Plus qu’une randonnée, c’est un pèlerinage que je vous propose dans ce nouvel épisode de Carnets de Rando. On ne peut évoquer la Normandie et le Calvados sans parler du Débarquement qui marqua la région au fer rouge en 1944. Si on peut aujourd’hui marcher librement dans ces espaces naturels remarquables c’est aussi grâce au courage de ces soldats venus prendre par la mer les positions allemandes. D’Omaha Beach au cimetière américain, je vous invite à une plongée dans un passé pas si lointain, qui vous fera également découvrir les richesses naturelles du littoral normand.
J’ai rendez-vous avec Anne au centre de pleine nature d’Omaha Beach. Je roule sur les derniers kilomètres me séparant de Colleville-sur-Mer sur de petites routes tracées dans la campagne normande. A l’approche de la mer, la route se rompt brusquement et dévale jusqu’à la plage. Le ciel est un peu lourd et le vent agite les drapeaux sans ménagement. Des pelouses timidement fleuries descendent des hautes buttes qui dominent le littoral.
Il y a un côté intemporel et universel à Omaha Beach qui concerne chaque citoyen du monde, qu’importe sa confession ou sa nationalité.
Au-delà, c’est la masse opaque de la Manche qui emplit l’horizon. La marée est encore haute et la plage presque invisible. Que ressent-on lorsque, comme moi, on vient pour la première fois à Omaha Beach ? Un sentiment étrange de fouler du pied un lieu où ma propre existence, mon actuelle condition d’homme moderne et bien dans ses pompes, s’est jouée dans la violence et le sang.
Dans cette ambiance pesante renforcée par une météo courroucée, ce sont les images du « Soldat Ryan » qui me viennent en tête. Un coup d’oeil à la mer pour imaginer le débarquement des rangers. Puis un coup d’oeil à ces buttes où se distinguent les anciens bunkers allemands. La vision d’un affrontement impitoyable, à la brutalité aveugle, où le désespoir et l’envie de survivre l’ont probablement emporté sur la rage et la nécessité de victoire. Le lieu dans son entier dégage une émotion qui prend aux tripes. Un peu comme s’il y avait une part de nous qui avait vraiment été là le 6 juin 1944 et qui se rappelle de tout.
Je superpose dans ma tête des images restituées par ma mémoire pour tenter d’imaginer toute l’absurdité et l’horreur dans lesquelles fut plongé le lieu il y a 71 ans.
La vie a pourtant repris à Omaha Beach. Les promeneurs affluent, les enfants jouent, des cyclistes se laissent griser par l’air du large… On sent néamoins le respect et le travail de mémoire en chacun d’eux. L’envie de transmettre cette partie de notre passé à la génération suivante. Ou simplement de communier en silence pour rendre hommage à tous ces inconnus qui ont donné leur vie pour que le monde soit comme il est aujourd’hui.
Je retrouve Anne un peu plus loin sur le sentier qui s’éloigne du village de vacances. Un petit trait de nature qui tourne le dos aux activités humaines pour grimper dans le vert des coteaux dominant la Manche. La Nature a repris les choses en main depuis le débarquement, comme si elle tentait d’effacer les traces de la folie des hommes. Au niveau d’un belvédère qui permet de prendre la mesure de l’immensité de cette plage, la végétation s’insinue dans les tranchées qui servaient de coursives aux soldats allemands pour naviguer jusqu’à leurs bunkers. Je me tiens sur l’une de ces positions que les rangers ont fini par prendre par la force. Il n’en reste plus que des trous béants.
La Vie trouve toujours un chemin pour panser les cicatrices de l’Histoire. L’événement est supplanté par la force de la nature et remplacé par le souvenir.
