Le Palastre, ça a l’air d’être ce genre de sommet, ici dans le Champsaur, qu’on va vite grimper quand on est un peu pris par le temps. Un bol de montagne rapide au prix d’un effort modéré pour profiter d’une vue sur la partie amont de la vallée du Drac, avec l’horizon de la Provence d’un côté et la muraille des Écrins de l’autre. Un coin un peu intime que semblent néanmoins affectionner les locaux et dont la connaissance doit très probablement n’être partagée qu’avec une retenue de circonstance. Je m’y suis retrouvé un peu par hasard, sans véritable préméditation. Le Palastre cochait ce jour-là toutes les bonnes cases sur le papier. Je n’en attendais pas tant que ça, aussi la surprise n’en fut que plus grande. Retour en récit sur cette première rencontre inspirante.
Difficulté montée : moyen | Niveau ski : assez facile | Distance : 7,5 km | Dénivelé : 680 mètres | Durée : 3h45 (raquettes) – 3h (ski de rando) | Carte : IGN TOP25 1/25000è 3437OT Champsaur
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LE CHAMPSAUR : DESTINATION DE L’ANNÉE 2024 ?
Il est décidément écrit que, cette année, le Champsaur sera notre nouvelle terre d’accueil en matière de randonnée. Pas une semaine qui ne passe, ces derniers temps, sans décider d’en faire le décor d’une de nos sorties. Je réalisais à quel point j’étais passé tout ce temps à côté de cette enclave abritée entre les Écrins sud, au nord, et la ligne de sommets du Gapençais, au sud.
À l’exception d’un bivouac en famille au-dessus de Prapic, il y avait déjà quelques années (non publié sur le blog, NdR), force était d’avouer que, à l’exception du Vieux Chaillol, je n’en connaissais pas grand-chose et que j’étais bien incapable, jusqu’à encore très récemment, de citer ou de situer tout autre sommet de ce petit massif des Alpes du Sud.
Le Champsaur quand, comme nous, on montait de Provence à la journée, se révélait en fait une destination de proximité incroyablement riche de possibles
C’est probablement l’ascension de la Grande Autane – pas encore partagée sur le blog – elle même imaginée après celle du Piolit – absent également, faute de temps pour la rédiger – qui a conduit mon regard à se poser plus au nord, sur ces contreforts méridionaux des Écrins qui encadrent la vallée de Champoléon.
Et, sans doute un peu aussi, ces pénibles contraintes de temps qui me poussent constamment à chercher des objectifs de ski dans un rayon n’excédant pas les 2h30 de voiture autour de la maison. Un critère qui exclue immédiatement de l’équation tout ce qui se déploie malheureusement au-delà d’Embrun.
C’est de cette manière que j’ai fait la connaissance – sur les cartes d’abord – avec Soleil Boeuf, la Pointe sud de la Venasque ou le sommet du Palastre, qui nous intéresse ici. Tout un secteur dont la cartographie ne permet pas vraiment d’envisager la véritable ampleur, ni ne révèle l’immense intérêt pour le randonneur hivernal, qu’il soit à ski ou à raquettes.
C’était un secret bien gardé, qui semblait faire la part belle à la forêt, au point de laisser croire qu’il ne restait plus grand chose à faire et à voir une fois sa lisière passée. Une grossière erreur car c’était en fait tout l’inverse : on y venait en curieux et on repartait conquis, avec foule d’autres objectifs en tête. Mais ne brûlons pas les étapes et revenons-en d’abord au départ et au Palastre.
LE PALASTRE : HISTOIRE D’UNE COURSE SORTIE DU CHAPEAU
Je n’ai pas souvenir d’être jamais parti aussi tard de chez moi pour aller en montagne. Dix heures approchaient qu’on passait seulement la barrière de péage de Meyrargues, sur l’A51…
Là vous auriez le droit de me dire que, à cette heure-là, il aurait été préférable d’être en train de coller nos peaux sur nos skis plutôt que de brandir un télépéage. Je le savais bien et j’étais le premier que ça gonflait.
Le fait était que Raphaèle et moi nourrissions tous les deux une passion éloignée de notre lieu de vie et qu’on l’assouvissait tant bien que mal avec des contraintes de parents.
