Auréolées d’une réputation d’exigence, les Pyrénées Ariégeoises se plaisent à susciter l’émoi chez les randonneurs-ses que la montagne impressionne facilement. Elles s’abordent ainsi comme un café pas mal corsé dont on ne peut s’empêcher d’être cependant séduit par l’arôme. L’Ariège n’est pourtant pas la chasse gardée des seul(e)s expert(e)s. À usage de celles/ceux qui, par timidité, ne savent pas par quel bout l’aborder ou qui, par excès d’humilité, ne se sentent pas digne du niveau qu’elle feint d’exiger, je suis allé me fondre dans un séjour de Sur Les Hauteurs destiné à tomber le masque et à rendre cette Ariège accessible à (presque) tous. On n’y escalade certes pas le Mont Valier mais on courtise, étonné et admiratif, tout un pan de la destination souvent mis de côté et passablement peu connu : une Ariège plus secrète, démystifiée et terriblement abordable.
À QUI S’ADRESSE CET ARTICLE ?
Si vous cherchez de la difficulté, une confrontation physique avec les Pyrénées Ariégeoises et des visas pour ses sommets, alors vous êtes au mauvais endroit ! Je vous recommande plutôt d’aller jeter un oeil à l’article TOP5 des Sommets Ariégeois à Faire Absolument dans sa Vie pour lequel j’avais sué sang et eau afin de mettre en lumière la face rebelle et sportive de cet authentique territoire de montagne.
Non, ici, je m’adresse à des randonneurs-ses pas nécessairement débutants mais qui néanmoins connaissent leurs limites en matière de marche en montagne. 600m de dénivelé quotidien seront ainsi une fourchette haute qu’on évitera de dépasser. L’article touchera aussi celles/ceux qui ne se font pas suffisamment confiance pour marcher seul(e)s et/ou qui préfèrent s’en remettre à quelqu’un pour organiser leurs randonnées. Par facilité ou absence de savoir-faire dans ce domaine. Ou les deux !

AVEC QUI PARTIR ?
Les randonnées évoquées ci-après font partie des possibles itinéraires parcourus à l’occasion du séjour Rando Balnéo en Ariège proposée par l’agence pyrénéenne Sur Les Hauteurs que j’avais déjà eu l’occasion de présenter ici à l’occasion d’une actualité récente. Réalisé en étoile à partir d’Ax-les-Thermes, le séjour de 7 jours et 6 nuits permet de coupler des randonnées à la journée de niveau facile avec des sessions de balnéothérapie (en option) aux Thermes d’Ax. Le guide, qui dispose en poche d’un panel d’itinéraires adaptés, modulera le programme de la semaine en fonction des conditions et du niveau du groupe. Tarif à partir de 885 euros.
POURQUOI PARTIR AVEC UN GUIDE ?
Bien sûr les randonnées que je vais évoquer ici peuvent être librement parcourues par des marcheurs-ses autonomes. Mais, je vous l’ai déjà précisé, cet article ne leur est pas initialement destiné. Si vous en êtes à ce stade de la lecture, c’est que, au contraire, marcher en montagne ne vous est pas familier. Ou que de le faire seul(e) ne vous met pas particulièrement à l’aise. La présence du guide – on parle d’Accompagnateur ici – rassure alors. Il n’y a plus qu’à se laisser porter, sans avoir à endosser de responsabilité, et à contempler. Argument sérénité.

Mais disposer de la présence d’un accompagnateur ce n’est pas uniquement ça. C’est aussi bénéficier des connaissances et du regard d’un professionnel de la montagne. C’est se voir offrir un autre niveau de lecture et de compréhension du territoire et de l’environnement traversé. C’est marcher intelligent. Sans négliger la part d’humain et de convivialité qu’elle induit. Si certain(e)s recherchent le silence et la solitude, d’autres préfèrent le contact, l’échange, la connivence et le rire. Et, n’en doutez pas, avec des guides Sur Les Hauteurs comme Éric et Thierry, cette barre est placée bien haute !
ARRIVER DANS LES PYRÉNÉES ARIÉGEOISES
Le quartier général de ce séjour c’est Ax-les-Thermes, station thermale et de ski agréable à vivre et qui dispose de sa propre gare. Par le train on y arrive généralement depuis Toulouse, via Foix. Dans mon cas, suite à un problème avec la dilatation des rails à cause de la chaleur au-delà de Foix, j’ai rejoint Ax-les-Thermes en bus depuis Foix. Il est évidemment possible d’arriver en voiture, en général via Foix également, par commodité.

