Quand vient l’automne, les vignobles du Vaucluse flamboient aux couleurs de l’incendie. Le dernier acte de la saison du raisin qui, vendangé depuis déjà plusieurs semaines, passera son hiver au chaud à macérer en cuve jusqu’à vinification. La vigne est alors rendue au seul plaisir des yeux des marcheurs, déclinée dans une palette subtile tirant de l’or brillant au rouge sanguin. C’est autour du charmant village de Visan, dans le sud de l’Enclave des Papes, que j’ai choisi de faire ce pèlerinage annuel et sans difficulté à la gloire de l’automne. Court et accessible, un circuit sans autre ambition excessive qu’un agréable moment à passer dans la Nature.
Difficulté : facile | Distance : 9 km | Dénivelé : 265m | Durée : 3h
À peine le temps de penser avoir étourdiment quitté le Vaucluse qu’on y est déjà de retour. Juste une poignée de minutes pendant lesquelles se traverse, en un éclair, la drômoise vallée de l’Eygues – celle qui relie Orange à Nyons – et voici que surgit l’Enclave des Papes, cette bulle papale qui grignote la Drôme voisine au nord du département.
Un royaume de vignobles, protégé par le lointain Ventoux, au sud, et la barrière des Baronnies, à l’est. À une dizaine de kilomètres en-dessous de Valréas, sa « capitale », Visan marque l’entrée la plus méridionale de l’Enclave. Depuis la route qui vient de Tulette, il apparaît telle une cité flottant sur une houle de vignes.
Cette mer de raisins peu profonde, qui châtoie ce jour-là aux couleurs enflammées de l’automne, évoque le souvenir d’une Méditerranée qui, 24 millions d’années plus tôt, venait ici à la rencontre de rivières jeunes et fougueuses descendant des Alpes balbutiantes. Sables et argiles, charriés par les courants, modèlent alors ce relief dans lequel le Visan – aujourd’hui AOC Côtes-du-Rhône Villages – puisera toute sa saveur.
Il faut garder à l’esprit la puissance et la patience des forces alors en jeu pour servir, tel quel et riche de potentiel, ce territoire aux hommes qui vont décider, les premiers, de s’y ancrer. Visan va naître avant Jésus sous le nom latin d’Avisanum. Ce sont les soldats romains de la IIème Légion, basée à Orange, qui le baptisent ainsi en s’y fixant en colonie aux dépens des tribus d’Arvernes et d’Allobroges contraintes de plier le genou devant César.
C’est le début de l’histoire pour ce territoire qui, deux mille ans plus tard, coule des jours heureux et paisibles sous le soleil de Provence. Le souvenir de sept siècles ultérieurs d’appartenance papale demeure encore visible aujourd’hui en flânant dans les agréables rues de ce village infusées par le parfum de la Provence. Un héritage qui se lit au fil des façades des hôtels particuliers Renaissance et Baroque égrenés le long de sa ceinture.
Un circuit historique permet aux plus férus d’histoire locale d’assouvir leur intarissable soif de connaissance, de portes en pierre taillée jusqu’aux ruines du château du Dauphin Jean II de Viennois, au rythme de panneaux informatifs disposés dans le village. Comme souvent, j’y déambule sans but précis, inspiré par une rue plutôt qu’une autre, titillé par quelques marches ici, par une venelle étroite là.
L’arrière-saison a vidé les terrasses des restaurants et pas mal d’artisans affichent porte close, privant Visan d’une animation qui se devine florissante aux beaux jours, quand la glycine est en fleur et que la vigne est encore jeune. Si je suis là, c’est d’ailleurs précisément pour elle et la débauche de couleurs exubérantes qu’elle n’affiche qu’à cette époque où le tourisme s’est fané comme une feuille de chêne sur sa branche.
Fi de la folie estivale, des apéros en soirée et des concerts improvisés sous des tonnelles : je suis venu à Visan pour un grand bain d’automne, une croisière dans le feu d’artifice de cépages parés à tirer leur révérence avant l’hiver. Octobre et novembre sont des mois bénis pour les amateurs de couleurs souhaitant rendre grâce à la Nature pour une nouvelle année d’expériences écoulée en son sein.
Le Québec a ses forêts, le Queyras a ses mélèzes, le Vaucluse, lui, a ses vignobles. J’avais effleuré le plaisir de semblable rendez-vous l’an passé à Sablet – voir l’article Qui Pourrait Résister à un Bon Sablet de Noël ? – mais l’arrivée précipitée de la grisaille avait tiré trop tôt un trait maussade sur la journée. Le soleil d’octobre est avec moi en 2024 et c’est douché d’azur que je prends le départ de la boucle des Monts de Visan en direction de Caron et de la chapelle Saint-Vincent.
