Vélodrome d’Esclangon & Lame de Facibelle : le Bès, l’autre vallée des Merveilles

Notre première visite aux Préalpes de Digne. Venus en curieux, on repart en convertis. En nous ouvrant les portes des possibles sur ce territoire étrangement très peu visité – en comparaison d’autres parties du département – la vallée du Bès ravit par la qualité paysagère de ce qu’elle abrite. À commencer par des merveilles géologiques qui lui ont valu un classement à l’UNESCO. Le Vélodrome d’Esclangon, immense hémicycle de grès stratifié, en constitue la tête d’affiche, à jeu presque égal avec la Lame de Facibelle. Des chefs-d’œuvre naturels à admirer et à relier entre eux dans un décor grandiose dominé par la Montagne de Blayeul et la Clue de Pérouré. Difficile d’être déçu par cet extrait à l’arrière goût de « reviens-y ». Les Préalpes de Digne en ont dans le coffre et en font une démonstration plus brillante encore à l’automne. À se demander pourquoi on n’est pas venu ici plus tôt ?

Difficulté : difficile | Distance : 15 km | Dénivelé : 1000 mètres | Durée : 4h | Chiens admis : oui | Carte : IGN TOP 25 1/25000è 3440ET Digne, La Javie, Vallée de la Bléone

INTRODUCTION

On se souvient toujours des premières fois. Ce jour-là, pour Raphaèle et moi, ça en a été une. On a laissé Digne-les-Bains derrière nous depuis un moment et le seul bain qu’on souhaite prendre à ce moment précis est d’automne. Une bonne grosse plongée de saison où s’éclabousser de jaunes flamboyants, de rouges sanguins et d’oranges enflammés par la lumière rasante de cette fin octobre. On a jeté notre va-tout sur Esclangon et son Vélodrome, site géologique majeur de Haute-Provence, proche d’une autre curiosité célèbre : la Lame de Facibelle. Des noms à la toponymie évocatrice et qui reviennent régulièrement au détour des réseaux ou des magazines spécialisés. Il était temps d’aller les découvrir.

Esclangon

D’autant plus que toute cette vaste partie, qui s’étend du nord de Digne jusqu’au lac de Serre-Ponçon, encadrée à l’ouest par la Durance et à l’est par les sommets de la Montagne de la Blanche, reste terra incognita pour nous à cette époque-là. Un énorme pan de carte IGN vierge de toute visite de notre part. L’excitation de l’exploration est donc à son comble alors que nous remontons le cours du Bès, tels Livingstone en quête des sources du Nil. Et la première impression est forte. Très forte même. Le genre de spot où, avant même d’avoir démarré, vous savez que vous allez vous régaler.

Avec ses clues massives barrant l’horizon, ses sous-bois colorés aux nuances de l’automne et ses sommets couronnés de neige, la vallée du Bès offre un décor digne d’un blockbuster médiéval fantastique.

Le Bès n’est pourtant qu’un « petit » ruisseau de moins de 40 kilomètres, affluent de la Bléone, qui prend sa source sous les barres de Roche Close, là-bas vers l’Estrop et le Pic des Têtes, là où la montagne bombe déjà un peu le torse. Et pourtant, sur cette courte distance, quel spectacle déjà ! Élément central de notre randonnée à venir qui coupe l’itinéraire en deux à la perfection, le Bès, ici dans sa partie aval, est venu à bout de clues que j’ose sans risque qualifier de spectaculaires. Mention spéciale à celle du Pérouré qui semble barrer la route aux intrus, encadrée de deux piliers massifs à travers lesquels la rivière s’est taillée un passage à la serpe. Bonne pioche c’est précisément ici, un peu en amont de la trouée, qu’il faut stationner la voiture.

Esclangon

VENIR À ESCLANGON ET DANS LA VALLÉE DU BÈS

J’aimerais vous dire que la voiture n’est pas le moyen le plus facile pour venir ici et organiser votre journée de randonnée, mais ce n’est malheureusement pas le cas. À moins de disposer de temps, il faudra bien prendre le volant pour accéder au départ de cette randonnée. La mobilité douce reste surtout, comme malheureusement souvent, une douce utopie. Le point d’accès au Bès, c’est donc Digne-les-Bains, ville à partir de laquelle s’attrape la départementale 900a qui traverse toute la partie aval de la rivière avant qu’elle ne se jette dans la Bléone.