L’arrière-pays d’Omaha Beach est aujourd’hui silloné de petits sentiers traversant des identités paysagères distinctes et à la variété surprenante. Si un air persistant de bocage domine dans un premier temps, le randonneur côtoiera également par la suite des prairies humides avant de traverser un milieu forestier dense et marécageux. Surprenante forêt que celle qui entoure l’enceinte du cimetière américain. Déserte déjà. Insolite ensuite de par son aspect « bayou » et ses éléments naturels qui frisent l’exhubérance. On y enraye quelques glissades sur de beaux toboggans boueux avant de surgir face à la mer au débouché d’un couloir végétal.
Depuis tout à l’heure, Omaha Beach a littéralement changé de visage. Le soleil a découpé de larges tranchées dans la masse nuageuse et inonde la Manche et la plage d’allées lumineuses. La marée a elle aussi reculé en révélant une longue plage de sable doré que les chars à voile commencent à investir. Le gris triste d’une mer qui a porté en elle trop de souffrances s’est effacé au profit d’une teinte bleutée rappelant celle d’un lagon tropical. Les promeneurs affluent dans cet espace immense et libéré des eaux pendant quelques heures à nouveau. Nous les rejoignons non sans avoir auparavant emprunté le sentier tracé derrière le cordon dunaire.
Les dunes constituent encore un autre milieu spécifique qu’il est donné au promeneur de découvrir lors de cette randonnée. Un espace naturel très sensible, fragile même, soumis aux caprices du vent et de l’eau, que j’avais déjà rencontré en Camargue pour Carnets de Rando. J’y reconnais les courbes dessinées par les ganivelles, le bruit des roseaux agités par le vent, les formes langoureuses des dunes. Des genêts aux formes étranges s’y distinguent également, plus proches de l’étoile de mer que de la plante que j’ai l’habitude de croiser sur les versants ensoleillées de l’Ardèche. La Normandie est décidément pleine de surprise !
Sur la plage, le vent improvise un ballet où ombres et lumières créent des spectacles éphémères. Des averses de grésil disparaissent aussi vite qu’elles apparaissent. La pluie est rapidement chassée par le soleil mais prévoit déjà son retour dans le prochain nuage en provenance du large. Les caprices du temps , loin de gâter la randonnée, lui confèrent au contraire tout son charme.
Les éléments s’affrontent sur Omaha Beach avec une beauté et une poésie qui a fait défaut à l’espèce humaine en son temps. L’ordre des choses face au désordre du monde.
Anne me désigne un large escalier qui remonte vers le haut de la colline. C’est l’une des entrées vers le cimetière américain, dernière étape de notre randonnée et un point de passage obligé, à mes yeux, pour tout être vivant se revendiquant de la nationalité humaine.
Le cimetière américain est un pèlerinage. Une plongée consciente dans notre Histoire. Une manière de regarder le passé les yeux dans les yeux. Et d’être capable de l’affronter. A l’horreur de lieux comme Auschwitz succède ici au contraire un profond sentiment de paix et de sérénité. L’entretien impeccable du site, la régularité harmonieuse et la blancheur éclatante des stèles, le silence respectueux qui y règne confèrent au lieu un statut à part. Etrange paradoxe qui a voulu que la mémoire des soldats américains tombés en Normandie repose ici, au-dessus de cette plage qui aura été leur pire cauchemar. Je regarde ces générations d’humains qui se croisent, qui se parlent, qui transmettent. 71 ans maintenant se sont écoulés depuis le Débarquement. Lorsque je quitte le cimetière américain, je veux croire que ce sang versé ne l’aura pas été en vain.
INFOS PRATIQUES
Difficulté : moyen | Longueur : 9 km | Durée : 3h | Dénivelé : 220m
Carte : IGN 1/25000 TOP25 1811OT Pont-Audemer, Tancarville, Boucles de la Seine
Accès : en voiture, depuis Paris, suivre l’A13 via Rouen et Caen. Depuis Rennes, rejoindre Caen par l’A84. Contourner Caen en suivant la direction Bayeux et Cherbourg pour suivre la N13 qu’on quitte à Formigny. A la sortie suivre à droite la direction de Saint-Laurent-sur-Mer par la D517. Au centre de Saint-Laurent, prendre à droite la D514 direction Colleville-sur-Mer. Au rond-point du Bray, ne pas suivre la direction du Cimetière Américain mais poursuivre en face vers le centre de la commune. Après l’église, tourner à gauche et rejoindre Omaha Beach. Parking au niveau du centre nautique et du village vacances. En train, la gare SNCF la plus proche est celle de Bayeux. Possibilité ensuite d’emprunter la ligne de bus 70 des bus verts du Calvados qui dessert Port-en-Bessin et Colleville-sur-Mer. Attention, cette ligne ne circule pas le dimanche.
