A une dizaine de kilomètres de l’estuaire de la Seine, l’espace naturel sensible du marais de Saint-Sulpice-de-Grimbouville accueille les randonneurs au fil d’un sentier d’interprétation passionnant : le sentier de l’Anguille. Au coeur de la seconde plus grande tourbière de France, le naturaliste en herbe est invité à découvrir les secrets d’un territoire riche de surprises. Hôte de marque de cette petite boucle à parcourir seul ou accompagné d’un guide, la cigogne accompagne de son vol la marche du promeneur. Une immersion que Carnets de Rando a réalisé pour vous.
Un ciel opaque est posé sur l’Eure ce matin-là. Le fond de l’air est humide et la lumière filtre avec difficulté à travers le voile épais de nuages immobiles. Le petit village de Saint-Sulpice-de-Grimbouville est aussi désert que silencieux lorsque je le rejoins.
Au nord-ouest de Pont-Audemer, et jusqu’à l’estuaire de la Seine , la vallée de la Risle offre au visiteur un espace exclusivement consacré à la nature
A gauche de la route et de la ligne des habitations, la colline sur laquelle je me trouve s’affaisse en un long toboggan de jardins et de vergers jusqu’à atteindre une vaste zone plate et essentiellement tourbeuse à travers laquelle coule la Risle. C’est cette petite rivière qui, après avoir pris sa source loin au sud dans le bois des Boulais, entre Argentan et l’Aigle dans l’Orne, s’est arrondie jusqu’à l’Eure pour rejoindre la Seine et donner son nom au territoire que je m’apprête à découvrir.
C’est un pays de marais qui s’ouvre devant moi. De l’autre côté de la Risle, au-delà du sommet du mur de collines s’élevant au-dessus du cours d’eau, c’est le Marais Vernier et le Parc Naturel Régional des Boucles de la Seine. Un endroit fameux mais à la notoriété duquel j’ai préféré le charme discret du sentier de l’Anguille.
Pour le promeneur, le sentier de l’Anguille offre un véritable bain de nature au coeur d’un espace naturel sensible préservé
Tracé dans le marais-même, au coeur de la campagne normande et à l’écart de toute empreinte humaine, ce court sentier d’interprétation – à peine 4 kilomètres – pourrait pourtant bien vous occuper plusieurs heures tant il est riche de découvertes naturalistes. On ne vient pas sur le sentier de l’Anguille pour uniquement faire de la randonnée. Non. Ici on vient observer, sentir et ressentir. Les jambes ne sont qu’un prétexte pour poser un autre regard sur la nature normande.
Posée sur la butte et dominant le Marais, la petite batisse de la mairie de Saint-Sulpice mérite le détour. A l’intérieur, les locaux administratifs ont été intégrés à ce qui reste d’une façade et de quelques volumes d’une demeure historique et dans la plus pure tradition normande. Un prolongement presque naturel où deux époques se sont hybridées à la perfection, s’emboîtant l’une dans l’autre pour unir le passé et le présent. Une sorte de décor en trompe-l’oeil façon Hollywood qui affiche le « hier » pour mieux abriter le « demain ». Le tout auréolé d’un authentique et trépidant historique. C’est une Normandie à l’ancienne qui a été reconstituée ici pour le plus grand plaisir du visiteur. Quelle meilleure porte d’entrée avant de pénétrer les mystères du marais ?
J’entame ma descente sous le regard curieux de quelques moutons à la laine épaisse. Je contourne un verger en foulant l’herbe remplie de rosée et rejoins un ancien baptistère. Le véritable départ du sentier est un peu plus loin, à la sortie d’un petit pont de bois enjambant un cours d’eau recouvert de boue.
Immersif et secret, le sentier de l’Anguille déroule son itinéraire entre marais et allées végétales
La deuxième plus grande tourbière de France surgit alors devant moi, immensément verte. Rien à voir avec les tourbières alpines. Ici, point de sphaigne ou de droséra. Le fonctionnement reste pourtant le même et la matrice tourbeuse joue toujours les éponges naturelles pour cette zone inondable qui accueille des espèces animales et végétales spécifiques.
Un réseau de sentiers bien tracés se fraye une route entre ce milieu fragile et des espaces réservés aux troupeaux. Vaches, moutons, chevaux ne sont pas rares. Les caprins sont même de plus en plus appréciés pour leur fonction de « tondeuse » écologique. Des canaux et chenaux étroits parcourus par une eau à la limite du stagnant abritent eux aussi toute une vie qui réclame d’être approchée avec discrétion.
Un peu trop de précipitation et c’est la débandade dans la colonne de canetons qui cherchait refuge dans l’épaisseur de la végétation.
Des alignements d’arbres têtarts, à la forme en boule caractéristique, font également office de délimitations de parcelles. Le têtart avait pour principale fonction de servir de réserve de bois. Son étêtage régulier permettait de lui donner cette allure indissociable de l’imagerie paysagère de cette partie de la Normandie.
Le marais traversé, je viens buter contre la Risle au-delà d’une rangée de buissons. Etrange rivière que la Risle capable, du fait de la marée et de la proximité de la Seine, de voir son cours inversé quelques temps ! C’est le dernier affluent de la Seine qu’elle rejoint à une dizaine de kilomètres d’ici après en avoir parcouru près de 145 depuis le Perche.