Pour rejoindre Digne rapidement, c’est l’A51, l’autoroute qui relie Aix-en-Provence à Gap. Soit la sortie 20, « Digne, les Mées » en venant d’Aix, soit la sortie 21 « Château-Arnoux » quand on vient de Gap. Digne s’atteint ensuite par la N85, directement depuis Château-Arnoux par la sortie 21 ou d’abord par la D14 et les Mées quand on prend la sortie 20. Il y a bien des bus pour aller à Digne : la ligne 33A depuis Gap, la ligne 28 depuis Marseille ou la ligne 22 depuis Avignon (deux villes desservies par le TGV). Le problème reste ensuite d’accéder au Bès. Seules options : le taxi, le stop ou la location de vélo pour rejoindre Esclangon et la clue du Pérouré.

Esclangon

LA PROMENADE D’ESCLANGON

Du parking au belvédère du Serre d’Esclangon : 2,5 km – 340m – 1h

Un peu de route nous conduit très vite au départ de la randonnée (1). Tout en douceur, le sentier bien tracé conduit ensuite en petits lacets en direction du site du Vieil Esclangon (2). On n’est pas les premiers à passer par ici : la première mention du site date en effet de 814 ! L’endroit était donc, a minima, peuplé depuis le Moyen-Âge.

Des siècles que les hommes peuvent admirer ici le travail de l’eau, entre terre rouge et grès grisonnant. Un style de paysage bien connu des géologues qui l’ont affublé du drôle de nom de molasse rouge.

Rehaussée par les teintes incendiaires de l’automne et le portail colossal de la clue de Pérouré, la zone de départ nous plonge tout de suite dans le bain qu’on était venu prendre. On en oublierait presque l’effort, aimablement modéré cependant !

Esclangon

Il ne reste pas grand-chose du Vieil Esclangon. L’exode rural a eu raison des dernières vaines résistances de ses maigres habitants : le pic démographique, pour la partie atteinte ici, se produit en 1846 avec quelques 60 personnes ! Le secteur ne brille pas par une densité folle de population. Sans doute l’une des raisons de son succès auprès des randonneurs/ses fuyant la civilisation urbaine le temps d’une journée de marche.

La vie, aujourd’hui, se regroupe au bord de la rivière, à Esclangon, fusionné en 1973 avec la commune de La Javie, histoire de contrer le dépeuplement.

Il faut aussi faire mention de l’importance géologique du lieu, inscrit dans le territoire autrement plus immense du Géoparc de Haute-Provence, objet d’un classement à l’UNESCO. Un titre prestigieux corroboré par tous les amoureux de cailloux.

Il faut dire que la géologie s’est surpassée dans la vallée du Bès. L’histoire de la surrection des Alpes s’y feuillette à livre ouvert. Et le panorama du sommet du Serre d’Esclangon (3), célèbre dans le monde entier, est sans doute le meilleur endroit pour s’adonner à cette lecture. La vue sur le Vélodrome, ce vaste bassin marin comblé, puis déformé au moment de la formation des Alpes, y est renversante.

Même si vous n’êtes pas versé dans la géologie, la découverte du Vélodrome d’Esclangon offre, à elle seule, un panorama justifiant la visite

Une demie lune aux strates parfaitement dessinées, abritant en son sein la silhouette effilée de la Lame de Facibelle, que les couleurs de l’automne et les jeux d’ombres des nuages magnifient à l’extrême. À l’extase du géologue se mêle le plaisir du photographe. Surmonté, en arrière-plan, par la Cloche de Barles, l’endroit est un chef-d’œuvre absolu.

Esclangon

DESCENTE PAR LE VALLON DU SERRE

Du bélvédère du Serre d’Esclangon à Esclangon : 3,8 km – 55mn

Attirés par les ruines de ce qui fut jadis le village, on en perd la trace des balises. Navigation à vue nécessaire pour se remettre dans l’axe de descente et viser les grandes clairières visibles en contrebas. Aucun sentier ne s’y distingue mais l’azimut est évident pour traverser cet espace et retrouver, à l’issue, un chemin d’aspect carrossable qui perd de l’altitude dans l’étroiture formée par les versants du Serre, à main droite, et de la Pierre Guerdis, à gauche. Tout en bas le chemin surgit sur une piste, au niveau de la flèche signalétique d’Aiguebelle (4). Esclangon et ses habitations ne sont alors plus qu’à 800 mètres (5).

LE BÈS, RIVE DROITE

D’Esclangon à la Lame de Facibelle : 4,8 km – 330m – 1h50

On emprunte la route par le sud jusqu’à franchir le pont sur le Bès. Une flèche signalétique dressée juste après nous expédie rapidement à nouveau sur les chemins (6). Inversion de l’effort : la pente se redresse pour rejoindre Tanaron, hameau en pleine opération rénovation (7) que des bénévoles et des passionnés s’emploient à faire revivre par l’entremise d’une association.