APERÇU DE QUELQUES RANDONNÉES AU PROGRAMME
JOUR 1 – L’ÉTANG DE COMTE
L’Ariège défile derrière la vitre du petit fourgon conduit par Thierry, jouant avec les courbes de la route comme les dauphins devant l’étrave d’un voilier. La rivière, qui jaillit bien plus haut depuis sa source en amont du Pas-de-la-Case, contourne Mérens-les-Vals que le véhicule de l’agence traverse maintenant rapidement.
Déclic instantané au passage du village : le souvenir d’être passé là flashe en un éclair rapide. J’avais dormi à Mérens après le tournage de l’épisode de Mon GR® Préféré consacré au Chemin des Bonshommes. Le GR®107, monté depuis Ax-les-Thermes, emboîte ici le pas du GR®10 pour rejoindre le refuge des Bésines, lieu pépite des Pyrénées Ariégeoises, à deux pas des Pyrénées-Orientales et sur le chemin du Tour des Pérics.
Mérens est un carrefour, le dernier village avant l’Hospitalet-près-l’Andorre et la frontière. Le GR®10 qui traverse les Pyrénées y fait étape en descendant depuis le refuge du Rulhe et la vallée du Mourgouillou que Éric remonte maintenant avec assurance par la piste forestière de l’Ubac jusqu’à son terminus, tout près de la cascade des Escaliers.
C’est autant de temps et de dénivelé d’épargnés pour les 24 randonneurs-ses de l’ASC de Puyricard, dans les Bouches-du-Rhône, qui sont venus découvrir l’Ariège avec l’agence Sur Les Hauteurs. Je n’en reviens d’ailleurs toujours pas ! Plus de 36000 communes en France et c’est de celle la plus proche de la mienne que tous ces braves randonneurs sont issus ! Le monde n’a décidément jamais été aussi petit !

Au menu du jour, l’Étang de Comte. Un classique de la randonnée familiale par ici. Une identité de valeur sûre, accessible (presque) par ses deux rives à partir du Pont des Pierres. Mais, avant d’atteindre celui-ci, quelques dizaines de mètres de dénivelé devront être franchies à travers la végétation dense de la Forêt de l’Ubac.
On emprunte un chemin large, bordé de remparts de fougères et piqueté de silènes fardés de rose. La hêtraie, ombragée mais plus espacée, succède à ce ressaut forestier compact et rapproche le sentier des cavalcades du torrent. Une fraîcheur bienvenue émane de cet univers de rochers moussus et de houppiers denses qui dresse un bouclier salvateur entre les assauts de l’été et nous.

Parfois une clairière à traverser fait subitement plisser les yeux alors qu’apparaissent, dans la lumière retrouvée, les versants dénudés dégringolant sous le Pic de l’Étang Rebenty, sur la rive opposée au cours d’eau. La pente, plus étirée ici, dilue l’effort dans les courbes douces d’un sentier jusqu’à faire irruption sur le promontoire surplombant l’Estagnol, ce petit étang en forme de haricot près duquel les silhouettes musculeuses d’une poignée de chevaux Mérens sont apparues.
En préambule de l’Étang de Comte, l’endroit ne peut que susciter l’admiration au débouché soudain du sous-bois. Comme un puits de lumière ouvert sous le Pic de la Coumette, mâtiné d’une oasis où viennent se désaltérer les animaux. Un jardin d’Eden au coeur des Pyrénées Ariégeoises annonçant le prochain verrou glaciaire à surmonter, évité par le GR®10 qui s’en détache, à l’ouest, pour gagner la crête de la Lhasse.