Je rejoins le modeste petit édifice par la route qui vit longtemps, chaque fin août, les vignerons visanais s’y rendre en procession accompagnés de leurs famille. Entre tradition et croyance, ils y célèbraient alors une messe destinée à placer leurs récoltes sous la protection de Saint-Vincent. Érigée sur un tertre d’herbe surplombant le chemin, au pied d’une pente de vignes stoppées nettes plus haut par la barrière d’un bois, le petit édifice brille par son dénuement.
À la voir ainsi, avec son simple appareil en moellon, sa nef unique et son abside en cul-de-four, on a du mal à imaginer qu’elle soit arrivée jusqu’à nous depuis le 13ème siècle. Elle témoigne, quoiqu’il en soit, de l’emprise d’une forme de foi superstitieuse propre au milieu de la viticulture. Une présence qui raconte son histoire, entre folklore et tradition.
Le bâtiment disparait bientôt derrière un rempart de chênes occupés à coloniser la partie la plus haute du relief, connu ici sous le nom de Coteau Pointu et à travers lequel s’engage le sentier. Quelques ouvertures donnent parfois à apercevoir des bribes de la vallée de l’Euche, de l’autre côté du versant nord du coteau.
Là comme ailleurs dans l’Enclave des Papes, le vignoble affiche son hégémonie. Malgré la nature forcément plus contrariante du terrain, il n’est pas rare de débusquer un arpent de vigne dégagé entre les troncs tortueux des chênes et ceux, moins fantaisistes, des pins. Au passage des 300 mètres d’altitude, là où le pendage se montre plus doux, le sous-bois se voit cependant aimablement congédié.
Des rangs parallèles de ceps y repartent à la conquête d’un horizon surmonté par les silhouettes massives de sommets éminents : c’est le Mont Ventoux pour le Vaucluse mais c’est aussi, côté drômois, le rempart de la Montagne de la Lance et, vers l’est, le croc bien marqué de la Montagne de Linceuil qui borne les Baronnies Provençales.
Suivre ce chemin ondulant au sommet de ce coteau généreusement ouvert, entouré d’hectares de vignes touchées par le talent du pinceau de l’automne, dépasse de loin les attentes placées dans cette randonnée aux airs de promenade. Pour beaucoup, randonnée rime avec effort, sous-tendant parfois le dépassement de soi. Comme si la valeur de la récompense n’avait de sens que si elle allait de pair avec une forme de mérite.
Ce n’est pas anodin si la montagne – et l’extase visuelle recherchée – demeure naturellement associée à l’image de la randonnée. Notamment chez les plus jeunes. Ce goût pour la Nature, ce besoin d’éprouver son propre sentiment de liberté à l’aune d’horizons flirtant avec l’infini, j’ai pourtant appris à le trouver ailleurs. Notamment en des lieux que la cécité mathématique des algorithmes, qui manoeuvrent derrière les réseaux sociaux et le marketing, condamnent à l’éviction des standards du spectaculaire exigés par la tyrannie de l’engagement.
C’est ce sentiment, recherché par beaucoup comme un Graal, que je perçois à fleur de peau en contemplant l’espace des Monts de Visan, sans autre barrière que la frontière de sommets et de reliefs dont la présence rassurante suffit à mon ravissement du moment. Sous le masque d’une certaine familiarité – et au prix d’un effort physique dérisoire – le petit territoire visanais offre, depuis ses hauteurs modestes, bien davantage que les émotions fugaces d’une simple balade dominicale.
La vigne a quelque chose de magique qui échappe à toutes les autres formes d’agriculture. Sans doute ce mariage improbable entre rigueur géométrique et nature affranchie de toute rectitude sur les terrains qu’elle colonise. L’osmose impossible de la ligne droite et de la courbe, du parallélisme et de l’arrondi, rendue agréable à l’oeil. Le tracé sinueux d’un chemin lui confère parfois cette touche finale confinant au tableau de maître. À ce stade de la séduction, j’ignore qui, de la vigne ou du vin, a le plus mes faveurs.
Plus loin, le circuit abandonne la vigne pour plonger dans l’ombre de la combe de Mauze, mettant un terme à la partie la plus panoramique de la boucle. Mon euphorie redescend à des seuils plus acceptables tandis que le sentier perd de l’altitude en amorçant sa boucle retour vers Visan.
Le vignoble reste omniprésent quoique plus souvent contraint de partager le terrain avec des lignes boisées et des bosquets d’arbustes, le pied de ses ceps chatouillés par une herbe haute encore bien verte pour la saison.
