Randonner dans les Ecrins c’est, chaque fois, l’impression d’entrer au royaume des géants. Ici les courbes douces de l’Oisans s’effacent pour laisser apparaître des montagnes à l’allure altière et redoutable. Pour le marcheur, souvent cantonné à basse altitude, c’est le pays des inaccessibles. A moins de s’offrir une envolée par quelques chemins oubliés pour goûter à la solitude de l’altitude et, en même temps, approcher de plus près ces titans de glace qui constellent le massif. C’est ce que je vous invite à faire aujourd’hui avec cet itinéraire sportif vers la Cime du Pied de Barry.
Difficulté : difficile | Longueur : 15 km | Durée : 7h | Dénivelé : 1565m
– INSTANTANE –
[dropcap]U[/dropcap]ne aube grise peine à se lever lorsque je commence à marcher. La barrière des Ecrins commence à apparaître sur un ciel à peine lumineux. Des ombres immenses dressées au-dessus de moi dont les détails abrupts se révèlent seconde après seconde après avoir été effacés par la nuit. Le son du Vénéon devient de plus en plus diffus jusqu’à ne plus être qu’un bruit de fond. J’arrive au hameau de Lanchatra, une forme de mémoire de la vie des siècles passés dans les Ecrins. Un rassemblement de quelques maisons posées au pied de la Coche et serrées les unes contre les autres comme pour se tenir chaud. Plus personne ne vit ici mais des gens viennent encore habiter quelques semaines par an ces demeures bien entretenues. Au-delà, le passage se fait rare, la pente se redresse et quelques escarpements rocheux doivent être franchis. Pas ou peu de cairns. Maintenant que la clarté froide de la nuit est écartée, les glaciers se mettent à étinceler. Une section pleine d’ampleur, ébouriffante, qui plonge le marcheur dans l’atmosphère alpine des Ecrins en le rapprochant de la frontière de la haute montagne et d’une impasse à venir sous les chaos rocheux de la Roche de la Muzelle. La neige est au rendez-vous au-dessus de 2300 mètres. Les glaciers semblent à porter de main, les crevasses ne sont plus un détail indistinct mais une présence bien réelle. A 2637m, j’atteins les limites de la randonnée et peux enfin profiter d’une vue spectaculaire sur les Ecrins.
L’automne est une saison de rêve pour rendre visite aux Ecrins. Un vent de solitude souffle sur ces vallées et ces sommets qui conquiert le coeur du randonneur dans l’instant. Je me sens minuscule sur ce chemin étroit qui se taille un passage sur les flancs pentus de la Coche, englouti par une montagne qui me fait forte impression. Il y a comme une délicieuse sensation d’être privilégié quand on est là-haut
A l’ombre de La Roche de la Muzelle, j’admire la Tête de Lauranoure qui domine le vallon de la Pisse. Au-delà de la crête du Montagnon, qui la relie à la Tête de Salude, la masse de la Barre des Ecrins écrase l’horizon. Avec le Dôme de Neige des Ecrins, c’est le seul sommet de plus de 4000m du massif, et aussi son point culminant. Dans le fond du vallon de la Selle, je reconnais également la face sud de la Meije, un vieux rêve pour moi. Côté Muzelle, ce sont les sommets de la Muraillette et du Pic du Clapier du Peyron qui dominent le paysage. Ici aussi la neige leur confère un soudain air d’invincibilité. A côté, Belledonne, au loin, ressemble à de la moyenne montagne ! Je respire un grand coup l’air des sommets avant d’avancer un oeil douteux dans une barre rocheuse inhospitalière où un cairn m’invite à descendre. Pendant ma progression, une harde de chamois virevolte en une farandole nerveuse. Leur ronde moqueuse me laisse sur place, spectacle insolent d’une nature souveraine en ces hauts lieux où l’homme, de passage, n’est que momentanément toléré. Après quelques glissades, je rejoins la sérénité du refuge de la Muzelle. Au pied du sommet et de ses énormes séracs, le refuge et le lac respirent la montagne et sont envahis par le bruit des sonnailles et des bêlements de centaines de brebis. Un spectacle apaisant après ces aventures au Pied de Barry. Une pause fraîche et bienvenue avant de reprendre ma route en direction de Bourg-d’Arud. Mille mètres de dénivelé à venir dans un splendide vallon jalonné de cascades. Je ne pouvais pas mieux rêver pour terminer cette journée de randonnée fleuve !
