La barrière occidentale du Dévoluy est riche de sommets et de cols tous plus impressionnants les uns que les autres. Parmi ceux-ci le fameux col des Aiguilles, qui donne accès au non moins fameux et superbe vallon de la Jarjatte. Moins connu et plus septentrional, le col de Charnier est un lieu d’estive pour des centaines de brebis pendant l’été. L’hiver venu, c’est un domaine sauvage et peu fréquenté, abandonné à la rigueur de la montagne et dominé par la face sud du Grand Ferrand. La Tête du Lauzon s’élève juste à côté du col, bastion minéral offrant un panorama exceptionnel sur les montagnes environnantes. Loin des foules, voici un topo qui invite à plonger dans l’univers sauvage du Dévoluy hivernal.
CONTEXTE
On est en 2012 et la fin du monde ne s’est manifestement pas produite. J’ai raté l’avion pour l’Amérique du Sud, débarqué au dernier moment d’un projet pour lequel j’avais laissé derrière moi Chamrousse, mon logement et ma place dans un magasin de ski. J’étais donc arrivé cette année-là avec mes valises dans le Dévoluy, ce petit bout de montagne des Hautes-Alpes que presque personne ne connaît réellement. J’avais trouvé une place de skiman dans un Skimium de La Joue-du-Loup où bossait Guillaume, un ami très proche, depuis maintenant quatre ans. J’avais signé pour une énième saison d’hiver dans un nouveau shop et un nouvel endroit, plus confidentiel et familial que Chamrousse. Dans mes affaires, j’amenais aussi la caméra de Carnets de Rando, ce petit rendez-vous sur YouTube que j’avais lancé l’automne précédent. À l’époque, je m’escrimais à vouloir faire découvrir une destination par mois au public sous forme de cinq reportages. J’allais vite réaliser que la contrainte de cette fréquence n’allait pas forcément de pair avec le rythme des saisons d’hiver. C’est néanmoins dans cet état d’esprit que sont nés les reportages et les épisodes de Carnets de Rando consacrés au Dévoluy à raquettes.
DE LACHAUP À LA CABANE DU CHOURUM CLOT
Pas foule ce matin de ce côté du Dévoluy. Le gros et modeste flux touristique se concentre à cette heure sous les canons à neige des domaines de la Joue (du Loup) et de Super (Dévoluy). Les candidats à la raquette ne sont pas légion. Surtout pour aller s’avaler 900 mètres de dénivelé en dehors des itinéraires prévus à cet effet. Mon goût immodéré pour la montagne, copain comme cochon avec ma curiosité naturelle et mes envies incontrôlées de découverte, se sont donnés la main pour m’expédier vers cette Tête du Lauzon repérée sur la carte IGN.
J’ai emprunté une (mauvaise) paire de raquettes Quechua au magasin où je bosse. Le temps est radieux ce matin-là. Un peu trop pour un mois de janvier d’ailleurs. Et je me suis sur-couvert. Le temps de parcourir les 1,5 kilomètres entre Lachaup et Serre Long et je suis déjà en nage. Je marche sur l’ultime frontière qui sépare le Dévoluy civilisé et de la montagne. Quelques mètres plus haut et ça en est fini des champs, des parcelles et des terrasses cultivées qui sommeillent sous le manteau blanc de l’hiver. Au-dessus de Serre Long, je fais mon entrée dans l’univers de la montagne sauvage, des bergers et des loups.
Suivre à proprement parler un sentier l’hiver est aussi absurde que compliqué. Si des marques de balisage survivent sur les troncs des arbres, celles peintes à même le sol sont désormais invisibles. La tendance saisonnière consiste alors souvent à tirer à vue. Rien qui ne soit vraiment dangereux là où je me trouve. La méthode, assez brutale cependant avouons-le, permet surtout de bons tout droit – grâce à la raquette et à la neige – en direction d’objectifs qu’on a, la plupart du temps, en visuel. C’est ainsi qu’après une bonne suée, j’atteins l’épaulement où a été bâtie, pas loin des 1800 mètres d’altitude, la cabane du Chourum Clot.
La cabane, fermée en hiver, dispense un joli coup d’œil sur cette partie méridionale du Dévoluy. Tout à gauche, la barrière de la Montagne de Faraud barre la vue sur les Écrins. Seule la fenêtre ouverte par le col du Noyer autorise une brève vision du Champsaur, en arrière-plan. Plus au sud, les trouées rectilignes qui balafrent la forêt indiquent la présence des remontées mécaniques de la Joue-du-Loup, coiffées par les sommets plus lointains des Pics de Bure et de la Tête de la Cluse. Étiré paresseusement au soleil, plus à l’Est, le col du Festre resplendit, dominé par les modestes sommets de la Tête de Merlant et du Chauvet.