Topo : le descriptif complet de cette randonnée est donné dans le topo-guide « le Calvados… à pied » édité par la FFRandonnée. Voir la rubrique « Bibliographie »
Notes : le littoral normand peut se révéler assez humide et cela se ressent sur les sentiers. Soyez bien chaussé pour éviter les glissades dans la partie forestière ! Attention également à la marée si vous décidez de passer du temps sur la plage. Vous pouvez consulter les horaires de celle-ci sur ce site.
Où dormir : pendant mon séjour dans le Calvados j’ai dormi dans une chambre d’hôtes assez centrale par rapport à mes randonnées. Il s’agit des Champs Français à Caumont-l’Eventé. Un très beau logement et, surtout, une propriétaire incroyablement accueillante avec qui vous passerez une excellente soirée. Sans compter des talents de cuisinière remarquables. Bref, une super adresse, j’ai vraiment passé un très bon moment là-bas. Merci Adeline !
Liens utiles : vous pouvez consulter le site du Comité Départemental du Tourisme du Calvados pour vous aider à brosser un portrait global de ce département ainsi des possibilités d’excursions. Plus local, le site de l’office de tourisme de Formigny et d’Omaha Beach vous donnera des infos pour ce secteur en particulier. Pour tout savoir sur le Débarquement, l’opération Overlord et la bataille de Normandie, c’est par ici qu’il faut aller. Le Cimetière Américain est ouvert tous les jours de 9h à 18h. Sa visite est gratuite. Un centre d’accueil des visiteurs abrite un très intéressant petit musée sur le Débarquement, notamment une chronologie très précise des événements.
Bibliographie : Le Calvados… à pied | C’est la 3ème édition du topo-guide officiel édité par la Fédération Française de Randonnée Pédestre. 40 itinéraires de Promenade & Randonnée y sont recensés, dont celui d’Omaha Beach, pour approfondir votre découverte du Calvados, accompagnés de leurs cartes et de leurs explications. Prix indicatif : 14,50 € | Ref.D014
EN BREF
Intense et émouvant sont les deux adjectifs que je retiens de cette randonnée à Omaha Beach. « Omaha la Sanglante » révèle aujourd’hui son plus beau visage comme pour essayer de faire oublier l’horreur dont elle fut le décor. Le souvenir reste pourtant bien présent, fort et tenace. Entre nature et histoire, une randonnée décidément pas comme les autres et qui prend aux tripes.
Ce reportage Carnets de Rando, sous licence Creative Commons, est la propriété exclusive de Carnets de Rando. Son usage à des fins non commerciales est autorisé à condition de mentionner son appartenance au site www.carnetsderando.net. Pour toute autre utilisation, merci de me contacter.
Quel beau témoignage, quels beaux mots pour cette horreur qui fut de toutes les parties de tous les pays représentés , magnifique hommage ………… Bravo à toi çà me fait à la fois mal et tellement de plaisir de voir ce que je n’ai pas vu ni vécu sauf après. Merci d’avoir su ressentir ce que j’ai toujours ressenti comme toi . (Y) . <honneur à tous ceux qui sont tombés quelque soit leur origine car ils avaient des ordres. Paix à Eux. ♥
Beau reportage qui donne très envie! merci.
Merci à vous pour votre commentaire ! La Normandie est un territoire inattendu et riche pour la pratique de la randonnée. Ce n’est pas l’endroit auquel on penserait en premier. Pourtant, elle a vraiment beaucoup de belles choses à offrir !