerie.
Cette section ouvre une nouvelle fenêtre paysagère qui nous fait découvrir, de l’autre côté, la longue crête du Montdenier.
La prairie est rapidement traversée pour ensuite rattaquer un dernier et court dénivelé d’environ 150 mètres qui, par palier, s’en va rejoindre le point le plus élevé de cette crête, marqué à 1825 mètres sur l’IGN. (10) Pour l’atteindre, on fait le choix de la proximité de la crête et d’un cheminement aéré au bord des falaises où admirer facilement le vol des vautours fauves.
SUR LES SENTIERS SECRETS DU CHIRAN
De la Crête du Chiran à Majastres : 4,4 km – 675m D- – 1h50
Du cairn sommital s’effectue la bascule sur le fil de la crête nord. L’heure est aux belles ambiances et aux ombres qui s’étirent langoureusement dans le fond du vallon à main droite. En toile de fond, le Dévoluy et le plateau de Bure sont très nettement visibles.
La première partie de la descente s’effectue sur une crête large et sans piège. Pas de sentier mais un axe net qui ne laisse aucune place au doute.
Le terrain se fait un peu plus capricieux après le point côté 1729 où il faut commencer à louvoyer un peu plus entre des affleurements rocheux pas toujours bien praticables. La ligne reste cependant logique et sans risque majeur.
En revanche, méfiance au niveau de l’altitude 1630 (11). Le terrain se rompt en blocs plus accidentés où la progression n’est pas recommandée. La meilleure méthode consiste à descendre quelques mètres en versant Est pour passer ensuite sous cet amas de blocs gênants et ainsi récupérer le fil de la crête.
La dernière partie de la crête est plus chaotique et réclame un peu plus d’attention quant au choix de l’itinéraire.
On évitera également le contournement par le versant ouest, un peu trop raviné et glissant. On peut continuer ensuite la descente jusqu’à l’altitude 1560. Au-delà, la ligne se rompt en ravins abrupts et infranchissables. I faut donc décrocher à droite, vers le thalweg, à peine dix mètres plus bas. Section un peu glissante, prudence.
Après avoir traversé le petit cours d’eau, on reprend pied en rive droite où se retrouve l’esquisse d’un chemin. (12) Pas pour longtemps cependant. La trace s’évanouit dans une série de ravins terreux qu’il faut franchir en reprenant un peu d’altitude. On vise ensuite une épaule bien repérable qu’on rejoint en tirant à flanc sur un sentier – pour les plus chanceux – retrouvé. (13)
Le retour s’opère en douceur par un sentier retrouvé et non signalé sur les cartes qui fraye à travers les buis et les pins.
À partir de ce point, un chemin net et fréquemment cairné nous met définitivement sur le chemin du retour. Non présent sur l’IGN, il permet de se tenir bien en contrebas des petites barres rocheuses prolongeant, au nord-ouest, le sommet de la Trappe et de rejoindre, sans difficulté, un petit col sous le point coté 1399. (14) La bascule s’opère facilement vers le carrefour du Villard (1) à partir duquel on récupère le chemin de l’aller qui descend vers Majastres.
ACCÈS AU CHIRAN
Le point de départ de cette randonnée, c’est le tout petit village de Majastres. Pour rejoindre Majastres, il faudra impérativement arriver depuis la vallée de l’Asse :
- Soit depuis Digne-les-Bains et la Route Napoléon qu’on quitte à Châteauredon pour prendre direction Mézel et Riez par la D907 ;
- Soit depuis la vallée de la Durance en sortant soit à Oraison – on remontera alors l’Asse par le D907 – soit à Manosque – il faudra alors monter sur le Plateau de Valensole pour redescendre vers l’Asse et faire la jonction avec la D907 au niveau de La Bégude.
Que vous arriviez du nord ou du sud de l’Asse, il faudra ensuite emprunter la petite D17 qui se trouve environ 2 km au sud de Mézel. De là, ce sont 17km d’ascension d’une route pittoresque et sauvage pour rejoindre Majastres. Un tout petit espace de stationnement se découvre à droite avant d’entrer dans le hameau.