C’est dans la Risle qu’est attendu patiemment le retour de la fameuse anguille qui a donné son nom au sentier.
Malgré la pluie des jours précédents, ses berges et ses environs ne se sont pas transformés en marécages. Le scénario est pourtant fréquent et le port de bottes sur le sentier de l’Anguille n’est pas forcément inutile ! Un coup d’oeil dans les eaux sombres pour y guetter l’apparition de cet animal qui a donné son nom au sentier mais dont on attend toujours ici la recolonisation. Une grande absente dont la toponymie évoque respectueusement le souvenir.
Si le sentier devait être renommé avec le patronyme d’une espèce emblématique et bien présente, il deviendrait probablement le « sentier de la cigogne » ! Car, à défaut d’anguille dans la Risle, le randonneur vigilant pourra compter sur le spectacle de la trentaine d’invidus sédentarisés sur la zone. L’Alsace n’a pas le seul monopole de cet oiseau gracieux et étonnant, capable de bâtir des nids approchant la tonne !
La star locale, c’est assurément la cigogne dont les nids démesurés fascinent autant qu’ils surprennent
Batisseuse hors pair, la cigogne s’aperçoit facilement en train d’arpenter la tourbière en quête de nourriture. Ses nids massifs peuvent également être découverts, installés sur les hauteurs de troncs desséchés. Les cigognes de la Risle auraient même tendance à voler la vedette à l’anguille !
Je tourne le dos à la Risle et traverse une peupleraie où résonnent les chants d’oiseaux. Les troncs lacérés témoignent des comportements territoriaux d’une population d’ongulés importante. Je franchis une nouvelle série de ponts en faisant des haltes régulières près des stations d’information disposées tout le long du sentier. Douze en tout. Une pour chaque mois de l’année. De quoi parfaitement comprendre le cycle saisonnier de cet espace naturel sensible. Une chaleur douce parvient désormais jusqu’à moi. Le soleil n’est toujours pas visible mais son absence n’a nullement gaté ma visite. Ni le temps, ni le climat ne semble avoir véritablement d’emprise sur le sentier de l’Anguille. La magie opère ici en toute circonstance.
INFOS PRATIQUES
Difficulté : facile | Longueur : 7 km | Durée : 2h | Dénivelé : 20m
Carte : IGN 1/25000 TOP25 1811OT Pont-Audemer, Tancarville, Boucles de la Seine
Accès : en voiture, En voiture, depuis Paris ou Caen, suivre A13 et prendre la sortie 28 « Beuzeville ». Depuis Le Havre, rejoindre l’A13 par l’A29 et depuis Le Mans, par l’A28. Rejoindre la D675 qu’on suit à droite direction Toutainville. De Toutainville, tourner à gauche par la D312 et rejoindre Saint-Sulpice. Stationnement à gauche de la route sur la zone prévue.
Topo : le descriptif de cette randonnée, ainsi que sa fiche en téléchargement gratuit sont disponibles sur le site des balades et randonnées dans l’Eure : voir le site web
Notes : le sentier de l’Anguille est situé sur une zone humide et inondable. Certaines portions du sentier peuvent donc être en eau au moment de votre passage. Il est donc particulièrement recommandé d’être bien chaussé pour le parcourir ! De bonnes chaussures assez hautes, voire des bottes, sont les bienvenues ! Par ailleurs, même si le sentier de l’Anguille est librement accessible au public, on en profitera davantage avec les yeux avertis et les connaissances d’un guide nature. Vous pouvez donc intégrer un groupe mené par Sébastien en vous renseignant auprès de l’Office de Tourisme (voir la rubrique « Liens Utiles » en-dessous)
Où dormir : j’ai dormi au Cochon d’Or, à Beuzeville, lors de ma venue. La chambre est à partir de 63 euros, la demi-pension de 81 euros. Une formule étape à 72 euros est également disponible.
Liens utiles : vous pouvez consulter le site du Pays de Risle Estuaire pour découvrir plus largement ce territoire aux portes de l’estuaire de la Seine. Plus localement, et pour participer à une randonnée organisée sur le sentier de l’Anguille, rendez-vous sur le site de l’office de tourisme de Beuzeville. Vous pouvez également téléphoner au 02.32.57.72.10. Pour en savoir plus sur les possibilités de randonnées dans le département de l’Eure, rendez-vous sur le site du Comité Départemental du Tourisme.
Bibliographie : L’Eure… à pied | C’est la 4ème édition du topo-guide officiel édité par la Fédération Française de Randonnée Pédestre. 41 itinéraires de Promenade & Randonnée y sont recensés, dont plusieurs en Pays d’Ouche, pour approfondir votre découverte de l’Eure, accompagnés de leurs cartes et de leurs explications. Prix indicatif : 14,50 € | Ref.D027
EN BREF
Ne vous fiez pas à la taille réduite de cet itinéraire. Ici, la réussite de la randonnée ne se mesure pas à sa longueur mais à son contenu ! La magie de la tourbière et ses nombreux hôtes vous propulseront à coup sûr dans une faille spatio-temportelle dont vous ne ressortirez que plusieurs heures plus tard avec des étoiles dans les yeux. Avec des enfants, c’est encore mieux !
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