On avait ainsi appris à se résoudre à faire au mieux et à garder à l’esprit que ces départs tardifs avaient forcément un impact sur le choix de notre course et, éventuellement aussi, sur sa qualité.
Le début de l’hiver 2024 n’avait rien de folichon ici, dans le sud de la France, et les spots les plus proches étaient à peine suffisamment blancs pour la raquette. Le Cheval Blanc portait à peine bien son nom et les Préalpes de Digne simulaient tant bien que mal une allure de saison. Pas question d’espérer y skier sans touchette, voire pire.
La neige ne s’apercevait pas avant le Dévoluy et les Écrins, à l’horizon. Après Gap, j’avais donc mis le cap sur le col de Manse, sec lui aussi, pour basculer ensuite côté Champsaur et rejoindre Pont-du-Fossé. Dans l’ombre du Cuchon et de la Petite Autane, la bourgade de fond de vallée était privée du soleil qui inondait généreusement les pentes sud.
À sa sortie, je laissais le Drac et la départementale filer vers Prapic, pour grimper près de 400m au-dessus, jusqu’aux Richards. C’était la première fois que je venais ici. Une route, parfois étroite, se tortillait vigoureusement vers le petit bourg en traversant de minuscules hameaux isolés.
Elle se séparait plus haut pour atteindre soit le Plateau de la Coche, d’un côté, soit une épaule ensoleillée, de l’autre, qui n’allait pas plus loin que des exploitations agricoles une fois dépassées les quelques maisons des Richards. Un parking étonnamment bondé la clôturait, prolongé par un chemin pastoral interdit à la circulation.
Au-dessus, une rangée de sommets enneigés semblaient nous dire que nous avions fait le bon choix en venant ici. Un coup d’oeil à la montre indiquait qu’il serait bientôt midi. J’avais eu peur de partir tard mais, en constatant que d’autres voitures continuaient régulièrement à arriver, je réalisais qu’on ne serait pas les seuls à prendre le créneau de l’après-midi. Rassurant.
Je jetai un regard au Palastre, parfaitement identifiable depuis le parking, tout en collant mes peaux. Ce n’était pas tout à fait le hasard qui m’avait conduit ici : le retour de moins de 24h d’un utilisateur de Skitour m’avait en effet permis d’y jauger en amont des conditions potentiellement favorables pour le ski. L’occasion faisait donc le larron.
Il fallait concéder au lieu une exposition favorable et lumineuse. Sans oublier, ainsi que nous le découvririons, un éventail des possibles ouvrant la porte à plus d’une seule visite. À se demander comment je n’en avais pas eu connaissance plus tôt ?
Comme vous le savez peut-être, si vous suivez régulièrement Carnets de Rando, mes choix de courses hivernales sont toujours assujettis au niveau de ski hors piste encore très débutant de Raphaèle. Dans la mesure du possible, je ne validais donc que des itinéraires permettant une descente cotée 2.1 à 2.3 – facile donc – sur des pentes dépassant rarement les 30°.
Je m’efforçais, par ailleurs, de ne pas excéder les 1000m de dénivelé afin de rester cohérent avec nos histoires de départs tardifs. Et si, au passage, je pouvais nous offrir un petit sommet, c’était la cerise sur le gâteau.
Le Palastre, auréolé d’une étonnante skiabilité selon le récent rapport de Skitour, cochait absolument toutes ces cases. Il m’apparut ainsi comme le candidat idéal pour cette sortie hebdomadaire qui nous donnerait l’opportunité de poursuivre notre exploration du Champsaur. Et, pour ce que j’en voyais depuis la voiture, ce choix m’apparaissait carrément pertinent.
CHOISIR LA BONNE TRACE
Je m’attendais à un peu de portage avant de pouvoir chausser. On flirtait ici à peine avec les 1500 mètres et une végétation hirsute transperçait encore largement des paquets de neige humide malmenés par la douceur de l’air.
Pourtant, avec un peu d’audace et à condition de ne pas avoir trop peur pour ses peaux, partir à ski dès le départ pouvait s’envisager. Bénis étaient ces fragiles centimètres déposés lors d’une récente livraison de neige nocturne ! J’en mesurais la toute juste suffisance mais mieux valait ça qu’un démarrage avec mes Bandits B3 de 5 kilos sur l’épaule !