Le groupe est aux anges. Un enthousiasme palpable provoqué naturellement par cette première confrontation visuelle à la montagne ariégeoise. Un passage à gué sans difficulté ajoute à l’issue un peu de piment à la progression, comme le ferait un ingrédient tenu secret dans une bonne recette de cuisine. L’ambiance est aux sourires, aux glissades évitées et aux exclamations ravies.
L’Étang de Comte offre un instant où plonger avec les yeux dans les profondeurs d’une émotion glissée sous la surface de l’eau
Il ne reste ensuite que peu de dénivelé à s’acquitter pour atteindre la rive nord-est de l’Étang de Comte, lac de Gaube miniature dans son écrin de coulées de roche et de pentes à rhododendrons. Un endroit taillé pour l’extase et où succomber à l’effet relaxant de la montagne. C’est le temps de la pause et des souvenirs en photo enregistrés sur les téléphones.

Par l’imagination je me projette par-delà le ressaut qui ferme le lac, au sud-ouest, suffisamment haut pour dissimuler la colonie de sommets de plus de 2600m et la ribambelle de lacs qui le prolongent jusqu’à la frontière. Un autre étage, un autre monde, d’autres randonnées. Une ambition inconciliable avec l’objectif de découverte facile de la montagne ariégeoise poursuivie par ce séjour.
Ce n’est cependant pas pour autant que Thierry et Éric ne gardent pas d’atouts supplémentaires dans leurs manches afin d’adapter chaque journée au lieu, au groupe et aux conditions du moment. Avec une probabilité d’orage certaine, ils optent ce jour pour la Jasse d’Esteil, petit balcon servi sur un plateau et le vallon du Mourgouillou. Moyennant la négociation d’un peu plus de 200 mètres de dénivelé supplémentaires.

Le groupe prend son élan parmi de hauts pins et des bosquets de rhododendrons en pleine floraison. L’Ariège se couvre de rose comme les joues d’une demoiselle énamourée. Époque bénie que celle du rhododendron en fleur en montagne, à l’instar de la lavande en Provence. Un créneau à saisir, aussi bref que merveilleux. Identique à un maquillage qui vient sublimer les traits d’un visage.
Avec l’altitude, celui de l’Ariège gagne maintenant en profondeur. Des sommets, comme celui du Pic de Castille, sont ainsi replacés en perspective et font prendre de l’ampleur au paysage. Dissimulés à la vue depuis les rives de l’Étang, les secrets des niveaux supérieurs du Mourgouillou sont maintenant progressivement révélés à la manière d’un rideau à-demi soulevé. Voici l’Ariège des versants sauvages et des sentiers oubliés.

C’est ainsi qu’est atteint le replat de la Jasse d’Esteil et sa bergerie déserte, sous la veille consciencieuse des Caps de Place Roubert et de Tos. Un lieu détaché du monde où un étang ne portant même pas de nom se referme en silence, condamné par eutrophisation, comme serait refermée lentement la dernière page d’un livre.
Il y a ici ce goût particulier des premières fois qui, parfois, déclenche le coup de foudre et les premières heures d’une passion dormante
C’est là qu’Éric et Thierry décrètent la pause déjeuner, en ce lieu haut et confidentiel, presque un sanctuaire, où l’excitation et la joie de 24 randonneurs-ses comblés par la vue et l’expérience viennent troubler le silence naturel. Je reconnais bien là l’effet de l’Ariège, montagne modeste mais aussi un peu clandestine, farouche mais naturellement séduisante.

Cette randonnée à l’Étang de Comte et ses environs immédiats ancre les Pyrénées Ariégeoises concrètement chez nos marcheurs-ses provençaux. Ce qui, jusqu’à hier encore, n’était qu’une représentation indistincte, bâtie à partir d’images de magazines ou de réseaux sociaux, est désormais une réalité physique, une expérience authentique.
La sortie a produit son effet et c’est animé d’un enthousiasme renouvelé et d’une impatience manifeste d’en voir davantage que le groupe fait demi-tour vers la vallée, poussé dehors par une menace nuageuse derrière laquelle couve la pulsation de l’orage. La fin de journée est arrosée comme une victoire. Celle de la bonne humeur sur le rideau sombre du gris qui, malgré sa tentative, ne parviendra pas à effacer la joie enfantine qui anime les regards.

