Itinérêve. Rien que le nom a déjà de quoi sérieusement faire… rêver ! De rivière et de forêts, de sentiers oubliés et d’heureuse solitude, de villages accueillants et de barrages massifs. Des rêves de Corrèze tout simplement. L’Itinérêve ne saurait cependant être restreinte à une simple itinérance pédestre. Davantage qu’une succession de balises, c’est avant tout une aventure humaine portée par la passion et l’énergie d’une association et de son créateur, Jean-Marc Chirier. D’une rive à l’autre de la Dordogne, au fil de 420km, elle fédère tout un territoire pour faire du randonneur un hôte de valeur. Derrière l’Itinérêve, il y a un chemin mais aussi des bénévoles, motivés par l’expérience qu’ils veulent offrir aux randonneurs de leur territoire de coeur. Une initiative à part pour un itinéraire atypique et attachant que j’ai testée pour Carnets de Rando en parcourant sa rive droite, de Confolent-Port-Dieu à Argentat-sur-Dordogne.
Difficulté : difficile | Distance : 197,5 km | Durée : 15 jours | Dénivelé : 5954m
AVANT DE COMMENCER
Quelques mots, en prologue, pour poser le contexte de ce reportage. J’étais déjà venu sur l’Itinérêve en 2017, le temps d’une seule étape qui avait donné lieu à un épisode de Carnets de Rando. J’étais alors en Corrèze pour une série de plusieurs reportages sur l’ensemble du territoire. En 2025, l’invitation de Jean-Marc Chirier, créateur du parcours et président de l’association La Dordogne, de Villages en Barrages, qui en est la gestionnaire, porte cette fois sur cinq jours pour vivre une expérience plus complète.
Dans ce laps de temps, plus conséquent mais néanmoins réduit au regard de la durée totale du parcours (30 jours), il a été décidé de se focaliser sur la rive droite, 100% corrézienne. D’abord rapport à l’engagement, l’enthousiasme et le soutien de Corrèze Tourisme au projet de valorisation de l’itinéraire. Ensuite parce que l’itinéraire historique se déroule en rive droite : variantes, extensions et rive gauche ne sont arrivés que plus tard. Il était donc logique et respectueux d’ancrer ce reportage aux origines de l’aventure.

Comme il n’était pas possible de parcourir l’intégralité des 15 étapes de la rive droite, il a été convenu de cheminer au fil d’un best of défini conjointement par l’association et le territoire. J’ai donc marché parfois sur des étapes entières et, parfois, uniquement sur des segments. Jean-Marc, toujours d’une incroyable disponibilité, a joué les taxis toute la semaine pour me permettre d’effectuer les différents sauts de puce du programme.
L’objectif restait cependant de marcher le plus possible et ce fut le cas. J’ai randonné l’essentiel du temps et, soyez-en assuré(e)s, suffisamment pour me permettre de me faire une idée très précise de l’identité de l’Itinérêve et de le restituer dans cet article hybride, à mi-chemin entre le récit d’expérience et le guide pratique.
Les étapes sont décrites selon le découpage donné dans le topo-guide. En dernière partie, j’ai traditionnellement répondu aux questions les plus fréquentes qui sont posées sur cet itinéraire. Si, malgré tout, vous ne trouviez pas la réponse à une que vous vous poseriez, n’hésitez pas à me le dire en m’écrivant à l’adresse contact@carnetsderando.net

ITINÉRÊVE RIVE DROITE, DE CONFOLENT-PORT-DIEU À ARGENTAT-SUR-DORDOGNE
Arriver en Corrèze
La Corrèze dispose d’un réseau ferroviaire actif et pratique. Y compris pour desservir le coeur de son territoire. Depuis la gare SNCF de Brive – ou de Tulle – on peut ainsi rejoindre Ussel. Plus de train à partir de ce point mais un car TER qui permet de rallier Bort-les-Orgues où il est possible d’attraper l’Itinérêve. Pour partir de Confolent, il faudra demander un taxi et rouler environ 25mn depuis Bort.
Où dormir à Confolent-Port-Dieu ?
Comme vous le constaterez par vous-même, Confolent-Port-Dieu est un petit bout du monde corrézien. Une poignée de maisons, une petite église et… c’est tout ! Heureusement Jean-Marc est là et a su convaincre habitants et élus du bien fondé de bâtir l’un de ces hébergements propres à l’Itinérêve sur un terrain gracieusement cédé, juste à côté de l’église. Et voilà comment, selon un plan qu’il a lui-même dessiné, est sorti de terre l’Itinétape des Manants.
Le bâti peut accueillir confortablement jusqu’à huit randonneurs/ses. L’ensemble comprend une première cabane-dortoir avec les couchages et une seconde intègre un espace cuisine, salle d’eau et sanitaire. À l’extérieur, un porche couvert abrite une table pour les repas. Tout est impeccablement équipé. Les clés sont accessibles à partir de boîtes à code. Possibilité de ne louer que la partie cuisine/sanitaire pour les campeurs. 20 euros/nuit pour 1 à 4 personnes, dégressif ensuite. Infos et réservation : 06 47 12 83 66

Où manger à Confolent-Port-Dieu ?
Pour manger il va falloir être prévoyant. Il n’y a ni restaurant, ni café, ni commerce à Confolent et vous n’en trouverez pas avant Bort. Il y a, en revanche, une « micro » épicerie à l’intérieur de la partie cuisine de l’Itinétape où vous ne payez que ce que vous prenez, selon les tarifs affichés. Ça reste de l’appoint et je vous recommande d’arriver avec vos propres provisions pour tenir jusqu’à Bort. Ça sous-entend vos repas du soir, petits-déjeuners et piques-niques du midi.
JOUR 1 – DE CONFOLENT PORT-DIEU À MONESTIER PORT-DIEU
13 km, 4h30, 502m+, 575m-
Le bout du bout. L’extrémité orientale de la Corrèze. Il suffit de franchir le Pont d’Arpiat, par la petite route départementale qui quitte Confolent, à l’est, pour changer de département et de région. De l’autre côté de la Dordogne, fraîchement grossie en amont par le Chavanon, s’ouvrent les portes du Puy-de-Dôme, en Auvergne-Rhône-Alpes. Une autre histoire, racontée par les étapes de la rive gauche de l’Itinérêve.
Pour moi des chapitres en attente de lecture, observés depuis le versant opposé de la rivière qui fait ici office de marque-page. Comme un fil conducteur sur lequel glisser en direction du sud et d’Argentat, objectif lointain et, à ce stade, presque irréel, cap le plus méridional de l’itinéraire et point de jonction ultime des deux rives. Un horizon encore flou lorsque je me faufile entre les maisons du petit hameau d’Arsac dont les toits sont martelés ce matin par une pluie drue et froide.

La Corrèze fait grise mine en ce mois de juin, peu pressée de célébrer l’été à venir. La prévision pour la journée n’a rien d’encourageant et la tendance pour la semaine n’est guère plus optimiste. C’est déjà trempé jusqu’aux os que j’atteins la chapelle des Manants, relique de l’ancien prieuré bénédictin de Port-Dieu, pillé et saccagé par les huguenots en 1597. L’endroit accueille désormais des concerts et des expositions.
Le déluge est tel qu’il me donne l’impression de vouloir noyer une seconde fois la vallée de la Dordogne
En poussant ses portes se dévoilent ainsi 24 panneaux explicatifs racontant l’histoire de la vallée et de sa mise en eau en 1951. C’est la mémoire même des habitants qui l’ont vécue qui est partagée sous les plafonds cintrés de ce lieu sacré. Un travail que l’on doit à une anthropologue, Armelle Faure, qui offre, de façon très opportune, un contexte bienvenu à ma randonnée. Randonnée dont j’ignore encore s’il sera possible de la poursuivre avec ces conditions apocalyptiques.

Je quitte l’abri de la chapelle à la faveur d’une relative « accalmie », non sans hésitation. Une pluie moins rageuse a remplacé les hallebardes et je décide de tenter ma chance par la forêt et les versants raides de la rive droite, par lesquels a été dessiné l’itinéraire. N’essayez surtout pas de chercher ces chemins sur l’IGN : ils n’existent pas ! La force de l’Itinérêve c’est, précisément, d’avoir ressuscité, sinon carrément ouvert, des sentes et passages tombés dans l’oubli pour éviter de fastidieux segments goudronnés.
« C’est l’examen des anciennes cartes de Cassini qui m’a permis de retrouver la trace de ces sentiers disparus », m’expliquera Jean-Marc Chirier, le « papa » de l’Itinérêve. Un authentique travail d’explorateur et de réhabilitation que cet amoureux du territoire a abattu sur le terrain pour permettre au tracé d’exister et aux randonneurs de vivre une expérience inédite et immersive. La forêt m’avale ainsi tout cru dès les premiers kilomètres.

C’est un vrai décor de film d’aventure qui, ce jour-là, dégouline littéralement de pluie. Le printemps, déjà bien avancé, a explosé, faisant parfois disparaître la trace derrière un pêle-mêle végétal alourdi par l’humidité. Je suis douché des pieds à la tête en quelques minutes, promené de long en large et de haut en bas par un sentier en sous-bois parfois raide qui fait monter la température sous la GoreTex.
Premier rendez-vous avec la Dordogne et cette surprise, réelle, d’y découvrir un parcours sportif et exigeant qui me balade en sous-bois comme le ferait un wagonnet de montagnes russes.
Sous la pluie, à nouveau battante, qui transforme les ruisseaux en torrents furieux et les sentiers en chemins de boue, ce n’est plus la même expérience. La randonnée se transforme en combat, trébuchante et épuisante, dans une Corrèze devenue jungle. Il me faudra plusieurs heures pour rejoindre Monestier Port-Dieu, endolori et hagard. Lessivé dans tous les sens du terme.

Je trouve le village désert, coiffé d’un couvercle de nuages gris et bas l’arrosant d’une pluie fine et éparse. Le vent s’est levé, invitant le froid sur scène. Une fois n’est pas coutume, je trouve refuge dans l’église où je me débarrasse de mes vêtements trempés pour les remplacer par d’autres, secs et chauds. Un coup d’oeil au bulletin météo : la pluie n’en a pas fini avec la Corrèze, assombrissant toute perspective d’amélioration pour le reste de la semaine et déployant des nuages noirs de menace sur mon reportage.
Au diable la poésie de la pluie en randonnée : il faut tout ignorer de l’effort et de la lutte que requièrent pareilles conditions sur des traces sportives pour essayer de la vendre comme une compagne de marche bienveillante et amusante.
L’osmose avec la Nature a des limites au-delà desquelles le plaisir ne s’aventure pas. Ne demeurent que résilience et combativité. En reportage, la pluie est une invitée qu’on ne souhaite que provisoire. Passe encore l’averse ; mais que faire du déluge, surtout quand il joue les prolongations ? Le matériel et lui ne font pas bon ménage, l’image parle peu et le partage en souffre, aussi inutile que des coups donnés dans l’eau. À l’instinct et la mort dans l’âme, je décide d’arrêter les frais ici et de reporter ce voyage sur l’Itinérêve à des jours meilleurs.