Des flocons rebelles étaient à la lutte pour maintenir ouverte une ligne d’ascension étroite et précaire sur la route pastorale des Bayles : pas grand-chose assurément mais qui devrait cependant suffire pour éviter le portage
Le choix s’avéra judicieux à condition d’aller chercher la neige là où il y en avait le plus et de se la jouer « patte douce » quand ça devenait limite. On pouvait alors facilement couvrir les cinquante premiers mètres délicats et atteindre la partie supérieure du chemin où la neige tenait mieux.
Je n’ai pas écrit « bien » mais « mieux » ce qui valait toujours plus que ces premiers mètres balbutiants. La neige avait ici imprimé le dessin du chemin davantage que celui des bordures et c’était donc un tapis blanc royal qui déroulait devant nos spatules, assurant une progression à skis étonnamment fluide . Du moins jusqu’au gué (1).
C’était l’un de ces torrents anonymes qui dévalaient depuis le versant sud de la Pointe Prouveyrat et qui inondait la route pastorale en rendant le passage les pieds dans l’eau inévitable. Le topo conseillait de dégager ensuite à droite après le gué, pour rejoindre plus haut la trace du chemin d’été remontant vers la cabane de Pierre Drue.
Je tournai la tête vers le skieur à l’allure dynamique qui nous avait dépassés dès le départ, tout à l’heure. Lui était en train de franchir le haut d’un talus autour duquel s’enroulait plus loin la piste. Tout semblait plus blanc de ce côté et j’eus envie de faire le pari de le suivre.
J’avais du mal à repérer une quelconque possibilité de trace dans ce versant insuffisamment enneigé et tapissé par ce qui ressemblait à des bouquets de bruyère. Il allait sans doute falloir imaginer une autre solution.
Raphaèle se cala dans la trace qu’il avait laissée derrière lui, coupant ainsi court au chemin pastoral et en atteignant plus rapidement l’extrémité. Celle-ci, une fois le talus dépassé, se matérialisait à quelques mètres de là par une barrière en bois.
Mon « lièvre » n’avait pas été jusque là : je le repèrai déjà haut dans les pentes s’élevant, à droite, au-dessus d’un thalweg au fond duquel cascadait un petit torrent. On lui emboîta les peaux à l’endroit même où il avait quitté le chemin (2).
Nous n’étions pas du tout sur le tracé de l’IGN, pas plus que dans le descriptif du topo. L’alternative ne paraissait pour autant pas mauvaise. Le versant semblait « safe » et la trace, propre et intelligente, en escaladait habilement le relief à grand renfort de courbes dont certaines, parfois physiques, flirtaient avec la conversion.
J’ahanais plus que de coutume ce jour-là, incapable de maîtriser l’emballement inédit du cardio. Mon souffle, subitement court, ne semblait plus m’appartenir. Raphaèle, qui me distançait sans effort, s’en étonna à chaque pause qu’elle faisait pour m’attendre. « Ça va ? » s’inquiétait-elle. Oui. Enfin non.
Je me sentais vidé de mes forces. J’aurais pu m’endormir là, dans la neige, si on me l’avait demandé. Une forme bancale qui ne rognait cependant pas sur mon mental. « Ça va le faire », répondis-je après avoir repris mon souffle. « Je prendrai le temps mais je vais y arriver », dis-je en pointant de la tête la croix sommitale du Palastre qu’on apercevait maintenant quelques trois cents mètres plus haut.
LA ROUTE VERS LE SOMMET
La pente s’essoufflait elle aussi, un peu avant que la trace ne vienne se percher sur l’épaule formée au-dessus du point coté 1945 (3). La vue s’ouvrait à cet instant généreusement vers l’est, dévoilant le large arrondi, tendu comme un arc, entre la Pointe Prouveyrat et la Pousterle Poine.
Je désignai à Raphaèle une série de points mobiles en train de couper au-dessus des ravines sud de la Pointe Prouveyrat pour aller rejoindre, plus loin, de belles pentes vierges de toute trace. C’était un groupe de skieurs visiblement débrouillés et parés pour aller tracer de la courbe.