JOUR 2 : PIC DE TARBÉSOU & ÉTANGS DE RABASSOLE
Ce matin les véhicules ont mis le cap à l’Est et se suivent avec l’application d’un convoi dans les lacets menant vers la petite station de ski d’Ascou-Pailhères, fermée en été. Notre terminus est encore au-delà, plus haut vers ces espaces balayés par le vent qui s’étirent dans une illusion d’infini autour du col éponyme, prisé par les cyclistes.
Comme hier la mémoire me revient. D’autant plus précise cette fois qu’elle puise dans des événements récents. L’endroit m’est à nouveau familier. J’y étais en effet il y a seulement quelques mois, en février, pour un reportage en famille et à raquettes avec pour objectif de porter à la connaissance du public une Ariège hivernale intime et méconnue. Loin des projecteurs d’Ax-les-Thermes ou du Plateau de Beille.

L’hiver la route du col de Pailhères est fermée et c’est depuis Mijanès que j’avais levé les yeux vers ces crêtes alors blanchies par la neige sur lesquelles je n’avais voyagé que par l’imagination, avec la complicité d’une carte IGN. Un relief, une topographie et des possibilités de randonnée qui avaient alors stimulé ma curiosité.
Lire aussi sur le blog : L’Ariège À Raquettes Intime En 3 Randonnées Faciles À Faire En Famille
J’y avais décelé un potentiel, suivi la même intuition qu’un détective flairant un bon tuyau lors d’une enquête. Le hasard – mais est-ce vraiment lui ? – m’y ramène donc quatre mois plus tard pour me donner la possibilité de confirmer (ou pas) ce que j’avais cru entrevoir au-delà de ces hauteurs rocheuses au sein desquelles se dissimulaient des cabanes et des lacs.

Une série de hauts cairns, solidement façonnés et régulièrement disposés, conduit notre groupe en direction du col depuis le parking. Un rappel au passé, quand Palhières était le plus haut col ariégeois et un axe essentiel entre le Donezan et la vallée d’Ax. En ce temps de hauts bâtons – les pailheiròla – le jalonnaient ainsi afin de le rendre visible par tous les temps. En occitan c’était également le nom donné à la perche qui servait à porter la paille.
J’ai toujours trouvé que la connaissance du passé éclairait d’un jour nouveau les lieux investis aujourd’hui par nos activités de loisirs. Une sorte de continuité qui assure une forme d’identité, en contribuant à les rendre plus vivants. Sonnailles et mugissements attirent ensuite mon attention. Fraîchement débarquées en estive, 80 vaches gasconnes se laissent aller à la joie d’avoir retrouvé la bonne herbe de l’altitude.

Éminence verte plutôt indolente, le Picou de Mounégou et son antenne s’élèvent poussivement au-dessus de ces vastes espaces verts qui vont servir de cantine aux bovidés. « C’est notre objectif », annonce Thierry au collectif qui, pour l’occasion, est invité à se séparer en deux groupes de niveau. Ou plutôt de rythmes différents.
Le paisible point haut, aux allures de volcan d’Auvergne, n’est qu’une antécime devant nous mener sur le sommet, plus élevé et encore invisible, du Pic de Tarbésou. Sur l’IGN, ce dernier accueille un pictogramme rose de point de vue remarquable. Autant dire que j’y entrevois d’ores et déjà la réalisation de quelques jolies images. « Ensuite on basculera sur les Étangs de Rabassole pour le déjeuner » complète Éric.

La messe était dite. Le groupe inscrit maintenant ses pas dans ceux des guides pour se diriger, à travers l’immense prairie de callunes et de myrtilliers, vers le début du sentier d’ascension où se sont rassemblées les Gasconnes. Avec ses 600 kilos sur la balance et sa constitution robuste, la Gasconne est un animal résolument taillé pour la marche et le relief des Pyrénées Ariégeoises.
Sa robe claire, tirant sur l’argent qu’on aurait subtilement poivré, tranche avec le vert éclatant posé comme une couverture sur la montagne. Les bovidés ne vont pas au-delà des bachats ruisselants d’eau qui précèdent la rupture de pente. Au-delà c’est l’univers des bipèdes marcheurs et adeptes de la montée que nous sommes.