Où dormir à Monestier-Port-Dieu ?
Ne cherchez pas d’auberge ou d’hôtel en arrivant à Monestier-Port-Dieu : il n’y en a pas ! Alors comment fait-on me demanderez-vous ? Une fois de plus, dans ce genre de cas, l’Itinérêve actionne des leviers inédits : les adhérents de l’association s’engagent ainsi à proposer un service de navette aux randonneurs afin de leur permettre de rejoindre un hébergement le soir (et d’en repartir le lendemain).
À la condition, bien évidemment, que cela se fasse dans un rayon défini par l’hébergeur et selon une organisation prévue en amont avec lui. Pour cette étape (ainsi que jusqu’à Saint-Julien-Près-Bort), il est ainsi possible de contacter Janine et Jean, de la Ferme d’Andregeat, pour passer la nuit chez eux, en demi-pension et petit déjeuner inclus pour 60 euros/personne. Ils peuvent aussi vous préparer un panier pique-nique pour le lendemain (6 euros). Infos et réservation : 05 55 96 05 86 ou 06 70 31 75 01
JOUR 2 – DE MONESTIER PORT-DIEU AUX AUBAZINES
18 km, 6h, 582m+, 714m-
Entre les événements décrits dans la paragraphe précédent et celui-ci va s’écouler un été complet et même plus. En partie du fait d’un agenda incompatible pour recaler le projet plus tôt, en partie de celui d’une féroce envie de miser sur l’automne pour éclairer l’Itinérêve sous un angle inédit. Un pari fait non sans risque : l’inconnu de la météo reste de mise lorsqu’on choisit de randonner au mois d’octobre.
Ce fut donc un coup de poker, décidé avec la conscience aigüe de l’absence de solution de secours en cas d’empêchement majeur. Mais les dieux de la Corrèze furent avec moi, fêtant mon retour automnal sur l’Itinérêve en déroulant une prévision d’une semaine complète de soleil. De soleil et de chaleur ! On est à deux semaines de la Toussaint et il fait meilleur qu’au mois de juin ! Je fonce !

Je reprends donc exactement là où je m’étais arrêté et m’élance depuis le site de la Vie, un petit belvédère ouvert sur la retenue de Bort-les-Orgues que je trouve symbolique pour marquer ce nouveau départ. Je ressentais le besoin d’établir un contact visuel avec la Dordogne avant de lui tourner le dos pour aller chercher le passage plus au nord, dans les terres, entre la « Maison de l’Anglais » de Giraudeix et le village de Pradeix.
Je retrouve la forêt corrézienne et ses hauts feuillus qui lui donnent un air de cathédrale. Là-dessous règne d’ailleurs presque une atmosphère sacrée où la Nature, au-delà du chant net des oiseaux, vibre à des fréquences à peine perceptibles. Et, soudain, brisant l’aura frémissante du sous-bois, un cri guttural, répété en écho à distance et immédiatement identifiable : pas de doute possible, il y a des cerfs à quelques mètres du chemin !

Parti depuis moins de dix minutes et déjà l’espoir d’une rencontre avec le souverain de la forêt ? Je suis décidément gâté. Je passe en mode trappeur, retenant autant mon souffle que mes pas, façon Robert Redford dans Jeremiah Johnson. Le brame se rapproche, quelque part, là, plus haut, dans ce versant pentu et clairsemé de résineux qui délimite la rive droite du Dognon. Un mouvement furtif et mon regard accroche les bois. L’animal est couché, à peine visible.
La biche qu’il courtise, en revanche, se tient debout à quelques mètres, dans un rai de lumière me rappelant l’apparition du Dieu Cerf dans Princesse Mononoke. Quelques secondes fugitives, la brièveté d’un instant volé et le tableau s’évanouit dans un tourbillon de feuilles et de branches cassées. Les masses des deux ongulés se fondent dans la touffeur du sous-bois en quelques bonds rapides et puissants. Difficile de faire mieux en guise de bienvenue.

J’ai maintenant Feneyrol en objectif. Si les pentes sévères, dans les plis desquelles galopent des ruisseaux et des torrents à enjamber, sont peu propices à l’installation humaine, les hauteurs déboisées et les courbes douces du plateau offrent des conditions plus favorables à l’émergence de petits îlots de vie. Feneyrol est l’un de ceux-ci, atteint après une belle section de marche en compagnie du Dognon, sur un sentier tapissé de feuilles mortes.
Des bâtisses aux murs de pierre épais, mais dont l’usure des siècles et des saisons trahit l’âge canonique, témoignent de la ruralité de la vie, ici, aux confins de la Corrèze et au seuil de l’Auvergne. N’est-ce d’ailleurs pas le Puy de Sancy et les Monts Dore qu’on aperçoit à l’est, derrière la robe brune de solides Limousines ? La proximité avec les volcans auvergnats surprend. C’est pourtant à peine 25 kilomètres qui me séparent, à vol d’oiseau, du GR30 Tour des Volcans d’Auvergne auquel j’ai déjà consacré un reportage.

La perspective sur ces poudrières antédiluviennes, dont les élans furieux et embrasés ont façonné par le feu et le soufre le monde dans lequel nous vivons, ne s’arrête pas au seul Sancy. Plein sud, c’est un autre géant qui remplit l’horizon. Rien de moins que le plus grand stato-volcan d’Europe dissimulé sous le masque débonnaire et trompeur de montagnes à vaches : ne vous y trompez pas, le Massif Cantalien ne se laisse pas assiéger facilement.
Dans l’entrelacs de ses longues vallées, ouvrant autour du Puy Mary comme les branches d’une étoile de mer, c’est un autre GR, le GR400, qui effeuille les pages d’un récit éruptif étalé sur plusieurs millions d’années. Une autre histoire épique, qui a donné lieu à un épisode de Mon GR Préféré, que je vous raconterai peut-être ici un jour. Pour l’heure, retour à notre bon 21ème siècle et à ces prairies verdoyantes qui s’étirent paresseusement au sud, vers la Bournerie.

Une balise me fait repartir à l’assaut des remparts forestiers de la rive droite. Je m’y engouffre avec une curiosité d’explorateur, avide de ces ambiances ombragées et secrètes où des familles de champignons tendent leurs cous grêles depuis la lucarne d’une vieille souche, où la mousse épouse l’écorce comme un vêtement taillé sur mesure tandis que le sous-bois miroite au gré d’une lumière diffuse qui joue avec les feuillages comme un joueur de piano avec les touches de son clavier.
Jouée en boucle autour du chemin, la musique de la forêt pénètre le marcheur au point de lui faire perdre les notions de distance et de temps. La journée est déjà bien avancée lorsque, à la faveur d’une trouée, j’aperçois les six tours et les façades percées par des fenêtres à meneaux du Château de Val, sur la rive opposée de la Dordogne. Bien que situé dans le Cantal – plus exactement sur la commune de Lanobre – l’édifice appartient à la commune corrézienne de Bort-les-Orgues.

Avant la mise en eau du barrage, il dominait fief et vallée depuis un rocher haut de trente mètres. Aujourd’hui le voilà qui avance dignement sur l’eau, à l’extrémité d’une péninsule de terre lui conférant une allure de presqu’île. Accolé à une petite chapelle, il forme un ensemble architectural remarquable qu’il est possible d’approcher lors de la 28ème étape de l’Itinérêve, entre Lanobre et Labessette.
Une déviation me renvoie ensuite sur les hauteurs, par une petite route qui ne doit pas souvent voir de voiture, en direction du hameau du Mont et de son belvédère, accessible par un rapide aller-retour. Sur une esplanade herbeuse et en légère pente, une vue panoramique sur le lac formé par la retenue de Bort-les-Orgues autorise la vue, longtemps contenue par l’opacité des sous-bois, à vagabonder librement jusqu’aux horizons coiffés par le Sancy d’un côté et le Massif Cantalien de l’autre.

Un instant apprécié pour prendre la mesure des 1075 hectares de cette étendue liquide de bleu denim qui, il y a maintenant près de 75 ans, a définitivement bouleversé le paysage et la vie de ses habitants. Je poursuis ensuite mon chemin par d’étroits corridors végétaux où les murs ont l’apparence de treillis de jeunes hêtres. Parfois les restes d’un muret de pierre sèche, aujourd’hui vétuste et moussu, rappellent que ces sentes servaient autrefois de dessertes pour relier les fermes isolées du plateau.
Je franchis plus bas le ruisseau du Lys par une passerelle en bois. À l’image d’autres voies d’eau forestières ici, le Lys, entortillé dans les plis d’une ravine tortueuse, affiche une allure vigoureuse et cascadante. La répétition de ces plongées en forêt, opposant à la foulée du randonneur des pentes aussi soutenues à la montée qu’à la descente, pourra prendre de court qui s’attendait à une promenade de santé en débarquant en Corrèze sur l’Itinérêve.

« Les gens sont sincèrement surpris », me confie plus tard Jean-Marc. « Je les préviens pourtant que c’est sportif. Ils me disent qu’ils ont fait de la montagne et que ça va aller. Mais souvent la nature du terrain les prend de court. » Je confirme que, pour s’aligner sur ce parcours, prévoir dans le sac une bonne réserve d’endurance et de tonicité ne sera pas du luxe ! Je remonte ainsi du mieux que je peux la forte pente en direction de Sauliac, en puisant dans une bonbonne d’opiniâtreté.
Cette première journée au fil de la Dordogne me laisse quelques traces et je ne suis pas fâché d’apercevoir le bras du large estuaire ouvrant sur la retenue de Bort-les-Orgues que ferme, au sud-est, le rempart de son barrage. Les Aubazines et sa base de loisirs y ont les pieds dans l’eau. On les rejoint par une portion de l’ancienne route qui reliait Ussel à Bort avant la mise en eau du barrage. Je dépose le sac à dos avec un soupir de soulagement pour mes épaules fatiguées. L’heure du repos a sonné !