DE LA CABANE DU CHOURUM CLOT AU COL DU CHARNIER
La partie la plus alpine démarre au-delà de la cabane. Les balises ont définitivement disparu avec les derniers arbres. Le Dévoluy est ici un désert blanc surveillé par des sommets muets. Je me hisse, à vue, sur l’épaulement surmontant la cabane, en direction de la grande ouverture dite du Vallonnet. La tête d’un chamois en vigie dépasse derrière la silhouette escarpée de Roche Courbe. La neige, modelée par le vent, s’est figée en vagues gelées qui crissent sous la pointe des raquettes. J’atteins un replat, aux abords de 1800 mètres, et me dirige vers ce qui ressemble à une dépression. C’est le passage délicat de la journée.
Rejoindre le Vallon de Charnier, en été, nécessite de perdre rapidement une cinquantaine de mètres d’altitude jusqu’au thalweg. L’hiver venu, sur ces versants nord qui voient rarement la lumière du soleil, l’entreprise est aussi inutile que scabreuse. Je préfère tirer à flanc, par la gauche, là où le dévers de la pente est le moins fort et sans trop perdre d’altitude, afin de rejoindre, selon un axe rectiligne, le point coté 1851 sur l’IGN. Selon les conditions, l’entreprise peut se révéler hasardeuse (voir la section Recommandation Saisonnière plus bas) du fait de la présence, juste en-dessous, du Ravin des Adroits. Je parviens cependant à mon but, sans incident.
La suite du parcours se fait dans une cuvette généreusement ouverte et dominée par les ombres, à gauche, de Roche Courbe et par les grandes versants enneigés, à droite, qui dévalent depuis le Grand Ferrand. C’est une remontée qui s’effectue à la patience et dont la difficulté reste homogène. Elle s’achève dans un bain de lumière, au-dessus des pentes raides qui s’effondrent sous le col de Charnier. Ce Dévoluy versant ouest s’affiche beaucoup plus escarpé que ses contreforts intérieurs. Ses strates sédimentaires s’empilent les unes par-dessus les autres en donnant l’impression peu rassurante de s’effondrer sous leur propre poids. Sous la neige vierge de l’altitude, l’ensemble prend une allure de gâteau marbré.
DU COL DE CHARNIER À LA TÊTE DU LAUZON
Je redescends de quelques mètres dans cette cuvette qui s’ouvre sous les Tête du Lauzon et de Vallon Pierra. Un bel arrondi de blanc immaculé dans lequel je décris progressivement un large arc de cercle afin, petit à petit, d’aller chercher la crête qui relie les deux sommets. C’est côté Lauzon qu’elle est la moins forte et je vise un point imaginaire situé à environ 150 mètres du sommet. Les derniers mètres se méritent. Le froid rend la respiration plus difficile. Je prends finalement pied là où je souhaitais et je vois se découvrir entièrement la dernière partie de la crête jusqu’au sommet. L’ensemble est bien praticable et ne constitue qu’une simple formalité.
La Tête du Lauzon est atteinte, à 2278 mètres d’altitude. La lumière se nuance déjà d’un orangé délavé annonçant la fin de journée. Les Préalpes se dévoilent dans un horizon de sommets et de vallées. Au premier plan c’est le Vallon de la Jarjatte qu’on remarque, autre point d’accès vers le Lauzon. Mais la vue porte suffisamment loin pour repérer, bien au-delà des avancées les plus méridionales du Vercors et de l’entrelac des sommets du Buëch, les silhouettes bien connues des Trois Becs et du Mont-Ventoux. Dans mon dos, le cône sommital du Grand Ferrand passe la tête derrière celle de Vallon Pierra. L’un des géants du Dévoluy qui me fait un clin d’œil.
Plus vers le sud, une traversée d’arêtes improbable – mais faisable en été – relie le sommet aplati de la Tête de Plate Longue à celui de la Tête de Vachères, au-dessus du col des Aiguilles, point de passage le plus connu entre le Dévoluy et la Jarjatte. Depuis mon point de vue sommital, j’en aperçois le second élément d’encadrement : une belle et massive pyramide rocheuse répondant au nom d’Aiguille du Haut Bouffet. Une silhouette dolomitique à la présence très forte. Je me perds dans ma contemplation et dans mon énumération mentale des sommets qui pointent le doigt pour prendre la parole. L’orange nacré de mon arrivée a glissé vers un jaune brumeux qui envahit les vallons jusqu’à l’horizon. L’heure du retour a sonné.