LA CARTO
Les chiffres sur la carte font référence aux points de passage mentionnés en rouge dans l’article descriptif ci-dessus.
RECOMMANDATIONS PARTICULIÈRES
Cette randonnée a été effectuée en hiver. Mais un hiver sans trop de neige comme vous pouvez le constater sur les photos. Je ne vous recommande pas de la pratiquer par fort enneigement, en particulier le cheminement sur les crêtes et la descente après le point coté 1825. Bien trop dangereux avec de la neige. Préférez une montée depuis les Chauvets et le Portail de Blieux pour balader ensuite dans les grands espaces au nord du Chiran.
On s’est dit qu’une autre bonne période devait être au printemps, juste avant que les troupeaux n’investissent la place. Avec les brebis et les patous, l’ambiance n’est probablement plus la même.
À noter que l’eau coule dans les drayes qui bordent la cabane de Peire Naisse. Il y a donc moyen d’en récupérer si besoin.
La cabane en question est ouverte et peut servir d’abri en cas de mauvais temps.
La crête du Chiran est généreuse et large. Il n’y a rien de vertigineux. Le cheminement devient par contre moins fluide après le point 1729 et j’insiste sur la nécessité de bien contourner par la droite l’obstacle à l’altitude 1630. N’essayez surtout pas un franchissement en direct ou en versant ouest, bien trop casse-gueule.
Dans tous les cas, s’échapper de la crête par les pentes à main droite peut s’envisager pour celles et ceux qui ne le sentirait plus trop sur la crête. C’est parfois un peu raide, vous aurez peut-être le cul par terre une fois ou deux, mais c’est une bonne esquive pour zapper la crête et rejoindre le thalweg.
LE CHIRAN : MON AVIS PERSO
Quelle sacrée et excellente surprise que cette immersion dans les grands espaces du versant nord du Chiran ! Ça faisait un bail que je l’avais sur mon radar ce sommet. Il faut dire que, avec le Mourre de Chanier, c’est un peu l’un de mes repères visuels quand je me balade en Provence.
Le Chiran, on le voit d’où qu’on se trouve en Provence tellement sa silhouette et celle du Mourre de Chanier voisin, est caractéristique.
Je ne voulais cependant pas y monter par la « voie normale », autrement dit ce PR jaune balisé qui, sans originalité, se contente de suivre le chemin carrossable qui fait sa trace jusqu’au sommet. J’ai opté pour une aventure hors-sentier et je n’ai pas du tout été déçu.
Par temps clair, à condition de disposer d’un sens de l’itinéraire efficace, il n’y a pas de gros risque à se lancer dans ces grands versants herbeux où l’on voit toujours très nettement où on va. Une orientation sans piège qui permet de se concentrer sur l’immersion totale dans ces alpages peu fréquentés.
La déconnexion est totale avec cette randonnée et confère une impression permanente d’arpenter une terre vierge de toute trace humaine.
La présence massive du Mourre de Chanier et une ligne d’horizon immense seulement constituée de sommets à perte de vue ajoute à cette formidable sensation d’espace qui happe le randonneur lancé sur cet itinéraire. Le panorama final au sommet du Chiran est bluffant.
Changement d’atmosphère apprécié ensuite avec le retour par les crêtes qui vient tutoyer le haut de falaises joliment stratifiées. Encore une fois, on y retrouve de l’espace en pagaille et un panorama assez dingue sur cette partie des Alpes-de-Haute-Provence où l’humain ne semble plus guère avoir d’emprise.
La seconde partie des crêtes est un chouilla plus aventureuse sans non plus être spécialement technique.
Le chemin du retour amène une conclusion en douceur en donnant l’impression d’avoir trouvé un itinéraire secret. Un régal d’un bout à l’autre qui m’a mis des étoiles dans les yeux. Cet endroit bénéficie vraiment d’une identité particulière avec laquelle je me suis senti tout de suite en osmose. Assurément une très belle randonnée.
Merci beaucoup pour ce partage ce sera mon prochain Bivouac !
Bon cool mais je crois que tu y as trouvé la neige et le brouillard 🙂