Un élan de solidarité aux accents d’auberge espagnole permet au petit hameau de Tanaron, depuis 1966, de s’offrir un avenir et un second souffle.

C’est aussi là qu’en 1636, un certain Pierre Gassendi, disciple de Galilée, fit, depuis le rocher qui porte aujourd’hui son nom (8), ses observations lunaires à l’occasion d’un séjour de près de six mois à Tanaron ! Qui se serait attendu à autant d’histoire dans ce petit bout du monde du Pays Dignois que l’exode rural condamnait, tout comme Esclangon, à l’abandon ?

Tanaron est également le point de passage pour rejoindre Ainac, plus à l’ouest, point de départ d’une randonnée vers la Petite Cloche de Barles ou réaliser une boucle plus longue pour Facibelle. Pris par l’horaire, on choisit le PR® jaune qui prend plein nord par un itinéraire à flanc furetant le long de la courbe de niveau. Un tronçon visuellement bluffant à cette saison avec des cadres marquants sur les grands versants occidentaux de la Montagne de Blayeul dont les crêtes sont déjà saupoudrées de neige.

Des jeux de lumières changeants habillent ce décor de roches torturées et de forêts rougeoyantes en enchantant le chemin.

Toujours très présente dans le paysage, la clue de Pérouré assène son empreinte massive dans ce morceau de vallée qui hésite entre automne et hiver. Parties émergées de l’extrémité des clues, les pointes de la Maurière et du Barri, plus loin, s’illuminent puis s’éteignent au rythme du passage des nuages. Une révélation que cet endroit. On a vraiment l’impression d’avoir fait une découverte essentielle.

Esclangon

On fait plus loin notre entrée dans le Vélodrome (9). Le belvédère du Serre d’Esclangon, où nous nous tenions plus tôt dans la journée, s’aperçoit de l’autre côté de la vallée. Aileron de requin tranchant la forêt rougie par la saison, la Lame de Facibelle déploie sa silhouette effilée dans le paysage. Le résultat d’un patient travail érosif qui a fini par dégager et figer ce reliquat de molasse marine en grès de près de cinquante mètres de haut dans sa forme actuelle.

Singulière et stylée, la Lame de Facibelle est assurément une curiosité à classer parmi les monuments historiques de la géologie.

On y passe un peu tard en journée, ne trouvant que l’ombre à photographier une fois le soleil basculé derrière les crêtes boisés délimitant l’arrondi lointain du Vélodrome. Ma petite déception du moment. Le sentier repart ensuite de l’autre côté du Ravin de l’Adret, en direction de Saint-Jean-du-Désert.

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LES DERNIÈRES SURPRISES

De la Lame de Facibelle à la Clue de Pérouré : 4 km – 340m – 1h15

Retour parmi les chênes moussus dans un sous-bois aux allures de Lorien. Le sentier disparaît presque sous un tapis marron de feuilles crénelées. Une fois les étages supérieurs du Vélodrome atteints, la vue se libère plus fréquemment sur la vallée du Bès où tombe tout en douceur le voile du crépuscule tout proche.

Dans cette obscurité grandissante, seul le sommet blanchissant du Blayeul resplendit encore comme un phare.

C’est dans cet entre-deux flamboyant, mais néanmoins éphémère, qu’on découvre la surprenante petite chapelle orthodoxe de Saint-Jean-du-Désert (10). Lors de notre passage il n’y avait pas trace de l’ermite que j’ai pu voir mentionné ailleurs sur le web. L’endroit dégage une belle énergie et incite à retenir le visiteur. Ne serait-ce l’imminence de la nuit qui cogne à la porte , je m’y serais bien octroyé une pause méditative.

Esclangon

Notre pas se fait plus alerte tandis que nous atteignons ensuite le Sanctuaire de Roche Rousse (11), œuvre d’Herman de Vries, un artiste néerlandais qui s’était piqué d’amour pour le territoire depuis son invitation du Centre d’Art de Digne en 1999. Il garnit ici de piques en fer forgé, rehaussées en leurs pointes d’or fin, les ruines d’une ancienne maison forestière dévorée par la végétation.