Vu de loin le spectacle des skieurs fendant la poudreuse nous apparaissait comme si les pointes de plusieurs stylos dessinaient ensemble des arabesques à même le flanc de la montagne
Un premier, en mode éclaireur, engagea la descente et, en trois gros virages bien larges, dévala une centaine de mètres d’un coup. Le reste se dispersa à sa suite, cherchant sa propre ligne, ici une godille sportive, là de grands « S » appliqués.
« C’est pas moi qui risque de descendre comme ça… » ironisa Raphaèle que le spectacle projetait déjà dans le stress de la descente. Rien n’avait changé depuis le col Tronchet et on savait tous les deux que la descente, pour elle, n’était pas encore ce moment de plaisir attendu par la plupart des skieurs/ses de randonnée.
La trace s’incurvait maintenant à gauche pour se perdre dans les moutonnements du versant oriental du Palastre et convoquer à nouveau l’effort de l’ascension. Tout ici était soudain beaucoup plus blanc et le sillon de la trace surnageait dans une étendue de poudreuse au charme géométrique.
En s’élevant vers le sommet, les frontières de l’espace où nous évoluions reculaient au-delà d’un immense vallon de pentes douces, nouvellement apparu, que fermaient les sommets de Soleil Boeuf, d’un côté, et de la Pointe sud de la Venasque, de l’autre.
Sans l’avoir eu devant les yeux, ici et maintenant, je n’eus jamais soupçonné ni la nature accueillante, ni la qualité des itinéraires de ces grands espaces où le plaisir des skieurs s’imprimait en courbes joyeuses sur un manteau neigeux doux et immaculé.
Je n’en revenais pas de l’inattendue et subite qualité de cette neige qui faisait jaillir instantanément devant nous l’imagerie de l’hiver, absente sous les 2000 mètres. De nouveaux objectifs s’y révélaient naturellement que nous ajoutions mentalement à notre liste d’envies.
La route vers ces sommets était néanmoins plus longue que celle vers le Palastre et je fis un signe de tête négatif à Raphaèle qui tournait vers moi un regard plein de convoitise et d’espoir. « Il est déjà tard », dis-je. « On se les note pour une autre fois où on pourra partir plus tôt, voire dormir sur place la veille. »
L’endroit semblait assez fréquenté ainsi qu’en témoignaient de nombreuses traces. Ce jour-là nous y croisions autant de skieurs que de randonneurs à raquettes, tous émoustillés par la beauté du lieu et par la neige, abondante et incroyablement bonne.
La trace quitta ensuite l’ombre projetée du Palastre pour sortir au soleil au niveau d’un col et d’un poteau signalétique (4). C’était un point de convergence pour de nombreux usagers qui montaient au sommet ou qui poursuivaient/venaient vers/depuis le fond du vallon.
Derrière nous les derniers mètres du Palastre s’incarnaient en une bosse étroite et sensiblement plus raide qui impressionna Raphaèle.
« Je sais pas si je saurai descendre ça » glissa Raphaèle avec une pointe d’inquiétude dans la voix en se tournant vers le cône sommital du Palastre. La question se posait, évidemment, mais la frustration de manquer le sommet pour quelques mètres serait trop forte. « On fera du dérapage s’il faut », répondis-je en espérant la rassurer tout en donnant le coup d’envoi du dernier effort.
Escaladant l’arête nord du Palastre, l’accès se montra plus retors que je ne l’aurais imaginé et nécessita une salve de conversions rapprochées dans une pente plus marquée qui mit Raphaèle en difficulté.
Passé en soutien derrière après avoir laissé passer un trio de skieurs plus à l’aise, je profitais des temps d’arrêt imposés pour glaner en face est des indices sur l’itinéraire le plus adéquat à la descente. Quelques pistes mais rien de concluant. Il allait falloir voir ça le moment venu.
Je repris l’ascension : Raphaèle s’était libérée des dernières conversions les plus techniques et progressait à nouveau facilement jusqu’au sommet tout proche (5). Moins protégée, la neige était ici plus dure et compacte, généralement croutée sous l’action conjuguée du froid et du vent.
