Echancrure sauvage accolée à la station de Vars, le Val d’Escreins est l’une des expressions remarquables de ce que le Queyras peut avoir de plus beau. Porte d’entrée vers des objectifs dépassant les 3000 mètres d’altitude, ce beau lieu à la façade bucolique peut rapidement devenir un grand stade alpin pour les marcheurs qui carburent à la performance. Ascension ou circuit de longue haleine, le Val d’Escreins déploie une palette d’itinéraires sportifs et grandioses. L’un d’eux, qui relie le col de Colette Verte à la Pointe d’Escreins, occupera ceux qui ne marchent pas en-dessous de six heures par jour. Une boucle qui se mérite, riche en images fortes, et qui vous coupera le souffle dans tous les sens du terme.
Difficulté : difficile | Longueur : 16km | Durée : 7h15 | Dénivelé : 1750m
Nuages bas de plafond. Sommets évanouis dans la grisaille matinale. Le spectacle au réveil n’est guère à la hauteur de ce que la météo nous avait laissé espérer la veille. Le froid, lui, en revanche, est bel et bien là. Un effondrement de la température avait été annoncé. Ce pronostic là est confirmé : adieu la bronzette et bonjour gants et bonnets ! Je trace la route depuis notre gîte jusqu’à Guillestre. Le GPS est là en support pour ne pas manquer la bifurcation du Val d’Escreins, une petite route anodine qui s’échappe de celle, plus large et plus fréquentée, du col de Vars, à mi-chemin de celui-ci.
Queyras, mon beau Queyras ! Que tu es flamboyant sous ta parure d’automne ! Il aurait juste fallu augmenter ton feu de cheminée de deux degrés, ça aurait été top !
Sous les couleurs de l’automne, cette portion roulée est déjà, en soi, magnifique et hautement prometteuse pour le reste de la journée. A l’écart des stations de Vars et de Risoul, le Val d’Escreins est un petit joyau préservé du Queyras, un territoire encore sauvage pour des faces-à-faces d’envergure avec les sommets. A cette époque, il est (presque) désert. Moins de cinq véhicules au parking terminal : le rêve absolu ! On s’emmitoufle, on s’équipe et c’est parti.
Accompagné de Raphaèle, je remonte le large vallon du Rif Bel. Le départ est commun à un certain nombre d’objectifs. Le temps peu engageant me fait encore hésiter sur le nôtre. Par bonnes conditions, le Val d’Escreins donne accès à quelques sommets remarquables de plus de 3000 mètres d’altitude : la Mortice (3169) par le col de Serenne, la Pointe d’Escreins (3038) ou le Pic de Panestrel (3254) via le col des Houerts ou, le plus exaltant, le Pic Nord de la Font Sancte (3385), une course majeure du secteur.
Où aller ? Que faire ? Mes envies de sommets faciles se confrontent à la réalité climatique du jour. Un menu garni de nuages et de froid : le champ des possibles se comptent à peine sur les doigts d’une main
Considérant que c’est l’automne, que les jours sont plus courts, que Raphaèle n’a pas marché depuis longtemps et que le ressenti doit avoisiner les 5°, je tâche de me sortir de la tête de tenter l’ascension de l’un d’entre eux. D’autant que les nuages squattent les reliefs à partir de 2500 mètres. Non, à ce moment-là, je ne vois qu’une seule chose à faire : la boucle qui, franchissant le col de Colette Verte, revient ensuite par le Pic d’Escreins et la crête d’Agnès. « C’est pas trop long tu es sûr ? », m’interroge Raphaèle. Bah si ça va être long mais ça devrait passer ! Le sort de la journée était scellé.
La séparation avec le sentier du GR de Pays du Tour de la Font Sancte se présente un peu plus loin. A partir de là, soyez prévenu, ça va attaquer sévère. Le chemin vient en effet rapidement se heurter aux hautes barres rocheuses qui défendent la ligne d’arête des Aspaturas. Le terrain se fait à ce point escarpé que des barreaux d’échelles métalliques et des câbles font leur apparition pour venir à la rescousse du marcheur. Leur contact est immédiatement glacé à cette période. On avale du dénivelé très rapidement grâce à eux, jusqu’à une épaule plus hospitalière. Il reste maintenant à s’élever jusqu’au sommet du verrou glaciaire qui ferme l’accès du vallon de Claus. Un terrain à bouquetins, hyper sauvage. Bouquetins qu’on ne tarde d’ailleurs pas à apercevoir dans un lointain décor d’éboulis.