Saint-Jean-du-Désert, Sanctuaire de Roche Rousse : le sacré, le silence et une certaine réflexion, viennent s’inviter dans la randonnée

Une protection ? Non, plutôt une guérison, expliquera l’artiste. « Que gagnons-nous à faire un sanctuaire avec une grille plaquée d’or ? On ne gagne rien, mais il n’est pas nécessaire de toujours gagner quelque chose sur la nature. Avec cette attitude, je veux réintégrer dans cette nature la notion du sacré pour un moment de réflexion.»

Esclangon

Le sentier poursuit sa descente, dévalant au pied de hauts pins appuyés contre la barre rocheuse de Roche Rousse. Au moment d’en franchir l’extrémité, la vue s’ouvre une dernière fois sur Blayeul, dont le sommet a désormais été pris par la nuit. Un mince filet de lumière s’étrécit quelques secondes dans le versant en dessinant un triangle de roux incendiaire.

Dernier baroud d’honneur du jour qui tire ensuite sa révérence pour laisser la vallée du Bès aux mains glaciales de la nuit

Les derniers mètres de descente s’effectueront au pas cadencé dans des sous-bois grignotés par les ombres froides du couchant. Le sentier débouche en amont de la clue (12) et il restera un peu moins de 800 mètres à faire sur la route pour finalement rejoindre la petite aire de stationnement du début.

Esclangon

LA CARTE & LE TRACÉ DE L’ITINÉRAIRE

Les chiffres font référence aux indications données en rouge dans le texte de l’article.

ESCLANGON & LA VALLÉE DU BÈS : L’ESSENTIEL

Étonnamment peu valorisée par son propre territoire d’appartenance – le Verdon, Allos et Valensole semblant les seuls légitimes à représenter les Alpes-de-Haute-Provence dans les médias – la vallée du Bès et plus généralement les Préalpes de Digne constituent un secteur gratifiant pour les randonneurs. Décor, isolement, points de vue, qualité des sentiers… Tout contribue ici à rendre intense l’expérience des marcheurs.

Un vrai bon outsider de moyenne montagne où la curiosité est très souvent source d’excellentes surprises.

Dans cette boucle on retiendra le belvédère du Serre d’Esclangon sur le Vélodrome qui constitue à lui seul un but valable de randonnée. Tout comme la Lame de Facibelle, à découvrir au moins une fois depuis les hauteurs du Vélodrome. Mention spéciale à la petite chapelle très confidentielle de Saint-Jean-du-Désert. Finalement très peu de choses à jeter sur cet itinéraire ni trop dur, ni trop long mais un poil sportif.

Esclangon

Remarque : les informations données dans ce topo engagent uniquement la responsabilité de l’utilisateur/rice sur le terrain qui saura les adapter à son niveau et à son expérience. Carnets de Rando ne saurait être tenu responsable de tout accident survenant suite à un mauvais usage de ce topo ou à une mauvaise appréciation du niveau du/de la pratiquant(e) par rapport à celui requis. Je ne suis par ailleurs pas en possession de la trace GPX de cet itinéraire : merci de ne pas me la demander !
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6 Comments

  1. THEVENIN dit dani 13 Répondre

    Nous avons, mon épouse et moi, beaucoup apprécié cette randonnée et ces panoramas spectaculaires en fin d’été il y a quelques années à l’occasion d’un séjour à Digne pour une cure thermale; j’approuve tout ce que tu exprimes dans ce compte-rendu lyrique et si bien écrit ! Salutations de randonneurs provençaux .

    1. carnetsderando Auteur de l'article Répondre

      Bonjour Daniel et merci pour ce retour qui confirme le ressenti que peut avoir le randonneur en visite sur Esclangon et la vallée du Bès. On a vraiment été enchanté par cet endroit. Content de pouvoir enfin le partager sur le blog depuis tout ce temps ! À la prochaine 😉

  2. DELMAS Thierry Répondre

    Bonjour David.
    Un bel article qui donne envie d’aller se « perdre » sur ces sentiers peu fréquentés.
    Heureusement qu’il en existe encore pour retrouver « le chant du monde ».
    Encore une fois merci et à bientôt.

    1. carnetsderando Auteur de l'article Répondre

      Salut Thierry et merci pour ton petit commentaire sympa ! C’est un très chouette coin en effet qui ne peut pas laisser le visiteur indifférent. Surtout à cette époque de l’année, c’est du grand spectacle ! À bientôt 😉

  3. Pat Au Logis Répondre

    Bonjour David,
    Tes photos sont magnifiques et à te lire je comprends que tu es aussi sensible que moi au charme de ces lieux. Voilà un peu plus de 2 ans que j’ai quitté l’Alsace pour m’installer dans le 04, et je suis loin de le regretter 😉

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