D’autres skieurs, en train de dépeauter, étaient également présents, portant à huit – plus un chien – le nombre de personnes au sommet. Presque trop pour l’espace restreint du Palastre, barré au nord par de brefs gradins rocheux et, à l’ouest, par un versant abrupt et hostile n’autorisant aucun passage. Sourire aux lèvres, Raphaèle embrassa du regard ce nouveau panorama.
TOUR D’HORIZON DEPUIS LE PALASTRE
On se tenait ici à 2279 mètres d’altitude. Vers le sud, la plaine avait des allures de printemps. Tout comme le Buëch, les Baronnies et les reliefs préalpins courant par-delà la Montagne de Lure jusqu’au Mont Ventoux.
Les choses s’amélioraient en remontant la vallée du Drac où on put identifier quelques sommets familiers parmi lesquels la Grande Autane et le Garabrut, derrière lequel on ne parvint cependant pas à deviner un seul centimètre de la Pointe de la Diablée. Seul le Mourre Froid émergeait timidement.
Dans l’axe de Prapic, Raphaèle me désigna un petit cône qui émergeait d’une tête au-dessus des autres. Je misai sur le Petit Pinier, mais sans la moindre certitude. En bouclant progressivement derrière la Prouveyrat, le Champsaur laissait la place aux Écrins.
« La Cédera ! » s’exclama Raphaèle avec enthousiasme. Oui, en effet, c’était bien elle et, immédiatement, les souvenirs de notre trek de cet été et du bivouac posé au bord de son petit lac affluèrent. « Et là le Sirac. », ajoutai-je en désignant la table sommitale morcelée du célèbre sommet et de notre ascension avortée l’accompagnant.
Côté nord, le Vieux Chaillol faisait de l’ombre au pic de Mal Cros. Plus accessible, plus renommé, plus iconique, il était, lui aussi, sur notre liste d’objectifs hivernaux. Mais le dénivelé conséquent requis, inadapté à nos contraintes horaires, nous contraignait pour l’heure à nous contenter de le caresser du regard.
Le tour d’horizon s’achèvait avec le Dévoluy, à l’ouest, immédiatement identifiable avec son massif plateau de Bure.
À L’HEURE DU CHOIX DU BON SCÉNARIO DE DESCENTE
« Et nous ? On descend par où ? », m’interrogea Raphaèle en finissant de se préparer. La question n’était pas anodine et je savais qu’elle attendait une réponse sûre de ma part, à même de la rassurer. Je n’étais pas très chaud pour la partie à l’ombre où se concentraient, sur la seconde moitié de la descente, des mélèzes et des courbes de niveau plus resserrées.
Jouer la sécurité du terrain connu en suivant notre trace d’ascension était également envisageable mais la partie inférieure, plus sèche et plus raide, me faisait hésiter. Il restait alors l’axe nord-ouest, par une série d’étagements bosselés, un peu plus au nord que le chemin d’été, où j’avais vu s’engager un couple de skieurs tout à l’heure.
Nous étions maintenant seuls au sommet. Les deux groupes avaient déjà filé depuis un moment sous le Palastre, les uns pour rejoindre ces agréables vallons où nous avions fait la trace à la montée, les autres ayant tiré plus au sud pour tenter leur chance dans les versants à l’ombre plus méridionaux du flanc est.
La neige y avait l’air bonne, la pente modeste et la direction semblait conduire vers cette belle pente qui prenait le soleil, de l’autre côté du thalweg séparant en deux le vallon, où des serpentins laissés par le passage de plusieurs skieurs se montraient rassurants quant à la skiabilité.
Dans les trois cas, il allait falloir de toute façon mettre derrière nous la descente de la couronne sommitale. Autrement dit ce qui, je le pensais, allait s’avérer le plus raide et le plus délicat de toute l’entreprise. Autant s’en débarrasser tout de suite. « Par là ! », criais-je. « Suis-moi ! »
Je me laissai un peu glisser sur les carres vers l’endroit où la rupture de pente était la plus nette. Ce qui correspondait à peu près à l’endroit où s’arrêtait le soleil. Sous cette frontière, la pente forcissait et une couche de neige épaisse recouvrait, au nord-est, un versant piqueté de rares mélèzes maigrichons.
Mes premiers virages étaient, moi aussi, toujours un peu hésitants et je ne me sentais guère de mettre mes lourds B3 dans cette pente où je risquais de prendre trop de vitesse sans savoir à quoi m’attendre côté neige.