Défendu par un passage escarpé à travers des ravines rocheuses, le vallon de Claus monte en grade en terme de « wilderness ». Plus haut, plus froid, plus désert encore. On touche du doigt l’ambiance si particulière de l’automne en montagne
On croise un randonneur solitaire qui a bivouaqué sous le col. « Pas trop eu froid ? », je lui demande. « Oh que si. » répond-il avec une expression entendue. « C’était pas les bonnes conditions pour faire le grand tour, je redescends. » On le regarde s’éloigner avec son chargement de bivouac, progressant prudemment sur le sentier glissant. Rien qui ne rassure vraiment Raphaèle. « Tu crois qu’on n’a pas vu trop grand ? Tu penses que je vais y arriver ? ». J’essaie de me montrer convaincant. « Mais oui. Au pire on fera demi-tour. » Je dis ça mais la perspective de descendre ce qu’on vient de monter ne m’enchante pas vraiment. Enfin bref, on verra bien tout à l’heure.
Nous voici seuls au monde, entourés par les parois démesurément minérales du vallon de Claus. La pente s’adoucit en avançant vers le pied du col. L’ambiance est glaciale mais magnifique. La bonne nouvelle, c’est que le plafond nuageux a pris de l’altitude, révélant le paysage jusqu’aux environs de 3000 mètres. La moins bonne c’est que Raphaèle est habitée par le doute, fragilisée par les signes encore vagues d’une fatigue à l’affût. Mais aussi, je sens, galvanisée par l’envie de se dépasser. Il est déjà midi. Je provoque la pause déjeûner à la faveur d’un maigre puits de soleil inondant une petite prairie. La sensation de chaleur n’y est qu’illusion. Continuer ou redescendre ? Je remets la décision finale à plus tard en proposant d’au moins atteindre le col, juste au-dessus. Raphaèle acquiesce.
Continuer ou faire demi-tour. Divisé entre envie d’en voir plus et prendre en compte la réalité du froid et des jours plus courts. Trouver un juste milieu entre douce folie et sagesse de vieux singe. Au final, je laisse la folie galoper
On remballe la marchandise et on se remet en ordre de marche. Le vent forcit à l’approche du col, perché à 2900 mètres. Conditions hostiles, mais panorama à couper le souffle sur la vallée de Ceillac, de l’autre côté. Je fais continuer Raphaèle pour la mettre à l’abri : pas question de s’arrêter ici. On profitera de la vue au Pas du Curé, en contrebas, au terme d’une descente dans un milieu de caillasses noires avec vue sur la superbe Pointe de la Saume, en face de nous. Je suis bluffé par l’ambiance. « On continue alors ? » me demande Raphaèle. « On tente le coup, ça va le faire. », lui réponds-je, convaincu. Après tout le plus dur est fait, non ?
On se laisse glisser dans le très atmosphérique vallon des Pelouses. Le vent perd de son intensité à chaque pas. Je nous sens lancé dans un itinéraire mémorable. J’étais loin du compte à ce moment-là… Pas de difficulté majeure sur cette portion. Raphaèle cherche à se rassurer tandis que nous progressons vers la Bergerie d’Andrevez. « Combien de temps après la bergerie pour rentrer ? » interroge-t-elle. Je me remémore la carte. Je sais qu’il y a un peu de distance sur cette troisième partie de la randonnée. Je vise large et j’avance 2h30, peut-être 2h45, confiant. La descente se poursuit, mètre après mètre. La bergerie apparaît dans le lointain du vallon. Les minutes s’égrènent. Il est 16h lorsque le panneau de l’intersection se profile. J’y arrive le premier, curieux de lire le temps annoncé pour le retour. Je manque m’évanouir quand je le découvre.
C’est tout de même un peu dingue de s’être autant loupé en matière de lecture de carte ! A se demander si l’envie de faire cette boucle ne m’a pas fait volontairement survoler cette analyse…
En noir sur jaune, ce n’est pas 2h30 qu’on peut lire mais 4h !… Je vois les traits de Raphaèle se décomposer, entre stupeur et grosse flippe. Puis vient l’inévitable « mais tu avais dit 2h30… » Réponse bancale : « Ils exagèrent un peu, je pense. 4h… C’est beaucoup, on n’en mettra que trois tu vas voir. Je ne sais plus où me mettre. Pendant que Raphaèle répète inlassablement « 4h, bon sang, 4h! », je fais un rapide calcul dans ma tête. Il est 16h. Ca fait une arrivée à 20h. « On va arriver à la nuit ! », l’entends-je dire derrière moi. Oui, c’est bien possible. J’affiche mon plus beau sourire : « c’est pas grave ! on est en montagne, c’est génial ! ». Pour seule réponse je n’obtiens qu’un « 4h, bon sang, 4h! » supplémentaire. On se remet en marche.