– INFOS PRATIQUES –
Carte : IGN 1/25000 TOP25 3336ET Les Deux Alpes actuellement 11,90 euros sur Un Monde-Montagnes
Accès : en voiture, de Grenoble – accessible par A49 depuis Valence, A48 depuis Lyon et A41 depuis Chambéry – suivre la direction Gap puis prendre la sortie 8 « Vizille, Stations de l’Oisans ». Suivre la N85 jusqu’au rond-point à l’entrée de Vizille et tourner à droite, direction Gap. Poursuivre tout droit sur la D1091 direction « Briançon, Bourg-d’Oisans ». Atteindre et dépasser Bourg-d’Oisans et continuer direction Briançon. Juste avant le départ du col du Lautaret, quitter la D1091 à droite, direction Venosc. Atteindre et dépasser Venosc, puis Bourg-d’Arud. S’élever moins de 3 km après Bourg-d’Arud. A Plan-du-Lac, avant le pont, se stationner à droite ou à gauche de la route.
Topo : emprunter le sentier qui part en rive gauche, direction « Lanchâtra ». Il longe puis s’élève au-dessus du Vénéon. A la première intersection, monter à droite, direction Lanchâtra, par un petit sentier sinueux. Rejoindre et traverser le hameau (1). A sa sortie, suivre à droite l’indication « Pas de la Coche (sentier escarpé) ». S’élever franchement à travers la forêt puis à travers une série de banquettes rocheuses et herbeuses (câbles parfois, montée raide). Rejoindre ainsi un replat 200m sous le sommet de la Coche (2). Se diriger à gauche, en s’élevant légèrement pour atteindre le versant est du sommet et suivre le sentier qui le traverse (prudence, glissant et peu protégé par endroit). Après un épisode à flanc, le chemin s’élève jusqu’au col de la Coche (3). De là, emprunter une vague trace qui lui fait suite sur l’arête se dirigeant vers le sud-ouest. Elle atteint un passage plus étroit, sur le fil de deux versants glissants (4). Au-delà continuer dans le même axe jusqu’à la Cime du Pied de Barry (5), où on trouve une sorte de terrasse confortable avec un cairn (ne monter pas au-delà, le sommet est bien ici !). Pour basculer de l’autre côté, redescendez légèrement sur vos pas, en ne vous éloignant pas de la crête, jusqu’à trouver un cairn assez gros (à hauteur des genoux) qui marque l’endroit où s’engager dans les barres rocheuses. Passage un peu délicat (surtout si enneigé) à négocier à l’instinct pour trouver les meilleurs passages et rejoindre ainsi l’épaule herbeuse en-dessous. De là suivre un sentier non balisé mais bien visible qui arrondit jusqu’aux grands replats plus bas et rejoint les abords du refuge de la Muzelle (6) (descendre à gauche pour le rejoindre). De là, descendre par la droite, via un sentier ponctué de marches jusqu’à rejoindre un beau vallon où coule un torrent (7). Le sentier suit ensuite le fil du torrent jusqu’à Bourg-d’Arud. A noter que cet itinéraire a fait l’objet d’un reportage dans l’excellent hors-série de Montagnes Magazine #405 signé Pascal Sombardier de juillet 2014.
Notes : la Cime du Pied de Barry n’est pas une randonnée de tout repos. Elle s’adresse à des randonneurs capables de s’avaler 1500m de dénivelé sur un terrain exigeant et de garder derrière assez de jus pour en redescendre 1700… Par ailleurs, deux passages requièrent de l’attention et une certaine expérience. Le premier au niveau de la crête effilée, au-dessus des bancs de marne. Si le sol n’est pas sec, l’exercice est très délicat. Des bâtons peuvent être utiles. La descente en face ouest est également scabreuse. Ne descendez pas n’importe où ! Assurez-vous de la présence du cairn mentionné dans le topo ! Pour le reste, c’est beaucoup d’endurance et l’habitude de progresser sur des sentiers pas forcément confortables. Il y a de l’eau à Lanchâtra et également au refuge de la Muzelle. Randonnée à éviter si la neige descend en-dessous des 2000 mètres. Pour le retour, si vous n’avez pas prévu deux voitures, il vous faudra soit faire du stop, soit marcher (+ 2km et +200m) pour revenir à Plan-du-Lac.