Je biaisais un moment, à la recherche d’un axe suffisamment engageant pour rester serein. Je le trouvai un peu plus bas, dans ce secteur sommital nord-est, là où le degré de pente perdait un peu de vigueur.
C’était parti : j’engageai un ou deux virages pour tester l’ensemble. La neige répondait bien, plutôt légère et agréable : ça allait le faire ! C’était plus compliqué pour Raphaèle, impressionnée par une pente qui devait être à 35° environ et complètement tétanisée par la poudreuse. Elle s’interdisait le moindre virage et dût me rejoindre en « feuille morte » en dérapant en marche arrière, pas franchement fière d’elle mais incapable de faire autrement.
Cela me conforta dans le choix de viser ces étagements peu pentus qui dégringolaient en paliers successifs vers le nord-est, un peu au-dessus de l’emplacement de la cabane de Pierre Drue. Pente modeste, beaucoup d’espace pour manoeuvrer, neige de qualité : on cochait un maximum de cases pour aider Raphaèle à se rassurer.
En éclaireur, j’enchaînais des séries de cinq à six virages avant de m’arrêter. D’abord pour permettre à Raf de me garder à vue – ainsi que l’itinéraire – mais aussi pour me laisser un peu de temps pour anticiper la suite.
Le terrain allait en se rétrécissant et un ravin peu profond nous condamnait à demeurer sur cette partie du versant qui semblait faire l’entonnoir vers une ligne d’arbres au-delà de laquelle je n’avais plus de visibilité.
Mes Bandits B3 se sentaient ici parfaitement à leur aise, déjaugeant facilement et me donnant cette bien connue et exquise sensation de flotter au-dessus d’un terrain étrangement ouaté
La descente repassa ici à l’ombre sans trop perdre en qualité pour ce qui était de la neige. Un peu plus lourde et chahutée par le passage d’autres skieurs peut-être, mais encore très largement agréable. J’y traçais sans difficulté d’impeccables courbes.
Les choses allaient plus lentement pour Raf qui refusait souvent l’engagement. Je l’entendais pester contre elle-même, s’admonestant sévèrement pour se donner du coeur à l’ouvrage. On en rigola quand elle finit par me rejoindre mais je savais que cela lui coûtait. L’idée de suivre des cours de hors-piste fut alors évoquée.
J’indiquai un peu plus bas un point à ne pas dépasser : en-dessous c’était le pli du thalweg qui abritait le Brudou, ce torrent principal descendant des hauteurs du vallon jusqu’à Pont-du-Fossé. Un obstacle infranchissable.
On allait plutôt suivre la trace des skieurs précédents qui s’échappait de cette impasse par une courte traversée entre les mélèzes permettant ainsi de rejoindre un espace plus aéré où poursuivre notre descente.
Ce brin de raccord effectué, je constatais avec soulagement qu’on pouvait maintenant se laisser aller dans ce qui ressemblait à une vaste prairie peu pentue. En arrondissant doucement à droite, elle venait ensuite se placer une centaine de mètres au-dessus de la route pastorale du départ que j’apercevais maintenant dans mon champ de vision.
La neige, étrangement, était encore d’excellente qualité ici et la pente, sous les 30°, incita Raphaèle à esquisser quelques virages timides. Le style était encore crispé mais la manoeuvre fonctionnait. De quoi finir sur une bonne note pour lui montrer que seul la pratique et la persévérance finiraient par payer pour lui permettre d’acquérir définitivement la bonne technique sur tout type de pente.
Il était temps pour ces menues victoires car, en-dessous des 1800 mètres, les beaux flocons accumulés en champs de poudreuse se tarissaient comme peau de chagrin. Jusqu’alors ensevelie, la végétation perçait maintenant plus régulièrement au travers d’un manteau devenu humide qui peinait à dissimuler les rochers.
Virer dans ce champ de mines où la neige collait davantage qu’elle ne glissait commença à devenir pénible. Je gardais mes distances avec un groupe de raquettes qui descendait devant nous tout en m’employant, malgré tout, à suivre le même cap qu’eux.