Au rang des prévisions farfelues, suite logique d’une lecture de carte superficielle, j’avais également annoncé « quelques petites montées sur le retour ». Il y aura, en tout et pour tout, 553 mètres de dénivelé à franchir entre la bergerie et l’épaule se déployant sur l’arête nord de la Pointe d’Escreins. Autant dire une nouvelle randonnée. Mais les lumières magnifiques, merveilleusement dorées, qui enveloppent la montagne tendent à nous faire oublier le labeur en cours. J’ai posé un rythme de métronome pour Raphaèle et je détourne régulièrement son attention sur des éléments du paysages à tomber par terre. Je retiens notamment l’allure épique de la Pointe de la Saume et la vue, lointaine, sur le Pic de Rochebrune, pyramide parfaite parfaitement identifiable à l’est d’un horizon de reliefs rocheux.
Tant de vallées, tant de cimes, tant d’objectifs. Je pose des yeux d’explorateur sur ce Queyras que j’ai l’impression d’avoir survolé dans ma vie de randonneur-montagnard
Ma nouvelle implantation dans le sud de la France pourrait bien me donner l’occasion d’inverser cette tendance. Le vent, froid et agressif, nous cueille sous la Pointe d’Escreins. On bascule très vite côté Cabanes de Cugulet pour récupérer la trace enjambant la crête d’Agnès 250 mètres plus bas. La fin de journée est proche. Le soleil tutoie l’horizon à l’ouest, illuminant la montagne d’une ultime lueur enflammée. Je devrais me presser. Au lieu de ça je tourne mon appareil photo dans toutes les directions, fasciné par cette lumière unique. « Mais dépêche toi », me crie Raphaèle, « il va bientôt faire nuit ! »
Le chemin se déroule maintenant dans les courbes accidentées de profondes ravines avant de venir flirter avec le précipice au fil d’un petit sentier sinueux qui choisit finalement de plonger dans un versant de mélèzes. Le crépuscule est sur nous, gris et froid. Je vérifie du coin de l’oeil que les balises apparaissent encore, de temps à autre, sur les troncs. Je nous crois tirés d’affaire. Mais non. A l’instar du début de la randonnée, des difficultés rocheuses doivent être franchies. On retrouve câbles et échelles alors que l’obscurité grandit. L’émotion anxieuse de Raphaèle est palpable. Mais il n’y a pas à s’inquiéter. Le chemin est clair et l’ambiance juste énorme.
A aucun moment je ne me suis senti céder à une peur quelconque. Je suis bien, je suis dans mon élément, je gère pour deux. Même avec la frontale oubliée à la maison et l’application lampe-torche du portable coupée par manque de batterie
Il fait noir dans la forêt qui succède aux barres rocheuses. J’éclaire sporadiquement avec le maigre halo de l’écran du téléphone. Moins de 6% de batterie. Ca devrait passer. Court moment de doute à l’intersection pour le refuge de Basse Rua. On est encore trop haut, c’est forcément à gauche. Cette fois c’est la nuit totale. Raphaèle me colle au train. On sent qu’on sort de la forêt à la sensation d’espace retrouvée autour de nous. En quelques minutes, le parking est enfin là. 8 heures de marche et 1750 mètres de dénivelé plus tard. Et dire qu’on devait faire qu’une petite randonnée…
– INFOS PRATIQUES –
Carte : IGN TOP25 1/25000è 3537ET Guillestre, Var- Risoul, Parc Naturel Régional du Queyras
Accès : en voiture, rejoindre Savines-le-Lac : via Gap par N94, en venant de Grenoble par N85, ou Tallard, terminus A51 depuis Marseille, puis D942 et N94. Dépasser Savines et continuer par la N94, direction Embrun, qu’on dépasse, puis direction Guillestre. Au niveau de Mont-Dauphin, quitter la N94 à droite, direction Guillestre, par D902A. Au rond-point de la ZA du Villard, continuer tout droit. Aux trois ronds-points suivants, continuer tout droit, direction Vars. Au prochain rond-point, juste après le pont sur le Rif Bel, suivre la 2ème à droite et monter par la D902, direction Vars/col de Vars. Après environ 7 km, la quitter en tournant à gauche par une petite route indiquant Val d’Escreins, refuge de Basse Rua. La suivre jusqu’à son terminus. Stationnement sur le parking dédié.