Les traces ne manquent pas pour s’élever à travers les rhododendrons vers une antécime qui fera office de palier pour une pause intermédiaire visant à diviser l’effort. Le groupe s’élève ainsi au rythme d’une foulée patiente donnée par ses deux guides. Les plus rapides suivront la trace ouverte dans le versant ouest, en-dessous de la crête de Mounégou. Un pan de montagne un peu plus raide qui surmonte, en balcon, les Étangs de Bauzeille, trois cents mètres en contrebas.
Éric, prudent, ramène ensuite le demi-groupe sur le sentier balisé, évitant ainsi une zone plus creusée et plus impressionnante qui dévale sous le Pic de Tarbésou. À ce stade de l’ascension, un vent un peu fou s’est levé, remontant en furie les couloirs rocheux, déséquilibrant parfois les marcheurs et jouant à faire s’envoler les chapeaux et casquettes mal arrimés aux têtes de leurs propriétaires.

L’arrivée au sommet est agitée, perturbée par des bourrasques aveugles qui font chuter la température et nous obligent à vite extraire polaires et doudounes de nos sacs. Éole paraît décidée à transformer notre passage en abréviation. Arrimé aussi solidement que possible au sol du pic pour résister à l’envol, je m’ouvre néanmoins au paysage. Je suis dépassé par la quantité de sommets qui émergent d’est en ouest, en horizons successifs.
Plus familiers des Alpes que des Pyrénées, j’identifie néanmoins quelques silhouettes bien connues comme les Pérics et le Carlit, côté Pyrénées-Orientales. Et probablement ce qui doit être le Canigou, dans le flou d’un nuancier de bleus. À l’opposé, les « gros clients » ariégeois jouent les gros bras à l’ouest : Pica d’Estats, Pique Rouge de Bassiès et Valier sont repérés. Eux plus que d’autres après m’avoir coûté quelques efforts lors du tournage épique de 2023 !

La grande plaine d’Aquitaine se déploie au nord, au-delà des ultimes marches du piémont pyrénéen. Là-bas, plus bas, c’est le fief des cathares et les Corbières à portée de main. Le Pic de Bugarach, lointain, m’adresse un clin d’oeil, en rappel de la tempête bien supérieure à celle de ce jour que j’y avais subie sur le tournage de Mon GR® Préféré avec Olivier. Quel souvenir !
D’un appel clair, Thierry bat le rappel du groupe et la retraite du sommet du Tarbésou, abandonné aux assauts aveugles du vent. Le joli sentier qui dégringole le long de son arête orientale nous offre de splendides vues aériennes sur les Étangs de Rabassoles qui nous attendent en contrebas. Un autre itinéraire, plis aérien et sauvage, démarre de l’arête sud-ouest pour évoluer en funambule sur le Sarrat des Escales, suspendu au-dessus de la vallée de Coume Grande et face à l’iconique Dent d’Orlu.

Nourries par l’effet Venturi, les rafales nous cueillent de plus bel au passage du col ouvert entre le Pic de Tarbésou et celui de la Coumeille de l’Ours. La bascule vers les étangs est opérée en vitesse, motivée par l’envie pressante de passer « sous le vent ». Très vite la soufflerie s’épuise, jusqu’à presque disparaître, effacée par les murs de cette belle enclave où trois superbes étangs s’étagent entre 1970 et 1850 mètres.
Ici c’est le royaume du rhododendron et de la linaigrette. Un petit paradis lacustre, miraculeusement abrité, qui renferme tout le charme du Donezan.
Éric évoque une foule de possibles ici. Je sursaute au nom de l’Échelle de Balbonne, me prends à rêver à la mention d’arêtes isolées et de boucles aventureuses. Une autre dimension de l’Ariège pour celles/ceux qui, rassuré(e)s par ce prologue en forme de mise en bouche, se prendraient à viser des circuits plus ambitieux pour se confronter à un autre niveau de la montagne ariégeoise. Un côté immédiatement plus exigeant aussi.

On surnomme ici le Donezan « le Québec Ariégeois ». Une comparaison amusante mais dont j’ai cependant un peu de mal à voir un usage autre que purement « marketing ». Pour ce que j’en connais, le Québec n’est pas exactement un territoire de montagne. Davantage une immensité de Nature aux frontières imprécises et aux forêts immenses. Là-bas le concept de « vallée » s’applique difficilement et les lacs ont des allures de mers intérieures.
Le lien avec l’Ariège est donc ténu. L’Ariège est l’Ariège. Je ne suis pas convaincu qu’elle ait besoin de chercher des points de comparaison avec d’autres pour exister touristiquement. C’est un pays qui se suffit à lui-même, identifiable par des éléments propres et des ressentis caractéristiques. Un ADN unique qui n’impose aucunement d’aller puiser une équivalence ailleurs dans le Monde pour pouvoir justifier d’être autre chose que l’Ariège.