Je n’en revenais pas comme la neige qui recouvrait ces pentes ainsi que la route pastorale tout à l’heure, à la montée, avait déjà presque entièrement fondu ! Notre tentative un peu audacieuse de rechausser pour avancer à ski vers le parking des Richards allait donc rapidement se solder par un échec.
Si j’avais été plus familier des lieux, je me serais écarté pour tirer plus à droite, de l’autre côté du Brudou, là où la neige semblait encore suffisante pour laisser un skieur glisser quasi sereinement jusqu’au chemin pastoral.
Mais j’étais déjà trop bas pour le faire et empêché par le ravin au fond duquel coulait le torrent. La bruyère avait rogné sur la neige et je fis signe à Raphaèle de déchausser pour finir la descente jusqu’au chemin et au gué à pied. Sage décision.
Il fallait se rendre à l’évidence : on n’irait pas plus loin à ski. Je jetai les Bandits sur mon épaule après avoir repassé les chaussures en position « marche ». Raphaèle m’imita et entama la discussion avec d’autres skieurs et promeneurs à raquettes qui, comme nous, convergaient maintenant vers la sortie.
Un coup d’oeil à la montre : 16h15. Il aurait été difficile d’entreprendre davantage aujourd’hui. Au-dessus de nous, il me sembla voir le Palastre m’adresser un clin d’oeil complice. Moi qui avait craint de me lancer dans l’inconnu il y a quelques heures, je repartais nourri de la satisfaction d’avoir mis la main sur un spot qui allait nous voir revenir d’ici à la fin de l’hiver.
Et même, au vu de l’étude de la carte a posteriori, une fois la douceur du foyer retrouvée et les 2h retour de voiture mises derrière nous, dès le retour des beaux jours avec une boucle prometteuse qui explorerait la vallée du Tourond, de l’autre côté. Je n’ai pas fini de vous parler du Champsaur ici je crois !
Le Palastre à ski ou en raquettes : Guide Pratique
Venir dans le Champsaur
Pris en tenaille entre le Dévoluy, à l’ouest, les Écrins, au nord et à l’est et le Gapençais, au sud, le Champsaur – souvent associé au Valgaudemar avec lequel il partage son identité touristique – s’enroule autour du Drac, qui y prend ses sources par l’union du Drac Noir, venu de Prapic, et du Drac Blanc, issu de la vallée de Champoléon.
Pour le rejoindre, il faudra nécessairement emprunter la N85, alias Route Napoléon, en venant soit de Gap par le sud – accessible par l’A51 depuis la Provence – soit de Grenoble par le nord – accessible par l’A48 ou l’A41. Un réseau routier bien ficelé permet ensuite de rejoindre facilement les différents points de départ de randonnée du massif. Communément, la « grosse » ville du Champsaur est Saint-Bonnet.
Accéder aux Richards
Depuis Gap : suivre la direction Grenoble et la N85 via la route du col Bayard. Sur celle-ci, tourner à droite par la D944 direction Chaillol et Ancelle. Au rond-point du col de Manse, tourner à gauche direction Saint-Bonnet. En bas de la descente, continuer par la D944 direction Orcières et Chaillol. Rejoindre et traverser ainsi plus loin Pont-du-Fossé. Un peu après la sortie, tourner à gauche direction Les Richards par la D481 (attention route parfois étroite). C’est le dernier hameau, un peu avant le terminus de la route. Le laisser à gauche sans y entrer et continuer la route jusqu’au parking terminal.
Depuis Grenoble : suivre la direction Gap en rejoignant la N85 au niveau de Vizille. Quelques kilomètres après la Fare-en-Champsaur, quitter la Route Napoléon et suivre à gauche la D14 direction Saint-Laurent-du-Cros. Traverser le village, dépasser plus tard Forest-Saint-Julien et atteindre l’intersection avec la D944. La suivre à gauche direction Orcières et Chaillol pour rejoindre Pont-du-Fossé. Se reporter aux informations du paragraphe « depuis Gap » ci-dessus pour aller ensuite jusqu’aux Richards.
Option mobilité douce : il faudra d’abord rejoindre Gap en bus ou en train, selon l’endroit d’où vous venez. Ensuite, depuis Gap, la ligne de bus Zou! 528 pour Orcières dispose d’un arrêt à Pont-du-Fossé. Ce sera, par contre, difficile depuis ce point d’atteindre les Richards autrement qu’en auto-stop.