Topo : emprunter le large chemin qui se poursuit au-delà du terminus du parking. A l’embranchement, descendre à gauche, passer par-dessus le Rif Bel puis, juste après, prendre le sentier à droite, indiqué Col des Houerts. Marcher dans les sapins, en remontant la vallée en rive droite du Rif Bel, jusqu’à une intersection (1). Quitter alors le GRP du Tour de la Font Sancte pour monter à gauche, direction col de Colette Verte. Le sentier, rapidement escarpé, franchit des barres rocheuses (échelles + câbles) (2), puis un ancien verrou glaciaire avant de remonter le vallon de Claus. Au bout du vallon, suivre à gauche la suite du sentier jusqu’au col de Colette Verte (3). Basculer sur l’autre versant et poursuivre par une crête rocheuse (balisage rudimentaire) jusqu’au Pas du Curé, en contrebas (4). De là, descendre à gauche par le grand vallon des Pelouses. Rejoindre la bergerie d’Andrevez, sans y passer. On rejoint un poteau de balisage (5). Suivre à gauche, par le GR de Pays rouge et jaune qui s’élève le long des falaises puis, en les contournant, en rejoint le sommet au niveau des crêtes d’Andreveysson (6). Le sentier arrondit ensuite dans un grand vallon minéral avant de gagner l’épaule nord du Pic d’Escreins (7). Continuer à flanc pour rejoindre la crête de Cugulet puis, ensuite, basculer à gauche dans le grand vallon de Cugulet (8). Après une série de larges lacets, le chemin coupe la crête d’Agnès (9) et franchit une série de combes ravinées. Il entame derrière une série de lacets dans une forêt de mélèzes, en côtoyant, à gauche, de profonds précipices (10). A la sortie des mélèzes, on atteint une nouvelle partie escarpée (11) (échelles + câbles). Juste après, un bon sentier descend en pente douce en forêt. A l’intersection suivante (12), laisser la direction « Refuge de Basse Rua » à droite et continuer à gauche. Le chemin forestier sort plus loin à l’air libre. Traverser les prairies jusqu’au pont sur le Rif Bel et rejoindre le parking du départ.
Notes : long, long, très long parcours ! Et exigeant. Et un chouilla engagé, si vous considérez que franchir des passages rocheux et ravinés au moyen d’échelles et de câbles peut être considéré comme engagé plutôt qu’amusant. Si les longues journées d’été se prêtent bien à ce style de longue randonnée, les courtes journées d’automne vont nécessiter de bien savoir jouer le chrono. En revanche, les lumières qui irradient en fin de journée sont uniques. Vous n’assisterez jamais à pareil spectacle en plein mois de juillet, soyez-en certains. Bref, soyez préparés pour une très longue journée de randonnée.
Les hébergements : nous on a dormi un peu loin du départ. Il y a sûrement de bonnes adresses sur Guillestre ou sur Vars mais on avait trouvé un bon plan au niveau de Châteauroux-les-Alpes et, franchement, on n’a pas été déçu. Il s’agit de la chambre d’hôte dite « Coins du Monde », perchée tout en haut de la route menant à Serre Buzard. C’est un terminus, vous n’irez pas plus loin, mais quelle tranquillité ! Il faut dire qu’on était tout seul avec le gérant, on a donc profité de l’endroit à 200%, en totale exclusivité. Outre le charme de l’habitation, on a royalement mangé à la table d’hôte car le propriétaire est vraiment un excellent cuisinier. C’était parfait, on n’a pas regretté, malgré la distance pour rejoindre le départ de la randonnée. Voici l’adresse et le lien, si ça vous tente : Coins du Monde.
Liens Utiles : Le site Envie de Queyras a dressé un petit portrait du Val d’Escreins et de ce qui y est proposé en terme d’activité : à consulter. Pour toute information sur le Guillestrois ou pour trouver un lieu d’hébergement différent du nôtre, direction la page de l’Office de Tourisme de Guillestre. Vars n’étant pas loin, vous aurez aussi peut-être envie d’y loger ou d’y passer un moment. Voire de faire d’autres activités que de la randonnée. Alors rendez-vous sur la page de l’Office de Tourisme de Vars. Je vous mets également le lien vers le site du Parc Naturel Régional du Queyras, ça peut toujours être utile.
Bibliographie : Les Hautes-Alpes… à pied | C’est la 3ème édition du topo-guide officiel édité par la Fédération Française de Randonnée Pédestre. 41 itinéraires de Promenade & Randonnée y sont recensés pour approfondir votre découverte des Hautes-Alpes, incluant le secteur du Val d’Escreins, décrit dans cet article, accompagnés de leurs cartes et de leurs explications. Prix indicatif : 14,70 € | Ref.D005
EN BREF
Un circuit grandiose, avec des sections spectaculaires et assez inattendues. Mention spéciale aux passages des différentes ravines côté Val d’Escreins. La vue sur la vallée de Ceillac vaut le détour elle aussi. Pour profiter de tout ça, il faudra quand même avoir de solides réserves physiques et aussi mentales. Une boucle endurante mais superbe.
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Superbe tracé réalisé ce jour (7h30). Le vallon claus et le vallon des pelouses sont très sauvages. Une belle boucle au départ du val d’eEscreins pour randonneurs aguerris.