C’est le baroud d’honneur de la Nature avant le grand sommeil hivernal, un bouquet final de couleurs auquel contribue les tapis blancs de Ditoplaxis Fausse Roquette qui, en plus d’envahir les couloirs ouverts entre chaque rangée de vigne, inondent les plantations d’oliviers. Sous la caresse du soleil, le tableau dégage une impression de printemps en novembre.
Aux abords des Bourdeaux, les pentes des coteaux se fondent dans la planitude du Comtat, doucement soulevée, à intervalles réguliers, par des reliefs étirés annonçant les collines du Gard rhodanien. Je baigne à nouveau dans la vigne, plus sanguine et orangée ici que sur les étages supérieurs du coteau précédemment visités.
La petite chapelle Notre-Dame-des-Vignes, au bout du chemin, apporte une conclusion parfaite à ce court pèlerinage automnal dans le vignoble. À l’instar de celle de Saint-Vincent, au début du circuit, elle constitue également un lieu de pèlerinage et de célébration annuel pour les visanais.
Notre-Dame-des-Vignes s’affiche toutefois autrement plus remarquable, tant extérieurement qu’intérieurement. Qu’il s’agisse de son « jardin » ombragé, de son choeur encadré de boiseries dorées ou de la statue polychrome de sa Vierge à l’Enfant, l’édifice resplendit d’une aura bien différente de celle de la rustique chapelle Saint-Vincent.
Chaque mois d’août, depuis 1978, les membres de la Confrérie Saint-Vincent la choisissent pour le pèlerinage de leur chapitre d’été où il font bénir la souc – un pied de vigne, en provençal – en priant pour le succès de la vendange.
Accolé à la chapelle, un couvent aux allures de maisonnette accueille encore une soeur dominicaine, héritière d’une longue tradition de rectoresses. « Posuerunt me custodes in vineis » peut-on lire inscrit sur l’arc de la chapelle : « ils m’ont placé comme gardienne de leurs vignes ». Un contrat moral et spirituel gravé dans l’âme et la roche jusqu’à la fin des temps.
Guide Pratique
Venir à Visan
Visan est situé dans l’Enclave des Papes, un petit bout de Vaucluse cerné par la Drôme. À une soixantaine de kilomètres au nord d’Avignon, on peut l’atteindre en voiture depuis le sud : soit par un réseau de départementales qui passe par Sarrians et Vacqueyras, soit par l’A7 et la sortie 22 « Orange » pour rejoindre Jonquières puis Sainte-Cécile-les-Vignes.
Les deux options convergent à Tulette où il faut suivre la direction Nyons et Gap. À la sortie de Tulette, prendre à gauche la D576 pour rejoindre Visan. Plusieurs options de stationnement possible : je me suis garé, pour ma part, rue du Portail Neuf. En venant de l’A7 par le nord, préférer la sortie 19 « Bollène » puis suivre la direction Nyons pour rejoindre Tulette.
Une option par le bus existe qui dessert Visan par la ligne Zou! 903 effectuant le trajet Orange-Valréas avec 7 départs quotidiens du lundi au samedi.
Topo pas-à-pas et trace GPX
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Note : j’ai préféré parcourir ce circuit dans le sens inverse de celui initialement recommandé par la fiche topo
Remonter la rue du Portail Neuf en tournant le dos à la route principale et, plus haut, rejoindre le poteau signalétique placé à l’intersection du chemin de Collet et de celui de Batadou (1). Suivre celui-ci à gauche. À la fourche suivante (2), prendre en face le chemin de Claron et le suivre tout droit jusqu’à la chapelle Saint-Vincent (3).
Passer côté nord, entre la chapelle et les vignes, pour suivre un chemin qui, après avoir arrondi à droite après les vignes, s’engage entre deux d’entre elles. Il oblique plus haut à gauche, puis suit la lisière d’un bois à main gauche avant de s’engager dans celui-ci un peu plus loin (4).
Le sentier se sépare rapidement : suivre la branche de droite qui s’élève entre les chênes pour escalader le coteau. On atteint le fil de celui-ci qu’on suit, tout droit, par un chemin qui s’élève au-dessus de vignes à main droite. On peut choisir de s’appuyer contre la lisière bordant le chemin à gauche ou, quand c’est possible, de couper à travers les vignes par de grandes allées d’herbe rase. Plus tard le chemin bascule en versant nord quelques instants avant de retrouver le chemin des vignes. Passer entre deux d’entre elles jusqu’à une intersection sans signalétique (5).
Prendre à gauche et, un peu après, dans le creux du thalweg, avant de remonter sur la butte suivante, quitter le sentier à droite pour plonger vers le fond du thalweg (6). Se laisser glisser tout en bas jusqu’à finalement rejoindre une route (7). La traverser et monter par un chemin en sous-bois en face. Surgir face à une vigne, prendre à droite et atteindre à nouveau sur une route (8).