Description de l’itinéraire suivi
Si besoin, j’ai retracé grossièrement l’itinéraire sur VisuGPX. Je peux vous transmettre le fichier GPX à la demande par mail. Contactez moi à l’adresse contact@carnetsderando.net
Depuis le parking, emprunter la route pastorale des Bayles. La remonter jusqu’au gué (1).
Franchir le gué et continuer sur la piste. Un peu plus de 100m après avoir passé le lacet marqué à droite, la quitter pour monter à droite dans le versant (2) (note : il est possible de couper dans le talus avant le lacet pour gagner un peu de temps)
S’élever en se tenant toujours en rive gauche du thalweg qui se dessine à main gauche pour viser une sortie sur l’épaule située au-dessus de la cabane de Pierre Drue. (3)
Suivre l’axe du sentier d’été en direction du Palastre et, comme lui, bien tirer sous le sommet vers le nord-ouest afin de rejoindre le haut d’un large col en versant nord. (4)
Prendre plein sud pour remonter le versant nord du Palastre jusqu’au sommet. (5)
Pour la descente, revenir un peu en arrière pour ne pas piquer directement est sous le sommet et descendre une vingtaine de mètres. De là trois possibilités.
1 – couper plein sud sous le Palastre pour aller chercher les vallons les plus méridionaux du versant et descendre dans des trouées de mélèzes pour rejoindre la route pastorale au niveau de la barrière.
2 – descendre le long de la trace de montée jusqu’à l’épaule de la cabane de Pierre Drue et de là continuer plein est en suivant grossièrement la trace « ski de rando » bleue de l’IGN.
3 – tirer un peu nord-est pour skier les pentes situées au nord du chemin d’été sans jamais dépasser le thalweg qui rejoint, plus bas, celui du torrent de Brudou. Ne pas couper celui-ci quand le passage semble se fermer et couper, sud, pour rejoindre les clairières ramenant vers la route pastorale. Entre 1800m et 1750m, tirer à droite le plus possible avant que ne se creuse trop le ravin du torrent pour pouvoir skier les derniers mètres jusqu’au chemin pastoral.
Retour au parking par la route pastorale, en sens inverse de l’aller.
RECOMMANDATIONS PARTICULIÈRES POUR LE PALASTRE À SKI
On ne part évidemment pas la fleur au fusil sans avoir préalablement consulté le Bulletin Neige et Avalanche de Météo France. On s’abstient évidemment en cas de risque 4 à 5 et on reste extrêmement vigilant si on s’aligne sur un jour à risque 3. Rappelez-vous que le risque zéro n’existe pas. Même si on se sent plus serein avec des risques 1 et 2, on reste vigilant et on évite de partir sans le matériel de sécurité adapté à la pratique du ski de randonnée en zone montagne.
Les pentes les plus sensibles de l’itinéraire sont celles situées sous le sommet du Palastre, en particulier si vous optez pour le premier scénario de descente décrit dans le topo. Si vous devez trouver des plaques quelque part sur l’itinéraire, ce sera là, fonction bien évidemment, des conditions nivologiques du moment. La pente moyenne se réduit ensuite avec le second et le troisième scénario – celui décrit dans le récit – est le moins risqué.
HÉBERGEMENT ASSOCIÉ
Pour celles et ceux d’entre vous qui auraient envie de profiter plus longuement du lieu et/ou qui, arrivant de loin, ont besoin d’un hébergement à proximité, je vous ai trouvé cette jolie chambre d’hôtes située pile à côté du départ de l’itinéraire. On est en effet sur place, dans le hameau des Richards, perché face aux Autanes, juste au-dessus de la vallée du Drac ! Flavienne et Eric vous y accueillent dans leur ancienne ferme Champsaurienne magnifiquement rénovée et mettent à disposition deux chambres ainsi qu’une table d’hôtes à base de cuisine locale et de montagne. Les tarifs sont à partir de 72 euros pour 2 personnes, petit déjeuner compris. Le menu est à 22 euros. Réservation évidemment conseillée ! Plus d’infos et contact : 06 74 12 65 03 ou lebalconduchampsaur@gmail.com
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