Le groupe s’est posé tout près du déversoir de l’Étang Noir pour le repas du midi. Quelques mètres de plus et la vue sur l’Étang Bleu est là, à portée de main. Le Roc de Bragues veille au sud, tandis que, vers l’est, c’est l’effondrement, la bascule soudaine vers la gigantesque Forêt Domaniale des Hares qui étend son emprise sur une large partie du Donezan. C’est le moment que choisit le soleil pour disparaître.
Le ciel n’est plus qu’un morne couvercle nuageux qui appose un éclat terne sur le paysage. Le retour à Pailhères se passera donc de lumière et du crochet par le Tarbésou. Éric et Thierry tirent au plus rapide par le GR®7B qui est aussi commun ici avec le GR® de Pays du Tour du Donezan. L’occasion d’emprunter un chemin différent et de prolonger encore un petit peu cette expérience hautement recommandable du Donezan.

JOUR 3 : RÉSERVE NATIONALE D’ORLU
Quand j’apprends que Orlu est la destination de ce troisième et dernier jour à passer avec l’équipe de Sur Les Hauteurs dans les Pyrénées Ariégeoises, j’ai du mal à cacher mon excitation. J’associe naturellement Orlu à sa fameuse Dent, cette canine rocheuse acérée qu’on peut facilement remarquer dans le paysage malgré son altitude modeste de « seulement » 2222 mètres.
La Dent d’Orlu, un haut lieu de l’escalade, un véritable appel à la grimpe pour qui succombe au rocher comme un coeur d’artichaut
Notre randonnée de ce jour démarre depuis son pied. Elle est là, immense, géante. Je ne l’ai jamais vue d’aussi près. Une allure de forteresse, la beauté froide et minérale d’une guerrière scandinave associée à la silhouette un peu évasée d’une montagne volcanique. De la roche brute, assemblée en dalles lisses et en ravins profonds. La Dent d’Orlu fait son effet parmi le groupe.

Orlu n’est cependant pas qu’une dent. Son vrai nom est d’ailleurs Pic de Brasseil ! C’est aussi et surtout une Réserve Nationale qui a été créée en 1943 avant d’obtenir l’extension « de Chasse et de Faune Sauvage » à partir de 1988. Un statut particulier duquel découle un certain nombre de règles et de gestes à respecter au cours de sa découverte.
Dans la pratique ça signifie que des agents de l’Office Français de la Biodiversité – fusion de l’Agence Française pour la Biodiversité et de l’Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage – exercent sur les 4250 hectares de la réserve des missions de préservation durable de la faune et de la flore, d’études et de suivi de la faune et de ses habitats ainsi que de sensibilisation auprès du public et des scolaires.

Pour la faire découvrir au groupe de Sur Les Hauteurs, Éric et Philippe ont opté pour la facilité. Fi des dénivelés trop brusques, les marcheurs-ses de Puyricard emprunteront le confort roulant des Champs-Élysées de l’immense et somptueuse vallée glaciaire de l’Oriège, chapitre incontournable d’une visite à la Réserve d’Orlu.
Atteint après une ascension par un large chemin forestier, l’endroit se vit comme une rencontre avec un espace vaste et lumineux tapissé, à l’est et à l’ouest, par des versants forestiers dont le parement plus sombre tranche instantanément avec la clarté émanant des pelouses du vallon. L’Oriège, facétieuse, serpente dans le pli élargi du thalweg, à main gauche du sentier que nous empruntons.

Les prairies, surmontées de pierriers, accueillent des marmottes en alerte, dressées sur les rochers comme des suricates dans la savane. Le long de ce grand axe, véritable colonne vertébrale de la Réserve d’Orlu, des embranchements bien marqués ouvrent des portes vers des vallons adjacents. Le GR®7, rejoint peu avant la Jasse du Printemps, arrive depuis l’Étang de Baxouillade et le Donezan. « Si on le suivait, on arriverait un peu au sud des Étangs de Rabassoles où nous étions hier » indique Thierry.
Plus haut une autre trace s’échappe à travers la forêt, direction la Jasse de Delà et le GR® de Pays qui fait le Tour du Péric. Et là je réalise que je me trouve juste en-dessous de l’itinéraire suivi il y a deux ans avec ma fille et ma compagne et qui franchissait le col de Terrers avant d’infléchir vers les Camporells et son refuge. « Oui c’est ça, il est juste là, au-dessus, ton col » me confirme Éric en joignant le geste à la parole et en pointant un point, tout là-haut, au-delà du Pic des Recantous.