Où dormir aux Aubazines ?
Difficile de manquer le camping des Aubazines qui, en sus d’emplacements traditionnels pour les tentes, propose également du locatif à la nuitée. Parmi les prestations, les petits bungalows 4 places sont sans aucun doute les plus économiques : la nuitée est à partir de 35 euros en basse saison. Ils ne sont cependant disponibles que du 1er mai au 30 septembre. En dehors de ces dates il faudra partir sur la formule chalet, à partir de 70 euros la nuitée, qui eux sont ouverts du 1er janvier au 31 décembre. Notez que le camping – si vous venez en tente – n’est ouvert que de mai à septembre : à partir de 15 euros l’emplacement pour 2 personnes. Infos et réservation : 05 55 96 08 38 ou lesaubazines@orange.fr
JOUR 3 – DES AUBAZINES À BORT-LES-ORGUES
>> L’itinérêve rejoint ensuite Bort-les-Orgues lors d’une toute petite troisième étape de 5 km, 2h, 53m+ et 188m- que certain(e)s cumuleront au J2 pour rallier plus rapidement Bort-les-Orgues.
Où dormir à Bort-les-Orgues ?
À deux pas du barrage et du musée de la Tannerie et du Cuir, se dresse le Rider, un modeste et agréable hôtel restaurant de 2 étoiles qui propose la soirée étape à 78 euros/personne. Il est tenu par Karine et Ludovic qui seront de bons interlocuteurs pour parler de la région. Infos et réservation : 05 55 96 00 47 ou mail à hotellerider@gmail.com
Bon à savoir
Tous commerces à Bort-les-Orgues. Je vous invite à faire le plein pour celles/ceux qui sont en autonomie et qui doivent donc prévoir leurs repas. Plus d’épicerie avant Liginiac ensuite, soit deux jours de marche.

En marge de la rando : le barrage de Bort-les-Orgues
120 mètres de béton, dressés en arc-de-cercle au-dessus de moi, s’étirent sur 390 mètres de large en fermant la vallée. De l’autre côté, 470 millions de mètres cube d’eau viennent taper à la porte, retenus autant par l’audace architecturale de l’édifice que par la technologie de la construction en poids-voûte utilisée. La retenue de Bort-les-Orgues offre un terreau fertile aux superlatifs. Premier et plus grand barrage construit sur la Dordogne, il est également le 4ème plus important de France.
Dans ce pays de rivières sur lequel il règne, le barrage de Bort-les-Orgues est l’équivalent d’une divinité qui cumule les titres et les records
Et ce n’est que la surface visible de l’iceberg. À l’intérieur, pas une pièce, un élément ou une donnée chiffrée qui ne donne le vertige. Un barrage, c’est un univers à part entière, presque un organisme vivant dont les données vitales sont placées sous la surveillance permanente de ses « habitants ». À la tête de celui de Bort-les-Orgues, Cédric Pouget m’accueille le temps d’une passionnante visite privée. Plonger dans les entrailles d’un barrage impressionne, laissez-moi vous le dire. À l’instar d’un glacier, le barrage vit, respire et bouge, placé sous perfusion d’accessoires de mesure qui assurent son intégrité.

C’est un univers de démesure où la tonne – au mieux quelques dizaines, sinon plusieurs centaines – est la norme des rotors, turbines et vannes qui en constituent les organes. Ici l’électricité est transformée immédiatement pour assurer jusqu’à 310 gigawattheures par an, soit 310 millions de KWh. Une puissance folle. L’hydroélectricité représente 12 à 14% de la production d’électricité annuelle en France, ajustée en temps réel à partir d’une équation quotidienne embarquant toute une série de variables ainsi que me l’explique Cédric Pouget.
Du travail d’orfèvre dont la précision nous permet de disposer en permanence de cette énergie dont l’usage et le besoin ne cessent d’augmenter – alors que la ressource eau, elle, a plutôt tendance à décroitre – plaçant les experts et techniciens face au plus grand défi de demain. Je ressors à l’air libre abasourdi, autant par ces enjeux que par les proportions titanesques de ce barrage et des éléments avec lesquels il joue les acrobates. Passionnant.

J4 – DE BORT-LES-ORGUES À SAINT-JULIEN-PRÈS-BORT
15 km, 5h, 513m+, 363m-
Après le barrage, c’est à la rencontre de la seconde vedette de Bort que je vais maintenant : à 789m d’altitude, la ligne de falaises des Orgues se déroule vers le sud, dressée haute au-dessus du cours de la Dordogne qui s’y enroule avant de disparaître vers l’ouest. D’en bas elle ressemble à une longue partition écrite par les volcans, toute en notes de phonolite, pour composer une gigantesque symphonie minérale à la gloire des cratères et du magma d’antan.
L’Itinérêve s’y élève avec déférence, coupant à mi-pente par les hautes colonnades d’une hêtraie lumineuse avant de donner l’assaut au site par son arête nord. L’essentiel de la difficulté est contenu ici, dans ces un peu plus de trois cents mètres de dénivelé qui, depuis Bort, permettent de prendre pied sur la calotte sommitale des Orgues où, le souffle court mais le sourire aux lèvres, je pose les yeux sur l’un des plus beaux points de vue sur l’Auvergne proche.

Au-delà de la petite esplanade aménagée sur laquelle je me tiens et de la ville de Bort déployée à mes pieds, la chaîne des Monts Dore est à portée de main. Et, avec elle, le Plateau de l’Artense puis celui du Cézallier – que je sois changé en Salers si ce n’est pas le Signal du Luguet que j’aperçois à l’horizon ! – et, enfin, fermant la vue au sud, le trône en majesté du volcan Cantalien. L’Auvergne servie sur un plateau et présentée au profane grâce à un triptyque de tables d’orientation bienvenu.
Les orgues, pour leur part, sont difficiles à voir une fois perché dessus. Il faudrait être cette buse, volant avec insolence au-dessus du houppier des hêtres rassemblés sur le versant, pour apprécier la longue ondulation de ces cannelures sombres sur près de deux kilomètres. Ou patienter jusqu’à l’étape 26 de l’Itinérêve qui, remontant en rive gauche de la Dordogne, délivrera alors l’intégralité de ce grand spectacle géologique au trekkeur.

Un peu frustré ? Ne le soyez surtout pas car le coup d’oeil ne s’arrête pas au seul site des Orgues. Dans la famille des belvédères qui en ont à remontrer, un second spot attend en effet le marcheur à vingt minutes de là. Mais chut, celui-ci frôle le confidentiel, fraîchement ouvert par Jean-Marc sur les recommandations d’un local qui, connaissant le lieu, s’était étonné auprès du créateur de l’Itinérêve que son parcours n’y passe pas. Ne le cherchez pas sur l’IGN : il n’y est pas signalé !
Au débouché d’une pessière parfaitement ordinaire survient une avancée, à peine un rebord, sous laquelle une petite falaise mal rabotée s’écroule. Un puits de lumière ouvre alors grand ses volets sur la plus magnifique vue disponible en catalogue sur la retenue de Bort-les-Orgues. Depuis cette position, on jurerait une petite mer intérieure. Un panorama dingue, sans doute mon préféré depuis le départ, qu’il aurait été criminel de manquer !
>> L’Itinérêve rejoint ensuite Saint-Julien-Près-du-Bort et le site de Saint-Nazaire

Le Site de Saint-Nazaire
À l’extrémité d’une petite route départementale séparant la campagne en deux, le site de Saint-Nazaire s’impose non seulement comme l’un des belvédères incontournables de l’Itinérêve mais également comme un endroit idyllique où faire étape pour la nuit. J’y reviendrai très rapidement mais, d’abord, le belvédère.
On le trouve en contrebas de l’aire de stationnement aménagée en bout de route, au débouché d’une brève dégringolade entre racines et rochers. Une solide rambarde métallique évite la bascule au visiteur trop pressé ou maladroit. Dans l’axe, plein ouest et quelques 200 mètres plus bas, le ruban d’eau bleu sombre de la Dordogne, doublement encadré par un cordon de pentes boisées, semble figé dans le paysage.
La vue porte assez loin vers l’aval, jusqu’au virage pris par la rivière au-delà de la centrale de Val Beneyte. La Diège – ici invisible – se jette dans la Dordogne à une encablure du belvédère. Un temps de contemplation rendu d’autant plus immersif et changeant selon la saison et l’horaire choisis par chacun(e) pour sa visite. Et pour qui aura choisi d’y passer la nuit, une chance à saisir de communier avec la rivière lors du coucher du soleil et, davantage encore (rapport à l’exposition du lieu), à son lever.

Où dormir à Saint-Julien-Près-du-Bort ?
Inutile de prévoir la tente : le site de Saint-Nazaire offre l’occasion de renouer avec les hébergements confortables et fonctionnels que l’association a fait jaillir de terre pour pallier à l’absence de gîte ou d’hôtel et assurer la continuité de l’itinéraire sur plusieurs jours. Je n’en reviens toujours pas de la brillance de l’idée et de la qualité de sa mise en oeuvre. Ici, sur le site de Saint-Nazaire, c’est un « pod » qui permet d’accueillir jusqu’à quatre personnes.
Une jolie forme arrondie, poussée au-dessus de l’herbe et complétée, à quelques mètres, par une partie toilettes et douche. Le petit abri me rappelle ces douillets bivacco qu’on déniche, à intervalle régulier, dans les Alpes Autrichiennes et Italiennes. Pour qui la nuit en cabane est un « must », c’est à ne pas rater. Tarif à 13 euros/personne. Infos et réservation : 06 47 12 83 66

J5 – DE SAINT-JULIEN-PRÈS-BORT À LIGINIAC
19 km, 5h30, 400m+, 438m-
C’est la 5ème étape de l’Itinérêve et, pour les besoins de ce reportage, je vais la sauter. Pourquoi ? Pour la simple et bonne raison que je l’ai déjà faite il y a 8 ans, à l’occasion d’un ancien épisode de Carnets de Rando que j’avais consacré à La Dordogne de Villages en Barrages – j’en parlais en introduction – et qu’il est donc inutile de me répéter ici. Épisode disponible sur YouTube et dans lequel vous pourrez me voir traverser la Diège à gué : une séquence qui m’avait d’ailleurs coûté mon téléphone !
À l’époque il était question d’installer une passerelle mais, huit ans plus tard, les vicissitudes budgétaires n’ont toujours pas permis sa construction. Un long crochet jusqu’au Pont de Rotabourg est donc nécessaire pour rejoindre ensuite Roche-le-Peyroux. La vidéo fait également référence à la cascade du Saut de Juillac et au « sommet » du Roc Grand, autre belvédère interessant sur les Gorges de la Dordogne. Liginiac, enfin, présente un petit centre agréable, regroupé autour de sa mairie et de son église, élégamment bâties en pierres de taille lumineuses et cerclées à la chaux.