La suivre à droite sur environ 250m, jusqu’à une ancienne antenne cachée par les arbres : tourner à gauche pour passer devant l’antenne (9). Continuer tout droit par ce chemin en perdant peu à peu de l’altitude. Plus bas, le chemin fait un coude à gauche (10) et descend plus brusquement en devenant caillouteux. Il arrondit en bas à droite puis rejoint un chemin venant de la gauche : continuer à droite et buter contre une vigne (11). La contourner par la droite.
Le chemin arrondit autour de la vigne à gauche puis la quitte en montant entre les arbres à droite. Rejoindre plus tard une route et la suivre en descendant à droite (12). Passer devant l’entrée de la ferme des Bourdeaux puis tourner plus loin à gauche par la route de Notre-Dame (13).
Passer devant le site de Notre-Dame-des-Vignes (14) et rejoindre une route (15). La traverser et continuer par la rue de Notre-Dame. La suivre entièrement jusqu’à ce qu’elle croise l’avenue des Alliés (16). Suivre celle-ci à droite et, un peu plus loin, la quitter à droite pour prendre la rue du Puy Baret. Elle devient plus haut la rue des Aires et croise ensuite la rue de Lacoste. La suivre à droite et, au prochain croisement (1), prendre à gauche pour retrouver la rue du Portail Neuf.
Difficulté & Recommandations Particulières
Cette randonnée a été effectuée à l’automne, à une époque où le voyage à travers les vignes s’habille de couleurs enflammées. Malgré les précipitations abondantes des semaines ayant précédé ma venue, j’ai trouvé la grande majorité des chemins secs et largement praticables. Je n’ai relevé aucune difficulté particulière, ni technique, ni physique, qui mérite d’être mentionnée ici.
En revanche je vous recommande l’usage de la trace GPX et/ou du topo ci-dessus car la signalétique dans les vignes n’est pas très bien visible quand elle n’est pas tout bonnement absente. Si des panneaux – d’aspect ancien et à l’état sensiblement variable – flèchent certaines intersections, le balisage traditionnel de couleur jaune brille par son irrégularité, sa pose souvent peu repérable et son aspect bâclé, en tout cas loin du protocole règlementaire requis.
Liens Utiles
Il y a tout plein d’informations utiles sur Visan et ses alentours à piocher sur le site réalisé par la Maison du Tourisme de Visan. Pour une découverte plus large de l’Enclave des Papes, ça se passe ensuite plutôt du côté du site Pays de Grignan Enclave des Papes Tourisme qui réunit ce petit bout de Vaucluse à une portion de la Drôme Provençale.
Enfin, pour une approche globale du territoire et du Vaucluse, ça se passe du côté de Provence Guide et, pour davantage d’idées de randonnée dans le département, vous pouvez bien sûr consulter la catégorie Vaucluse du blog mais aussi la section Randonnée Pédestre du site Provence Guide.
Pour les amateurs de vin, je joins également un lien vers le site de Rhonea qui rassemble tout ce qu’il est utile de savoir sur le terroir et qui donne de bonnes pistes pour rendre visite ensuite aux vignerons en marge de la randonnée.
En marge de la rando
Profitez de votre passage à Visan pour visiter la maison Butscher, baptisée maison Bulle. Sa géométrie volontairement imparfaite en fait un objet de curiosité architecturale. Elle a été imaginée et conçue par Christian Chambon et Jean-Noël Touche, deux architectes disciples d’Antti Lovag, le père de la sphère. Elle est inscrite au titre des Monuments Historiques et ne se visite que sur rendez-vous. Plus d’infos : 07 84 91 60 07 ou bubble.house84@gmail.com
Où dormir ?
Dans le centre de Visan, j’ai relevé ce charmant petit établissement de deux étoiles aux volets bleus lavande très provençaux. Les propriétaires, Cécile et Virgile, l’ont aménagé avec goût, dans un mélange de moderne et d’ancien du plus bel effet. L’hôtel dispose de 17 chambres spacieuses et à la sobriété élégante. Petit coup de coeur pour l’agréable petit patio à la terrasse carrelée et surmonté d’une treille végétale où est servi le petit déjeuner. L’hôtel est par ailleurs engagé dans une démarche de tourisme durable en collaboration avec l’ADEME : le petit plus, sincère et non démagogique, qui m’a motivé à mettre d’autant plus l’Hôtel du Midi en avant dans cette rubrique. Tarif chambre double à partir de 75 euros. Plus d’infos : 04 90 41 90 05 ou mail info@hoteldumidivisan.com
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