« Alors ça signifie que le refuge d’En Beys est tout proche ? » finis-je par demander. « Exactement. On l’atteindrait si on suivait ce chemin actuel jusqu’au bout » me confirme Thierry à son tour. Ce qu’on ne fera pas, pour respecter l’objectif « découverte facile » de l’Ariège qui caractérise ce séjour. Une Ariège souhaitée à la portée de tous.
La volonté de Sur Les Hauteurs est d’adoucir la réputation souvent sulfureuse des Pyrénées Ariégeoises que colportent – à juste titre ! – des pratiquants plus aguerris et adeptes de défis tant physiques que, parfois aussi, techniques. Rien de tout ça ici !
L’effort à fournir est minime. Pas inexistant mais raisonné. Le tout dédouané de la responsabilité du choix et de la conduite des parcours. L’Ariège (presque) dans un fauteuil donc ! C’est l’image qui me vient quand j’entends les accents chantants d’Éric et Thierry la raconter avec la passion intacte de ceux qui l’habitent et la vivent depuis longtemps.

Si atteindre le refuge d’En Beys n’a jamais été parmi les options, s’en approcher jusqu’à prendre pied sur le replat qui succède au verrou glaciaire fermant le grand vallon de l’Oriège, semble en revanche possible. Les jambes sont donc encore un peu sollicitées le temps de s’élever d’un cran par une hêtraie fraîche et accueillante jusqu’à ce petit espace ouvert au pied du Pic d’Ouxis.
Là le sentier poursuit son ascension vers l’Étang et le refuge d’En Beys, invisibles et perdus bien au-dessus, au-delà d’une barrière de rochers qu’une coulée de nuages sombres a commencé à envahir. Comme les jours précédents, au passage de la mi-journée, le temps vire au maussade, bâchant la plupart des sommets alentours. La montée ayant entamé l’endurance de beaucoup, Thierry quitte le sentier pour aller chercher un endroit plat pour le pique-nique.

Au terme d’une traversée bien moins simple que prévue, par un terrain miné de rochers à l’instabilité douteuse et truffé de trous piégeux camouflés sous le gispet, le groupe se rassemble dans un espace suffisamment accueillant pour les besoins de la pause. On y débusque un Lys des Pyrénées, 100% endémique, qui ne pensait probablement pas croiser un jour ici de représentant humain !
Davantage que de simples guides, Thierry et Éric font s’animer le paysage avec leurs explications. Ils sont notre lien avec l’histoire et la Nature des Pyrénées Ariégeoises. Une assurance de sécurité, de lâcher-prise et de connaissances nouvelles.
Pour le retour, Éric déniche une trace parallèle et plus confidentielle que le GR®, ouverte en rive gauche de l’Oriège qu’il faudra préalablement traverser. C’est l’une de ces sentes alternatives dont l’Ariège a le secret et que seule une lecture attentive de la carte et/ou une solide connaissance du terrain, permet d’emprunter. Avantage non négligeable d’un encadrement de professionnels.

Le retour s’effectue dans une ambiance collective détendue où plane la certitude muette d’une introduction au territoire des Pyrénées Ariégeoises brillamment réussie. J’ai de mon côté largement sympathisé avec mes deux guides, retrouvant en eux des points de convergence liés autant à l’amour de la montagne qu’au goût immodéré pour la plaisanterie. Des personnalités entières et loin d’être avares en partage.
Il faut toujours un peu de temps pour tisser des liens et, si j’ai appris à apprécier mes moments en solitaire sur les chemins dans le cadre de mon travail, je me réjouis d’avoir pu retrouver le plaisir du groupe dans cette ambiance gentiment familiale où quiconque se sentirait naturellement bien et à sa place. Une première expérience réussie avec Sur Les Hauteurs et que je m’empresse de recommander à qui souhaite découvrir l’Ariège en toute facilité.

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