Où dormir à Liginiac ?
À environ 400m au nord de Liginiac, Annie peut accueillir 2 personnes dans son petit gîte de Chantegril mais uniquement de septembre à juin. Tarif à 25 euros/personne la nuitée auquel peut s’ajouter, sur réservation, le repas du soir (13 euros), le petit-déjeuner (6 euros) et le pique-nique (8 euros). Infos et réservation : 05 55 95 05 76 ou 06 77 64 18 76
Bon à savoir
Il y a possibilité d’agencer différemment ses étapes en cas de difficulté avec les hébergements. Par exemple en s’arrêtant à Roche-le-Peyroux plutôt qu’à Liginiac pour dormir au gîte communal de 28 places. Le lendemain, vous pourrez donc soit finir l’étape et faire halte à Ligniniac, soit prolonger sur l’étape 6 et faire halte au lac de la Triounouze où d’autres hébergements sont ouverts (voir étape suivante). Vérifier vos dates pour être certain(e)s que les hébergements sont bien ouverts lors de votre passage.
Un petit Vival est ouvert tous les jours (sauf lundi et dimanche après-midi) à Ligniniac, de 7h30 à 12h15 puis de 15h à 19h.

J6 – DE LIGINIAC À CLÉMENSAC
17,5 km, 5h30, 289m+, 349m-
>> L’Itinérêve prend ensuite la direction du Lac de la Triouzoune
C’est le temps fort de la 6ème étape : le passage, en venant de Liginiac, sur les rives de celui qui est considéré ici comme le deuxième plus grand réservoir d’eau de Haute-Corrèze. On y arrive depuis Manzagol par de grands halls boisés de chênes et de pins. En octobre, j’y trouve de longues plages de sable désertes. Le site a été rendu au calme de l’arrière-saison après la frénésie estivale. Depuis sa mise en eau en 1945, le lac n’a cessé d’être à la pointe de l’essor des activités nautiques et du tourisme rural.
Optimist, surf électrique, paddle, kayak ou bouée tractée : les activités ne manquent pas aux beaux jours autour de ses plages labellisées « Pavillon Bleu d’Europe ». Rien de tout ça lorsque je m’avance, solitaire, sur la langue de sable ocre de la plage du Maury pour contempler une petite partie des 410 hectares de la retenue. « La Guinguette » et sa terrasse aussi gourmande que festive ont tiré le rideau. Ici, m’a confié Jean-Marc, ont lieu en été de mémorables soirées sous les étoiles de Corrèze.

Bon à savoir
Il est possible de dormir sur le site du lac de la Triounouze, notamment au camping du Soustran qui est ouvert du 17 mai au 14 octobre. Soit en emplacement (10 euros pour 1 personne) soit en tipi de 4 personnes pour 20 euros la nuit. Un restaurant est ouvert sur place pour le repas du soir et on peut prendre le petit déjeuner en réservant la veille son pain et ses viennoiseries. Le pique-nique est également sur commande. Infos et réservation : 07 72 29 25 88
>> L’Itinérêve rejoint ensuite Sérandon – supérette « Chez Brigitte » pour un éventuel ravitaillement : attention, hors saison, les horaires d’ouverture sont variables – puis Clémensac (segment non effectué)
Où dormir à Clémensac ?
Aux Maisons de Coline bien sûr pour y rencontrer Nicole et Pierre, deux passionnés de Nature qui ont aménagé ici un agréable petit paradis autour de leurs hébergements éco-responsables. Une démarche et une philosophie qu’on ressent jusqu’aux délicieux petits plats cuisinés par Pierre le soir. Un sens de l’accueil et du collectif également qui invite à des moments de partage en fin de journée. On est avec ça à quelques pas du belvédère de Gratte-Bruyère ce qui permet de profiter du site aux meilleures heures de la journée et avant la foule. Nicole et Pierre peuvent par ailleurs vous récupérer sur les J5, J6 et J7 de l’Itinérêve. Et même pour le J20 côté Cantal pour celles/ceux en rive gauche. Infos et réservation : 06 76 47 11 76 ou mail lesmaisonsdecoline@gmail.com

Le Belvédère de Gratte-Bruyère
C’est sans doute le belvédère le plus célèbre sur la Dordogne. Certainement, en tout cas, le plus documenté. Sans doute un peu grâce à ce drôle de nom dont la toponymie l’a affublé mais aussi du fait d’une accessibilité optimale qui permet à des non-randonneurs de profiter du site en seulement quelques pas depuis leur voiture. L’endroit peut ainsi être un peu agité ! Toute proportions gardées avec le Point Sublime des Gorges du Verdon, bien évidemment !
Reste que les amateurs-trices de calme et les amoureux-ses de belles lumières lui préfèreront les heures les plus extrêmes du cadran horaire afin d’admirer, au débouché de l’aube ou en prologue au crépuscule, le spectacle offert par le cours de la Dordogne que rejoint le bras évasé de la Sumène, dans un magnifique décor de chênes, de saillies de granit et, évidemment, de bruyère !
Et le bon plan reste de ne pas investir la plateforme aménagée mais plutôt d’emprunter le discret sentier qui s’en éloigne, vers l’est, au-delà de l’extrémité de son muret, pour viser un peu plus loin l’empilement de rochers bien visibles qui se détache du versant. C’est là, sur l’assise solide de gros cubes de granit et à l’écart du monde, que se cueillent les plus belles images de Gratte-Bruyère.

J7 – DE CLÉMENSAC À LE VENT-HAUT
13 km, 4h30, 456m+, 410m-
La matinée ne m’offre pas les mêmes opportunités d’images que la soirée de la veille. D’épais bancs nuageux ont envahi les gorges aux premières lueurs de l’aube et se déplacent maintenant lentement, comme des cétacés vaporeux dans les courants invisibles d’un océan d’air, en m’obstruant la vue sur la Dordogne. Je devine la rivière à la périphérie évanescente de ces masses mouvantes, ruban sombre encore privé de soleil.
Un scénario qui n’a rien d’inhabituel, l’humidité des dernières heures de la nuit s’attardant fréquemment entre les versants, dans l’attente d’être dissipée à coup de balai par la chaleur du jour à venir. Je décide de ne pas attendre l’éclaircie providentielle. Mon étape du jour est suffisamment longue comme ça, qui cumule la septième étape de l’Itinérêve avec une partie de la huitième.

Pour éviter le goudron, le tracé s’en va chercher l’abri de la forêt qui, par de belles allées ouvertes sous une assemblée de hêtres et de pins sylvestres, dépasse plus bas une ancienne carrière de pierre avant de surgir sur les berges de la Dordogne au niveau de la mise à l’eau de La Nau. À l’instar des gabares, les « nau » étaient de grandes barques de chêne, longues de 15 à 20 mètres, sur lesquelles on embarquait les chariots et les attelages de bétail pour leur faire traverser la rivière.
Car, en face, là-bas, c’est le Cantal et le Pays de Mauriac. Avant la mise en eau du barrage de l’Aigle, en aval, on empruntait un pont routier pour l’atteindre. Lors de la vidange de l’édifice, lorsque le niveau d’eau s’abaisse, il devient alors possible d’apercevoir les vestiges de ce pont et de quelques bâtiments disparus, parmi lequel un ancien café-restaurant-dancing.

Le bitume est retrouvé au niveau du ruisseau de Chaux et je dois l’emprunter le temps de quelques pas, jusqu’à pouvoir m’embarquer sur le chemin forestier, ouvert peu avant le Ravin du Pendu, qui remonte patiemment jusqu’à l’étage agricole et ensoleillé des Ages. C’est un nouveau détour par le nord dont il faut ensuite s’affranchir pour passer l’obstacle de la Triouzoune par la seule passerelle disponible du Moulin de Tony.
Par facilité, flemmardise ou manque de temps, on aurait pu évidemment poursuivre par la Dordogne et le Pont des Ajustants pour atteindre ensuite Vent-Bas puis, enfin, la variante montant depuis le Pont de Saint-Projet. Une sérieuse économie horaire mais qui fait l’impasse sur les très intéressants segments de marche de la haute vallée de la Triouzoune. Passé la Renaudie, l’asphalte est mis de côté et je replonge sans me faire prier dans d’épais sous-bois touchés par le pinceau de l’automne.

Une série de chênes centenaires m’attend plus loin en guise de haie d’honneur ; certains, datés du début du 19ème siècle, affichent des circonférences supérieures à trois mètres, résonnant d’une Histoire ancestrale et vibrante que je ressens, sans pouvoir toutefois la traduire en langage humain. C’est une forêt vivante et, pour l’essentiel, à l’apogée de sa jeunesse que je traverse ensuite.
Il y a moins d’un siècle, en effet, ces versants forestiers étaient encore largement pâturés et cultivés par les habitants des hameaux et fermes alentours. C’est l’exode rural, comme partout en France, qui a amorcé le dépeuplement des campagnes et l’abandon des cultures, rendant ces terres à la friche et à la colonisation par les espèces pionnières qui précèdent la forêt actuelle.

Le châtaignier s’est effacé devant les envahisseurs et les versants, jadis fardés du rose de la bruyère et de la callune, sont maintenant anarchiquement recouverts de feuillus, pareil au jeune homme qui, à l’agonie de son adolescence, voit son beau visage imberbe assailli de poils fous. La réminiscence d’un âge d’or évanoui. Le souvenir érodé d’une époque dont les stigmates du deuil sont parfois encore visibles sous la forme de ruines fatiguées, éventrées et assiégées par des armées de lierre vorace.
Ainsi m’apparaît le Moulin de Tony, empilement de pierres branlantes dans son linceul de mousses et de ronces, en rive gauche de la Triouzoune. C’était pourtant un lieu de vie important, il y a un peu plus de 150 ans. Détournée par un bief en amont, l’eau de la rivière insufflait l’énergie nécessaire au fonctionnement de la meule verticale grâce à laquelle on pouvait alors moudre des céréales mais aussi des fruits à coque.