Les hébergements : je suis venu en aller-retour de mon domicile drômois pour ce reportage. Pour les randonneurs qui souhaitent dormir sur place avant, pendant ou après, voici différentes pistes : le refuge de la Muzelle évidemment pour couper la randonnée en deux et profiter d’une nuit en montagne, le gîte de Plan-du-Lac qui est directement au départ de cet itinéraire ou encore la solution de dormir sur Venosc. Dans ce cas, se renseigner auprès de l’office de tourisme.
Bibliographie : L’Isère… à pied : l’indispensable topo-guide pour aller plus loin dans la découverte des sommets de ce département. Accompagnés de leurs cartes et d’informations, voici 38 itinéraires de randonnées en Isère, notamment plusieurs dans le Trièves tout proche. Prix indicatif : 14,5 € | Le Guide Rando Ecrins : un beau topo signé par Fred Chevaillot, un spécialiste du massif et un fin connaisseur de la montagne, qui propose de beaux itinéraires en Valbonnais, Valgaudemar, Champsaur et vallée du Vénéon ! Prix indicatif : 17,90 €
EN BREF
Un itinéraire de montagne comme on les aime : isolé, sauvage, exigeant. Un peu d’adrénaline en bonus. Il faudra être à l’aise dans le scabreux pour basculer côté Muzelle et avoir le pied sûr pour franchir le passage étroit en crête. Et puis aussi avoir la forme pour boucler ce parcours qui vous occupera entre 7 et 8 bonnes heures ! Mais quel pied !
Ce reportage Carnets de Rando, sous licence Creative Commons, est la propriété exclusive de Carnets de Rando. Son usage à des fins non commerciales est autorisé à condition de mentionner son appartenance au site www.carnetsderando.net. Pour toute autre utilisation, merci de me contacter.
Ah! Quels souvenirs vous avez réveillés en moi,Cher David. Nous n’avions fait que le sommet de la Coche mais nous nous étions presque fait peur dans les quelques dizaines de mètres de ce passage un peu scabreux pour arriver au col.A cet endroit où figurait encore un gros névé nous avions eu la surprise de rencontrer une jeune vipère complètement transie de froid…Cette petite balade n’a rien à voir avec la votre,à part le début de l’itinéraire,mais le point de vue depuis le sommet de la coche mérite bien le petit effort,et j’ai pu ramener quelques belles diapos car en ce temps là n’existait que l’argentique…Retour par le même chemin.C’était fin 70 ou début 80.Un grand merci de nous faire profiter de toutes vos belles randonnées.
Bonjour Jacques ! Merci pour votre commentaire et pour ce souvenir de randonnée ! A cette époque, j’imagine que la route menant à La Bérarde, le long du Vénéon, ne se réduisait qu’à sa plus simple expression ! Le sommet de la Coche est déjà, en soi, un bien bel objectif de randonnée et propose une ascension sportive et exigeante. Les Ecrins sont magnifiques et c’est toujours une belle récompense après l’effort de les découvrir d’en haut !
Effectivement,la route passait « par le haut » et il y avait par endroit quelques garages pour pouvoir se croiser…A La Bérarde,il n’y avait pas l’immense parking.Mais rien de dissuasif pour les randonneurs amoureux de la montagne que nous étions (et sommes encore,mais l’age est venu de se mettre en mode spectateur…) et spécialement de l’Oisans.Profitez bien,pendant que vous êtes en pleine forme.Cordialement:JP
*
Plus de mots tellement trop beau de voir tout çà depuis le temps et surtout – peut-être- devras tu désormais avoir des bâtons. etc………. J’ai eu peur pour toi ……..mais que ce fut pour moi et tu le sais un endroit que j’adore et ce Vénéon que j’ai vu et les villages passés , as tu pris la route de la Bérarde?
Juste que ne trouvant pas mes mots , je dis BRAVO et encore un Carnets de Rando absolument
MAGNIFIQUE et merci de ce Cadeau pour moi car même les larmes aux yeux, c’est du BONHEUR <3 <3 <3
Merci beaucoup David pour cette belle parenthèse entre ciel et terre!! Un mot me vient à l’esprit: le Sublime…
Je ne sais plus quel penseur a écrit que « la beauté de la Nature est une expression du Sublime », eh bien en découvrant ces images, on est plein dedans!!
Un très beau souvenir…
Bravo pour ton site
Amitiés,
François
Eh bien voilà un commentaire qui me va droit au coeur en cette fin de journée d’octobre. Merci beaucoup François ! Comme je le dis souvent, c’est la Nature qu’il faut remercier pour tant d’inspiration et surtout tant de beauté. Je ne suis jamais autant inspiré qu’en montagne. Vivement les prochains tournages là-haut !