Pour les habitants du Plateau de Sérandon, le Moulin de Tony constituait un important site de production d’huile de noix. Aujourd’hui les hommes l’ont déserté mais le souvenir de cette époque survit grâce aux élèves du Lycée de Neuvic qui y ont égrené des mobiliers informatifs. De ce lieu, désormais rendu à la Nature et bercé par la rumeur de la rivière, émane une atmosphère à la fois mélancolique et apaisée.
Une passerelle de bois, tendue entre les deux rives, me fait passer du territoire de Sérandon à celui de Neuvic. Les mollets sont alors rappelés pour chauffer à nouveau, le temps de s’extraire de la cuvette abrupte du lit de la Triouzoune pour atteindre Fontloube où est produit, se dit-on, le bleu éponyme, premier fromage bleu de vache du département de la Corrèze ! Avis aux amateurs-trices !

>> L’Itinérêve poursuit ensuite Le Vent Haut, terminus officiel de la 7ème étape. Je vous invite cependant pour faire étape à quitter l’Itinérêve à Fontloube pour rejoindre, en 1,5km, le hameau de Loches et son gîte du même nom. Explications ci-dessous.
Où dormir à Le Vent Haut ? (ou plutôt à Loches)
Le découpage d’origine prévoyait l’étape à Le Vent Haut car le petit bourg mettait à disposition un gîte de groupe énorme – 70 lits en capacité ! – pour les randonneurs, dans une ancienne école. Impeccable. Malheureusement, depuis peu, il n’est plus possible d’y dormir à la nuitée. Ce qui rend l’étape au Vent Haut désormais inutile. Mieux vaut, dans ce cas, bifurquer plus tôt vers Loches et aller dormir au Hameau de Loches soit en gîte (55 euros/personne, petit déjeuner et diner inclus) soit en chambre d’hôte (pour 2 personnes, 110 euros, petit déjeuner et diner inclus). Un pique-nique peut être préparé pour 10 euros. Infos et réservation : 05 55 95 98 39 ou 06 89 85 54 09
J8 – DU VENT-HAUT AU MONS
11 km, 3h30, 363m+, 392m-
Il était convenu sur ma feuille de route que je poursuive ce jour-là jusqu’à Layre pour y retrouver Jean-Marc. J’enchaîne donc par les petites routes tranquilles du plateau et, à leur suite, une vaste pessière qui me sert de tremplin pour prendre pied sur la longue et sinueuse section forestière épousant, à quelques mètres de hauteur, le cours du ruisseau de l’Héritier.
Une marche agréable, à la déclivité douce, qui finit, néanmoins, par basculer beaucoup plus férocement vers le vague estuaire formé par le cours d’eau avec la Dordogne. Du pur Itinérêve ! Un cheminement oublié des foules et presque clandestin, par une sente que la végétation tend parfois à dissimuler, et dont seules quelques balises, judicieusement placées, confirment l’existence.

Inconnu de l’IGN, le petit sentier file avec une aisance insolente le long des versants pentus et mouillés par la Dordogne avant d’amorcer son décollage vers le plateau par un tracé explosif qui en clouera probablement au sol quelques-un(e)s, insuffisamment informé(e)s de la nature parfois abrupte de la Corrèze !
Pour ma part, je goûte à l’effort avec un appétit retrouvé, motivé pour beaucoup par le fait que je sais qu’il s’agit du dernier que j’ai à produire ce jour. Je retrouve plus haut Jean-Marc et le soleil de la fin d’après-midi, qui inonde le petit bourg de Layre. Conformément à notre plan de route, je n’irai pas plus loin aujourd’hui et je me fais donc transporter en voiture vers mon hébergement du jour.
>> L’étape 8 se poursuit normalement depuis Layre vers Le Mons (non parcouru).

Où dormir à Le Mons ?
Plusieurs gîtes disponibles sur Mons et autour de Mons. Il y en a d’une capacité de 6 personnes géré par Mathilde Portes d’avril à octobre pour 20 euros/personne et petit déjeuner compris. Le repas du soir est à 13 euros sur réservation 48h avant. Possibilité également de pique-nique sur réservation. Infos et réservation : 09 75 52 36 52 ou 06 78 30 13 05
Il y a aussi une autre solution très sympa, c’est d’opter pour les Jardins de Nanine, une très agréable chambre d’hôte située sur la commune de Lapleau. Gérée par Isabelle et son époux François, c’est juste un magnifique havre de paix pour se ressourcer après une bonne journée de marche. Et une table d’hôte de qualité prise dans le grand salon de la propriété.
J’y ai moi-même passé une excellente soirée et sachez, de plus, qu’Isabelle et son mari assurent un service de navette sur les étapes 6 à 13 de l’Itinérêve. Ce qui peut intéresser pas mal de randonneurs/ses ayant envie de poser leurs valises au même endroit pour retrouver celui-ci le soir venu. Tarif nuit 80 euros (séjour de 2 nuits) ou 75 euros (3 nuits et plus). Repas du soir et petit déjeuner inclus. Infos et réservation : 09 79 20 21 12 ou 06 85 70 01 80

J9 – DU MONS À SPONTOUR
15 km, 5h, 391m+, 668m-
>> L’Itinérêve se poursuit ensuite vers Spontour. C’est une étape que je n’ai pas pu couvrir lors de ce reportage, réintégrant la trace au niveau de Spontour.
En aval du barrage de l’Aigle et déposé entre deux lacets de la Dordogne, Spontour a profité d’une avancée en terrasse sur la rivière pour poser les fondations de son village entre deux tranches de pentes boisées et raides. Une histoire d’eau profondément enracinée qui a jadis fait de ce petit assemblage de maisons la capitale des gabariers de la Dordogne. À la fois port et chantier, Spontour fabriquait de la gabare qu’il expédiait ensuite sur l’eau, chargées de bois à convoyer vers le Bordelais.
Il faut s’imaginer l’effervescence de cette époque où tous les regards et les rêves étaient tournés vers la rivière. Des siècles plus tard, la dernière de ces gabares navigue encore sur la Dordogne, mise à flot par l’énergie et la passion des membres de l’association Les Gabares de Haute-Dordogne qui ont permis la réhabilitation de « la Spontournoise IV ». C’est elle – à quai pour la saison froide lors de mon passage – qui promène les touristes du 21ème siècle sur la rivière depuis l’embarcadère du village.

Spontour c’est aussi l’indissociable souvenir d’Altero Betti, l’accordéoniste qui a fait danser la Corrèze et le Cantal au son de ses près de 400 chansons sur la scène de ce qui est aujourd’hui Le Triolet. Une épopée musicale et la nostalgie de soirées guinguettes heureuses ayant durablement marqué le village. Une histoire et un héritage racontés par les objets et les souvenirs exposés dans l’établissement récemment repris par Mélodie, sa petite-fille, qui y perpétue la tradition de l’accueil, de la bonne chère et de la musique. En passant par Spontour, il n’est pas concevable de ne pas marquer une pause au Triolet Café.
Où dormir à Spontour ?
En général l’option retenue est celle des gîtes communaux qui peuvent accueillir jusqu’à 24 personnes au tarif de 27 euros la nuit, petit déjeuner compris. Ils sont ouverts du 1er septembre au 30 juin. Pour l’été, l’hébergement se passe du côté du camping de Spontour. Le repas du soir se réserve ensuite au Triolet Café. Infos et réservation : 05 55 27 38 38

J10 – DE SPONTOUR À L’ÉCHAMEL
15 km, 4h30, 634m+, 378m-
Déjà la dixième étape de l’Itinérêve. Et, assez traditionnellement, un rempart forestier à escalader dès le départ ! Les contours de Spontour disparaissent rapidement derrière l’écran vert sombre des feuillages tandis que le randonneur est happé par la forêt. Hégémonique, cette dernière est devenue une compagne de marche quotidienne, comme une présence de milliers d’âmes végétales silencieuses s’ouvrant devant le sentier.
Ou peut-être davantage discrète que muette car il n’est pas rare d’entendre les feuilles bruisser secrètement entre elles ou les branches, un peu trop brusquées par un vent invisible, grincer en se frottant à l’écorce l’une de l’autre. La palette de l’automne, par touches de plus en plus marquées au fur et à mesure que l’Itinérêve fait route vers le sud, rend cette atmosphère plus irréelle encore.

Escorté par des chênes trapus, encadré par de hauts hêtres à la rectitude parfaite, je soulève devant moi un tapis de feuilles orangées régulièrement grossi par de nouveaux flocons, légers et cuivrés. Ainsi s’atteint le Poumeyrol, regroupement de quelques maisons à ne pas dépasser pour plonger ensuite dans le vallon plus encaissé du Rioux.
Incessant jeu de montagnes russes qui me hisse d’un plateau à un autre, d’un sous-bois dense aux prés quadrillés de haies du Puy Goutteux. Là-haut les Limousines s’amusent à trotter aux côtés du marcheur. Plus à l’ouest, un grand serpent de nuages ondule dans la cuvette formée par la Luzège, créature fantastique que dissipera bientôt le soleil, en pleine ascension vers son zénith.

À May, l’Itinérêve plonge à la suite du GR de Pays Entre Dordogne et Ventadour afin de franchir la Luzège au Pont Rouge. Très prochainement, une nouvelle option permettra une alternative plus spectaculaire par le Viaduc des Rochers Noirs, un peu plus en amont. Jean-Marc est évidemment sur le coup et les étoiles devraient bientôt s’aligner pour rendre ce passage hautement incroyable possible.
Suspendu à 92 mètres de hauteur au point le plus resserré des gorges, cet ouvrage impressionnant permettait le passage du « Transcorrézien » entre Tulle et Ussel, l’un de ces pittoresques petits trains pour le passage desquels nombre d’ingénieurs, architectes et ouvriers ont relevé d’incroyables défis au siècle dernier.

Il fit son dernier voyage en 1959, condamné ensuite à l’abandon et à la vétusté. Il faudra attendre soixante ans pour que sa restauration soit annoncée par le Conseil Départemental de Corrèze. À l’image exacte de son aspect d’origine, mais reconverti à l’usage exclusif des piétons, le Viaduc des Rochers Noirs compte ainsi parmi les cinq derniers ponts à suspension Gisclard au monde pouvant encore être admirés et empruntés.
On en atteint l’extrémité au débouché d’un tunnel creusé dans la roche et confortablement éclairé qui a été réhabilité pour le seul plaisir des marcheurs et des cyclistes. Et, cerise sur le gâteau, une seconde option permet de traverser la Luzège en empruntant la passerelle himalayenne construite en 2014. C’est elle qui, la première, a permis la continuité de la randonnée entre Tulle et Ussel, après la fermeture du viaduc en 2005.

C’est une très amusante expérience, pas du tout vertigineuse, mais dont l’accès, défendu en entrée et sortie par deux segments de pentes plus sévères qu’ailleurs, est cependant à réserver aux trekkeurs-ses que l’effort n’effraie pas. La suite, en rive gauche de la Luzège trouve ensuite son chemin vers le vallon de Vasséjoux puis les espaces hauts du Battut, frayant par des sentes rurales tirées de l’oubli.
Bien plus que n’importe quel autre itinéraire, l’Itinérêve semble en perpétuelle évolution afin d’optimiser son tracé et d’offrir à ses marcheurs-ses la meilleure expérience de sentier possible. « On a fouillé tous les versants avec un copain, à la recherche d’une trace perdue qui aurait pu faire une liaison plus sympa vers le Peuch que la route. » me raconte Jean-Marc.

Pas toujours évident, entre pentes retors et embroussaillées et obstacle des propriétés privées. La future variante s’en ira ensuite rejoindre Laval-sur-Luzège par les hauteurs des Costes, une massive épaule boisée et mise à l’écart des dernières maisons où se découvre une sente ancestrale basculant vers le petit hameau. En chemin se dévoile le tout récent belvédère Henri et Mireille Ritou qui ranime le souvenir d’un âge pas si lointain où la minuscule commune se targuait de compter 62 habitants, un hôtel, une école, des artisans et commerçants.
À Laval-sur-Luzège comme ailleurs, les habitant(e)s saluent le randonneur et viennent souvent tailler le bout de gras avec lui.
« Aujourd’hui tout ça c’est fini », déplore Jean-Marc. « C’est aussi pour ça que le projet de l’Itinérêve a trouvé du soutien et a été bien accueilli. Mon objectif premier n’était pas tant de créer un itinéraire de randonnée que d’en faire un outil de valorisation de notre territoire qui soit aussi un élément de dynamique dont puisse s’emparer nos petits villages. Je voulais vraiment que les locaux se l’approprient, qu’ils en soient partie prenante. » Et ça marche, octroyant aux habitants des moments d’échange sincères pour rompre le quotidien quelques instants et prendre le temps d’aller vers l’autre.

Où dormir à Laval-sur-Luzège ?
Officiellement, l’étape n’est pas terminée mais monter à L’Échamel n’a pas spécialement de sens dans la mesure où il n’y a pas d’hébergement à proximité immédiate. En revanche, si vous avez aimé le « pod » de Saint-Nazaire et l’Itinétape des Manants à Confolent, vous aurez probablement envie de goûter une nouvelle fois à une nuit dans ces charmantes constructions made in Itinérêve en passant la nuit dans l’Itinétape de la Dame Blanche de Laval-sur-Luzège.
La Dame Blanche y apparait la nuit, dit-on, juste à côté du sarcophage dans lequel s’écoule la fontaine. Personnellement, je ne l’ai pas vue lors de ma nuit sur place, exception faite de sa statue rétro-éclairée ! Même capacité qu’à Confolent (8 personnes), même fonctionnement et même tarifs ! Infos et réservation : 06 47 12 83 66

>> L’Itinérêve quitte ensuite Laval-sur-Luzège et monte vers l’Échamel qu’elle atteint après une belle montée que les mollets apprécieront en fin de journée (pour les uns) ou en début (pour les autres) !
J11 – DE L’ÉCHAMEL À LE PEUCH
10,5 km, 4h, 426m+, 368m-
>> L’Itinérêve prend maintenant le chemin de l’Herbeil avant de prendre la direction de Dillanges en suivant le GR de Pays Entre Dordogne et Ventadour. Un peu avant Dillanges, elle tire plein sud et atteint l’extrémité du Roc Grand.
Le Belvédère de Roc Grand
Mon temps sur l’Itinérêve est désormais compté. La contrainte de la durée limitée du reportage m’impose d’être à Argentat en milieu d’après-midi avant un transfert vers Tulle où j’attraperai alors un train pour Bordeaux. L’appui logistique de Jean-Marc est donc plus que jamais essentiel pour me parachuter sur quelques-uns des derniers grands temps forts de la rive droite.
C’est donc en voiture que je rejoins le belvédère de Roc Grand depuis lequel se dévoile l’amorce du lacet de la Dordogne qui s’enroule autour du Puy Murat avant de venir lécher les piles du Pont de Chambon, en aval. Comme souvent le matin, la rivière est surmontée d’un plafond de nuages fragiles qui double son cours liquide.

Au bout d’un sentier, une confortable petite plateforme a été dégagée parmi les arbres environnants pour donner de l’espace au regard. Une barrière en bois rassurante tient l’observateur à distance prudente du vide. Un mobilier récent, déployé sur un présentoir, offre, par ses informations thématiques brèves, des clés de lecture appréciées.
En ces heures encore matinales, quand la rivière, encore plongée dans l’ombre, se croit toujours en train de rêver de nuit et que les mains tièdes du soleil redonnent des couleurs à la canopée, la Corrèze a des allures de forêt tropicale. Et la Dordogne d’Amazonie. À l’image de la cascade de la Pomeyrine que j’entends gronder dans le creux étroit d’une dépression boisée à ma gauche, c’est la vie même qui semble avoir jailli et pris son envol d’ici.

« Après ça vient un morceau de bravoure de l’Itinérêve » me lance Jean-Marc à côté de moi en me désignant les versants abrupts à l’aplomb du lacet de la rivière. « C’est sans doute le segment le plus coriace qui plonge droit vers la rivière avant de remonter tout aussi sèchement vers la Chapeloune, au-dessus. » Une trace de bête parait-il, au fil de laquelle se dévoilent d’anciens séchadours, ces séchoirs à châtaignes d’antan. Dommage que l’horaire joue contre moi : j’aurais bien relevé ce défi !
>> L’Itinérêve se poursuit ensuite jusqu’au Peuch, terminus de la 11ème étape (non parcouru)
Où dormir au Peuch ?
Les campeurs peuvent opter pour un emplacement au camping du Petit Bois, à condition qu’il reste de la place (il n’y en a que 21). Comptez 12 euros/nuit. Les autres devront prolonger d’environ 1km jusqu’à Saint-Merd-De-Lapleau et son gîte communal pouvant accueillir jusqu’à 20 personnes. Prévoir 18 euros/personne pour la nuit (15 euros à partir de 10 personnes) + le forfait ménage (5 euros). Pas de restauration. Il faudra prévoir de quoi cuisiner. Infos et réservation : 06 10 83 87 51
Notez également l’existence d’un gîte récemment refait à neuf, appelé Chez Marion et pouvant accueillir 8 personnes. Le tarif de la nuitée est de 20 euros/personne et il est possible de réserver le repas du soir (20 euros) et le petit déjeuner (6 euros). Un panier pique nique (sur réservation) est également disponible au prix de 14 euros. Infos et réservation : 06 48 73 96 37

J12 – DU PEUCH À COUFINIER
16 km, 6h, 490m+, 538m-
Nouveau saut de puce et voilà toute une section de la douzième étape depuis Le Peuch qui est avalée par la voiture de Jean-Marc. À l’intérieur c’est une annexe de Castorama qui a l’air d’avoir été ouverte. « Il faut toujours être prêt pour aller tailler un arbre tombé sur le chemin ou remettre un panneau d’aplomb. » se justifie en souriant le papa de l’Itinérêve. Le travail réalisé dans l’ombre par ce passionné me sidère, son dévouement à sa création impressionne.
Il me débarque au sud de Nougein, tout près du belvédère du Roc du Busatier qui offre une nouvelle généreuse perspective sur la Dordogne. « Je te laisse ici pour que tu fasses la boucle par le Jardin de Bardot » m’explique-t-il. « Je te récupère sur la route plus tard pour te monter à Coufinier, le terminus de la 12ème étape ». Un coup de première et le voilà reparti, me laissant seul sur un petit trône de granit surmontant de très haut la courbe alanguie de la rivière maintenant partiellement touchée par le soleil.

Quelques degrés de plus seulement sont suffisants pour déloger la brume et la faire reculer jusqu’à l’aube suivante, pareil à un animal nocturne contraint de se réfugier dans son terrier. Il se murmure qu’ici il est même possible d’assister au vol de l’Aigle Botté. À proximité du belvédère se dévoile également le corps superbement restauré d’un ancien séchoir à châtaignes.
L’observateur-trice attentif/ve aura sans aucun doute noté la présence de la précieuse essence de manière plus marquée dans ce sous-bois. L’indice d’une activité forte autour de ce fruit au siècle dernier. Mais l’humain a quitté la forêt, qui, peu à peu, a méthodiquement effacé les traces de sa présence et les stigmates de son exploitation.

Il faut ainsi être du pays et fin connaisseur pour, tel un fin limier de l’histoire locale, savoir faire apparaître, entre les feuilles et les talus, la forme en gouttière d’un ancien bief d’irrigation. Le sentier, encore impeccablement caladé, témoigne quant à lui de l’usage intensif de ces voies forestières par des milliers de pas avant les miens.
Je me laisse ainsi glisser dans le chatoiement dorés des châtaigniers vers le lit de la Dordogne. Non sans surprise, j’y découvre, plus bas, un terrain rocheux et escarpé à travers lequel le sentier dégringole sans ménagement. Je suis proche de la Grotte des Camisards dont la toponymie éloquente raconte l’histoire qui va avec.

En chemin, une ouverture vers un promontoire rocheux, avançant au-dessus de la Dordogne comme un plongeoir au-dessus d’une piscine olympique, me fait dévier de ma route. Les nuages se sont entièrement évanouis pour ne laisser derrière eux que la surface lisse et le bleu magnétique de la rivière. Dans son écrin de verdure se piquetant peu à peu du masque de l’automne, le cours d’eau, élargi ici par le bras du Gibiat, se donne une envergure de lac de montagne.
Pour un peu on se croirait dans les Vosges ! L’intimité sauvage de mon poste d’observation fait de ce face-à-face un moment plus précieux encore. D’un seul coup, sans le moindre aménagement et à une altitude modeste, ce petit spot se hisse, juste après Gratte-Bruyère, au rang de mes belvédères naturels favoris sur la Dordogne. Il était judicieux d’en profiter car, plus bas, les occasions d’embrasser la rivière avec autant d’emphase se feront rares.

Surgit alors un portique, puis quelques allées et des alignements de murets de pierre délimitant des restanques. Un coin de forêt subitement apprivoisé et aménagé. Je viens de faire mon entrée dans le Jardin de Bardot. Un lieu hors du temps, le rêve un peu fou d’un homme et d’une femme qui a traversé les époques.
Il faut prendre le temps de contempler cet espace en pente à l’aune de ce qu’il était, au début du 20ème siècle, lorsque Bardot et Maria y régalaient leurs visiteurs de fraises et de raisins
Bardot c’était le surnom donné à Joseph Mas, un enfant de Nougein, le village au-dessus. Ce maçon de formation, parti sur des chantiers bordelais, revient au pays en 1900 avec une femme, Maria. Et tous les deux de se lancer dans la réalisation de jardins en terrasses pour y produire des fruits et des légumes, dont certains très peu connus dans la région. C’est un succès.

Une photographie ancienne du couple est présentée à l’une des entrées du jardin. En sépia à gros grain, en tenue d’époque et posant pour le photographe, entre application et timidité. Il y a quelque chose d’émouvant à les voir dessus, figés par l’art naissant de la photographie pour accueillir stoïquement le visiteur, près de 120 ans plus tard. Comme un lien qui s’établit malgré l’absence physique et le temps écoulé. Un lieu de nostalgie heureuse dont je referme la porte respectueusement.
>> L’Itinérêve remonte ensuite par le sous-bois jusqu’à une petite route qui permet de passer en rive droite du Gibiat. Un cheminement en forêt permet alors d’atteindre d’abord Brigoux, puis Coufinier, terminus du J12.

Où dormir à Coufinier ?
L’adresse incontournable de Coufinier, c’est naturellement le Refuge du Ruisseau de la Planche, un bel établissement en bois qui appartient à Jean-Marc, le créateur de l’Itinérêve, et son épouse Solange. L’établissement compte trois chambres de 6 personnes chacune avec lits triples superposés (18 euros/nuit). Il est ouvert toute l’année et propose le repas du soir sur réservation 48h à l’avance (16 à 18 euros). Le petit déjeuner est en plus et se réserve également 48h avant sa venue (6,50 euros). Possibilité de pique-nique à 8,50 euros dans les mêmes conditions. Si vous n’avez pas croisé Jean-Marc sur le chemin, c’est le bon moment pour faire sa connaissance et pour plonger dans l’histoire de l’Itinérêve autour d’un bon repas. Infos et réservation : 06 43 88 47 03 ou 06 17 29 15 99
J13 – DE COUFINIER À SAINT-MARTIAL-ENTRAYGUES
18 km, 6h, 523m+, 636m-
J’ai volontairement réuni ici les étapes 13 et 14 du topo car le J13 se finit à Saint-Martin-la-Méanne sans qu’il y ait véritablement de solution d’hébergement immédiate. Doubler le J13 avec le J14 crée donc une nouvelle étape assez soutenue mais réalisable. Pour l’anecdote c’est un segment que je n’ai quasiment pas parcouru, par manque de temps. Jean-Marc m’y a juste fait marcher le temps d’une brève section afin de voir le barrage de Chastang.
Le Barrage de Chastang
C’est l’avant-dernier barrage sur la Dordogne que le marcheur, venu de Bort-les-Orgues, rencontrera sur en rive droite de l’Itinérêve. Un jalon important qui annonce l’arrivée imminente à Argentat et la fin de l’aventure pour qui n’enchaîne pas ensuite par le Cantal et la rive gauche pour réaliser l’intégralité de l’itinéraire.
Le barrage de Chastang se découvre lors de la 14ème étape, aimable parenthèse de 9 kilomètres entre Saint-Martin-la-Méanne et Saint-Martial-Entraygues, en descendant en-dessous de Lavastroux. Un petit sentier s’éclipse du goudron pour piquer plus directement vers le belvédère installé au-dessus de l’édifice. Le spot est pas mal vétuste mais dégage un angle de vue intéressant sur le Chastang depuis le haut.
Le Barrage de Chastang est un rendez-vous essentiel et à ne pas manquer sur un itinéraire quand on chemine sur un itinéraire se réclamant d’aller « de villages en barrages » !
L’occasion d’admirer la massive façade de 79m de haut, étirée en un arc-de-cercle de 300m d’un bord à l’autre. Un bloc de 350 000 mètres cubes de béton qui retient vaillamment l’équivalent de 75000 piscines olympiques depuis sa mise en service en 1951. À l’instar de celui de Bort-les-Orgues, le barrage du Chastang se visite également, mettant à disposition une salle de projection ainsi qu’un espace EDF Odyssélec pour plonger dans l’univers de l’hydroélectricité de manière ludique.

>> L’Itinérêve poursuit ensuite sa route jusqu’à Saint-Martial-Entraygues (non parcouru)
Où dormir à Saint-Martial-Entraygues ?
Il n’y a qu’une option à Saint-Martial-Entraygues et pas la moindre : les cabanes dans les arbres de Hêtre sous le Charme. C’est le petit craquage budget sur l’Itinérêve et l’occasion d’une nuit insolite dans l’une des magnifiques cabanes de Caroline et de Clément, deux amoureux de la Nature et de la Corrèze. Une philosophie qui nourrit jusqu’aux matériaux de constructions de ces drôles de petits nids avec vue sur la Dordogne, disséminés dans un immense domaine de 8 hectares. Ça vaut le coup d’essayer !
La formule la moins chère est à 142 euros la nuit, petit-déjeuner compris. Le repas du soir est un menu de gourmet comprenant un apéritif, une entrée, un plat, un dessert et le vin (76 euros pour 2 personnes). Une récente formule « Étoile de Tente » à 65 euros permet de dormir en surplomb de la rivière sous un dôme transparent (petit déjeuner non compris). Infos et réservation : 06 31 42 44 39 ou mail à hetresouslecharme@outlook.com

J14 – DE SAINT-MARTIAL-ENTRAYGUES À ARGENTAT-SUR-DORDOGNE
11,5 km, 4h, 332m+, 573m-
La quinzième et dernière étape de la rive droite s’accueille comme un final du Tour de France sur les Champs-Élysées. Un profil essentiellement descendant, une distance plus que raisonnable : les difficultés sont désormais dans le dos du marcheur qui peut délibérément se relâcher et se laisser couler, sans stress ni précipitation, jusqu’à la ligne d’arrivée.
Au débouché de la jonction du Doustre avec la Dordogne, peu après le barrage tenu pour être le plus petit de la vallée, repose Argentat, fière et élégante cité corrézienne dont les quais, débordant de ce charme propre aux ports anciens, ne laisseront pas insensibles le/la marcheur-se qui, venu(e) depuis Confolent au terme de deux semaines de marche, y débarquera le coeur battant d’émotion pour y amarrer le point final de son aventure.

Rutilantes sous l’éclat franc du soleil de l’après-midi, les belles façades de ses maisons aux toits de lauze se pâment dans le reflet de la rivière. Argentat, la capitale des gabariers, offre au visiteur une atmosphère médiévale soignée et une conclusion de qualité à un périple en rive droite de l’Itinérêve. Pour l’apprécier à sa juste valeur, je déambule sur les pavés du quai Lestourgie, passant au pied des balcons fleuris de maisons aux huisseries joyeusement bigarrées pour ensuite franchir la Dordogne et poser le pied sur la rive gauche.
C’est là, depuis la rive opposée, qu’Argentat se révèle autour d’un patrimoine soigneusement entretenu que rehausse un maquillage végétal élaboré. La cité, séduisante, m’y fait de l’oeil, aguicheuse mais jamais vulgaire. Je me laisse enjôler. Après Uzerche et Turenne, découverts lors de mon périple sur le GR46, Argentat se hisse sans difficulté parmi mes villes coups de coeur instantanées en Corrèze. Je ne pouvais pas mieux terminer cet Itinérêve.

Où dormir à Argentat ?
Pas mal de possibilités d’hébergement sur Argentat. Je retiens l’hôtel Le Sablier du Temps, pour son nom évocateur et son allure à la fois traditionnelle et contemporaine. 24 chambres disponibles à partir de 62 euros et une formule repas pour le soir adaptée à tous les budgets. Infos et réservation : 05 55 28 94 90 ou mail à contact@lesablierdutemps.fr
ITINÉRÊVE RIVE DROITE : À VOUS DE JOUER !
Je crois, qu’une fois de plus, je me suis fendu d’un retour d’expérience bien dense, non ? Je me demande même si celui-ci ne dépasse pas les précédents avec ses près de 80000 caractères ! Mais quoi il faut bien que je vous raconte tout dans le détail après tout ! Reste-t-il, alors, encore des choses à ajouter ? Évidemment que oui et il s’agit des éléments pratiques pour bien appréhender et organiser votre future aventure sur l’Itinérêve. Voici donc l’habituelle Foire Aux Questions les plus posées pour tâcher d’optimiser votre futur trek corrézien sur l’Itinérêve.
Est-ce qu’il y a un topo-guide de l’Itinérêve ?
Réponse : oui, il y en a un. Mais ne le cherchez pas du côté de la boutique de la FFRandonnée car l’Itinérêve ne fait pas partie de la famille des GR® fédéraux balisés blanc et rouge. Il bénéficie, de ce fait, d’une édition propre aux Éditions Belles Balades. Un très bel ouvrage au passage. Joliment illustré, agréable à lire quoiqu’un peu encombrant. Mais parfait, en amont de l’aventure, pour se projeter.

Malheureusement, comme beaucoup de topos, il a tendance à rapidement ne plus être à jour. L’Itinérêve est un parcours vivant et, à ce titre, subit des changements, avec des hébergeurs qui s’ajoutent ou se retirent, des variantes et des sentiers qui bougent… Sans que des mises à jour puissent être ajoutées au topo. Et comme éditer un topo c’est un sacré budget, seule la trace GPX disponible sur le site s’actualise (voir plus bas).
Vous pouvez le commander sur le site de l’association au prix de 19,90 euros. Ne lui tenez cependant pas rigueur de ne pas être 100% fiable en 2025 malgré les efforts de ses rédacteurs pour qu’il le soit au moment de sa sortie en 2023.

Est-ce que l’Itinérêve est bien balisée ?
Rien à redire de ce côté. Le travail de signalétique est impeccable. Ce ne sont pourtant pas des baliseurs « diplômés » qui en sont à l’origine mais juste les bénévoles passionnés de l’association. Chacun a d’ailleurs son propre « style » mais, dans tous les cas, le balisage est là où il faut et quand il faut, selon le code fédéral qui fait autorité et bien connu des randonneurs-ses. La différence c’est la couleur. L’Itinérêve est balisée en blanc et jaune et non en blanc et rouge.
On trouve également parfois des panneaux de bois fléchés indiquant la direction « LDDVEB » acronyme de « La Dordogne De Villages En Barrages », qui est le nom de l’association. Des panneaux spéciaux sont également parfois mis en place pour signaler une déviation provisoire du sentier. Le seul ennemi du balisage c’est la chute d’arbre (accidentelle ou volontaire) qui peut entrainer la disparition ou l’obstruction d’une balise.

La trace GPX est-elle utile ?
Pour le coup la trace GPX est un compagnon indispensable. Le balisage est certes très bon mais, sur un itinéraire de près de 200 kilomètres, de surcroit forestier et empruntant souvent des sentes inconnues de l’IGN, la confirmation de la trace vous évitera des hésitations. Je vous recommande donc de la télécharger depuis le site de LDDVEB où elle est régulièrement mise à jour.
Je suis plutôt débutant(e) : est-ce que je peux faire l’Itinérêve ? Après tout la Corrèze c’est plat, non ?
Aïe, aïe, aïe ! Ça, c’est le raisonnement qui a coûté cher à beaucoup de marcheurs-ses qui se sont lancés sur l’Itinérêve la fleur aux dents, avec une image de la Corrèze et de la Dordogne un peu trop romantique. En tout cas complètement fausse ! Alors non, cent fois non, la Corrèze n’est absolument pas plate ! Mais alors pas du tout ! Et si vous prenez le départ avec cette fausse idée en tête, vous risquez de tomber de très haut et très vite. Regardez bien les chiffres : rien que pour cette rive droite c’est déjà près de 6000 mètres de dénivelé positif. Personnellement, je ne recommanderai pas l’Itinérêve à des débutant(e)s parce que, croyez-moi, elle exige des efforts physiques réels et importants.

Mais moi je fais de la montagne et je ne suis pas débutant alors j’ai pas peur.
OK. Très bien. Voilà forcément des atouts pour prendre le départ de l’Itinérêve mais ce n’est pas suffisant. Jean-Marc m’a raconté avoir assisté à pas mal de déconvenues chez des randonneurs-ses soit-disant « habitués » aux terrains alpins. Et c’est confronté aux difficultés de la rive droite que j’ai pu réellement comprendre pourquoi. L’effort à fournir ici n’a rien de comparable à la montagne.
C’est plus facile de s’acquitter de 1000m de dénivelé sur un bon sentier en lacets régulier que d’en faire 500 ici, dans les montagnes russes boisées qui jalonnent l’itinéraire. Le sous-bois offre un terrain moins roulant, souvent plus piégeux et met sur la route du marcheur des pentes parfois sacrément soutenues. C’est bref mais explosif et surtout, répétitif ! De quoi venir à bout des plus endurant(e)s, surtout si vous êtes chargé(e)s. Gardez donc bien cette recommandation à l’esprit !

Alors c’est pour quel public cet Itinérêve au final ?
Je dirais pour des marcheurs-ses intermédiaires disposant d’une bonne endurance et déjà familiers de l’itinérance. Il faut avoir la caisse un minimum pour prendre le départ de la rive droite de l’Itinérêve. Ça pourrait également intéresser des marcheurs-ses déjà sportifs qui cherchent un terrain d’entraînement pour leurs futurs treks de haute saison. Doubler les étapes de l’Itinérêve peut se révéler être un sérieux défi !
Mais aussi, hors de la considération de la difficulté, pour celles/ceux qui cherchent des territoires alternatifs, des itinéraires encore très confidentiels dans l’intimité d’une France rurale méconnue et magnifique. L’Itinérêve n’a pas vocation de devenir un TMB ou un Stevenson : elle ne pourrait tout simplement pas supporter cette pression. En faire l’expérience, c’est délibérément se mettre en marge de ces grands itinéraires sur-médiatisés pour aller chercher une Nature authentique et délicieusement paisible.

Tu as présenté un découpage par étapes dans ton article : est-ce que je suis obligé de le suivre pas-à-pas ?
Non ce n’est pas obligé. Le découpage de chacun(e) sera forcément dicté par les hébergements réservés. Il y a possibilité de faire des étapes plus courtes ou plus longues en fonction d’eux, car on en trouve parfois avant les fins « officielles » des étapes, ce qui bouscule les données statistiques indiquées dans l’article.
Est-ce qu’il n’existe que les hébergements cités dans l’article ?
Non plus. Les adresses indiquées dans l’article le sont soit parce que je trouvais que c’était les plus pertinentes (proches du sentier, bon rapport qualité/prix, présentation sympa), soit parce que je les ai moi-même expérimentées. Soit les deux. Mais il en existe d’autres que je n’ai pas mentionnées pour ne pas alourdir ce reportage déjà suffisamment long. Vous les trouverez sur ce document normalement mis à jour par l’association ou sur la page des hébergements du parcours sur laquelle on peut placer des filtres, notamment par étape. Très pratique.

J’ai l’impression que ce n’est pas évident de se ravitailler sur l’itinéraire. Tu confirmes ?
Effectivement l’Itinérêve rive droite est tracée dans des secteurs très ruraux et très nature d’où sont absents les « gros » commerces qu’on va trouver dans des villages d’une certaine taille. J’ai fait mention de quelques possibilités de ravitaillement dans l’article mais il y en a d’autres, plus aléatoires et moins immédiatement accessibles.
Vous pouvez les retrouver sur cet autre document mis à disposition par l’association. Si vous progressez en autonomie – totale ou partielle – et donc sans réserver de paniers pique-nique auprès d’hébergements, je vous encourage à anticiper largement vos besoins pour disposer toujours dans le sac de vivres suffisants pour le soir, le midi et le matin.

Peut-on bivouaquer facilement sur l’Itinérêve ?
Déjà la bonne question c’est peut-on tout simplement bivouaquer sur l’Itinérêve et la réponse est oui. Il n’y a pas de contrainte législative ici, pas de règlement autre que le bon sens et le respect de l’environnement et de la propriété privée. Jean-Marc m’expliquait que les locaux étaient même plutôt du genre empathiques à l’égard des randonneurs-ses, davantage près à leur venir en aide qu’à les déloger à coup de fusil.
Avec un peu de dialogue et de courtoisie, tout devient alors possible. Maintenant est-ce que c’est facile de bivouaquer sur l’Itinérêve ? Considérant la nature très forestière du parcours et la présence de nombreux champs fermés et réservés à l’élevage, je dirais que ce n’est pas si simple que ça. On n’est pas en montagne ici et le bivouac devra nécessairement se faire plus sauvage et moins « visuel » que sur Instagram. Il faudra vous contenter de ce que vous trouverez.

Et est-ce qu’on trouve de l’eau facilement ?
De l’eau oui il y en a ! Ça coule de partout dans les sous-bois, ça dévale les pentes et ça cavale pour se jeter plus bas dans une plus grosse rivière. Jean-Marc me confiait qu’il buvait sans prendre de précaution dans la plupart de ces cours d’eau. Je vous encourage à faire preuve de plus de prudence en emportant avec vous une gourde filtrante, dans le cas où vous seriez amené(e) à prélever dans ces petits ruisseaux forestiers.
Il faut tout de même garder à l’esprit qu’on est dans un terroir largement agricole et qu’il est donc difficile de savoir ce qui se mélange dans les cours d’eau en amont. De plus il n’y a pas souvent de fontaines ou de sources dans les hameaux, à ma grande surprise. Il ne faut donc pas hésiter à demander directement aux habitants. La plupart vous dépanneront généreusement.

Ton récit donne l’impression que c’est quand même très forestier. C’est le cas ?
Oui c’est le cas. La forêt est sans conteste l’élément principal du décor de l’Itinérêve. C’est bien d’en avoir conscience avant de s’engager car sa redondance et sa présence quotidienne peuvent avoir des effets différents d’un(e) randonneur-se à l’autre. Interrogez-vous en amont sur votre lien à la forêt : est-ce un milieu dans lequel vous aimez évoluer ou, au contraire, un élément paysager qui vous lasse rapidement ?
Dans le second cas, je vous invite à privilégier une boucle courte pour vous familiariser avec l’identité de l’Itinérêve (voir plus bas), plutôt qu’une expérience longue durée qui pourrait finir par vous lasser. La forêt dispose d’un super-pouvoir qui fait perdre toute notion de distance, de temps et d’orientation au randonneur. Ça peut aussi être très perturbant quand on n’a pas l’habitude.

J’ai dû bûcheronner dans le sous-bois plusieurs fois à cause d’arbres en travers du chemin. Moi je trouve que c’est quand même pas super bien entretenu ce chemin.
Alors là je vous arrête. Parce que Jean-Marc et sa petite équipe de bénévoles ne peuvent pas être partout à la fois et que, malgré leurs efforts, les arbres tombent souvent. C’est le point de vulnérabilité de cet itinéraire, essentiellement forestier comme je l’ai largement précisé. Un gros coup de vent ou une tempête et, à coup sûr, vous récoltez des arbres écroulés sur l’un des 420 km de la boucle. Sauf que se déplacer sur cet énorme périmètre pour assurer cet entretien d’urgence n’est pas simple.
Malgré une communication permanente et une efficacité à identifier les interventions nécessaires, certains arbres demeurent quelques jours en travers du sentier. Les plus gros chantiers doivent parfois même être entrepris par des professionnels. Bref, un peu de tolérance aux usagers du chemin à l’égard de l’association qui fait toujours le maximum. Dans les cas les plus graves, une déviation – signalée en entrée et sortie par des panneaux, puis balisée – est mise en place. Merci alors d’en respecter les consignes.

Je n’ai pas quinze jours devant moi, et encore moins trente. Est-ce que je peux quand même profiter de l’Itinérêve ?
Mais bien sûr que vous pouvez ! Et ce sont les ponts qui vont vous le permettre. Chaque pont sur la Dordogne est une possibilité de liaison entre la rive droite et la rive gauche et plusieurs boucles plus courtes ont déjà été identifiées : le Grand Lac (6 à 7 jours) depuis Confolent-Port-Dieu, de Bort à Bort (5 jours), la Boucle de l’Aigle depuis Le Vent-Haut (3 à 4 jours), le Sablier depuis le barrage éponyme (2 à 3 jours). N’hésitez pas à prendre contact avec l’association LDDVEB pour plus d’informations à ce sujet.








Laisser un commentaire