TÊTE DU LAUZON : INFOS PRATIQUES
Difficulté : difficile (cotation hiver)
Distance (aller) : 7,75 km
Durée : 5h30
Dénivelé : 900m
Carte : IGN TOP25 1/25.000 3337OT, Devoluy, Obiou, Pic de Bure
ACCÈS AU DÉVOLUY
Par les Gorges de la Souloise
Depuis Grenoble, au nord, l’entrée principale sont les Gorges de la Souloise : après avoir quitté la N85 à l’entrée de Corps, la route D537 contourne le lac du Sautet au nord puis bascule plein sud par une route magnifique jusqu’à Saint-Disdier.
Par le Col du Festre
Depuis Gap, au sud, il faut suivre la direction verte Orange/Valence par la DD94. Peu avant Veynes, la D937 tourne à droite vers le Dévoluy via le Col du Festre. Possibilité, depuis la vallée du Rhône, de rejoindre Nyons (Vaucluse) puis, via les Gorges de Saint-May et Serres, de rallier Veynes – qu’on traverse direction Gap – pour prendre à gauche la fameuse D937 direction col du Festre.
Par le col du Noyer
Un col franchit la barrière orientale du Dévoluy : le col du Noyer. Beaucoup de GPS envoient les gens par-là. Sachez, avant de vous engager, que le col du Noyer est une route de montagne assez étroite sur la fin et, surtout, qu’il est fermé en hiver. Autrement, il s’attrape depuis la N85 – la Route Napoléon entre Gap et Grenoble – après avoir dépassé Saint-Bonnet-en-Champsaur, en tournant à gauche par la D17 direction Poligny, Villeneuve puis Le Noyer.
ACCÈS À LACHAUP, DÉPART DE LA RANDONNÉE
Depuis le col du Festre
Depuis le col du Festre, il faut redescendre direction La Joue-du-Loup et Superdévoluy. En bas de la descente, à l’intersection avant que la route ne remonte, tourner à gauche direction Agnières puis immédiatement à gauche, vers le lieu-dit l’Adroit, par la D317. Traverser le lieu-dit l’Adroit, poursuivre vers Agnières et, environ 1 km plus loin, tourner à gauche à une intersection et monter en direction de Lachaup et Maubourg. À la fourche suivante, continuer à gauche par la D317a jusqu’à Lachaup. Stationnement sur un petit parking près du gîte et de la fontaine.
Depuis Saint-Disdier
Depuis Saint-Disdier, des petites routes montent vers Lachaup. Le mieux reste cependant d’emprunter le réseau principal et de poursuivre jusqu’aux Étroits par la D537. À l’intersection du pont de la Souloise, monter à droite direction La Joue/Veynes/Col du Festre. La route redescend après le col de Rioupes. Tout en bas, avant la remontée, tourner à droite direction Agnières puis immédiatement à gauche, vers le lieu-dit l’Adroit, par la D317. On rejoint l’accès décrit ci-dessus. S’y reporter pour la fin.
Depuis le Col du Noyer
Depuis le Col du Noyer : en bas de la descente, on atteint Saint-Étienne-en-Dévoluy. Se diriger tout droit vers le centre-village. Le traverser – ou prendre la voie de contournement – et descendre par les Étroits jusqu’au Pont de la Souloise qu’on franchit. Poursuivre en montant en face, direction La Joue/Veynes/Col du Festre. On rejoint l’accès décrit ci-dessus. S’y reporter pour la fin.
TÊTE DU LAUZON : LE TOPO
Il faut quitter le parking par le nord et traverser la route en se dirigeant vers le poteau signalétique et ses flèches jaunes. Prendre alors la direction Serre Long – 1,5 km de marche – par un large et beau chemin enneigé entre les champs.
On rejoint le prochain poteau signalétique – Serre Long, alt. 1460m – et l’intersection avec le GR®93 et le GR® de Pays du Tour du Dévoluy (1). Prendre à gauche, direction col de Charnier, en suivant les balises rouges et blanches.
Le sentier s’élève à travers un petit bois clairsemé de résineux et coupe plus haut la piste. Il poursuit son ascension au-dessus de celle-ci à travers des prairies de plus en plus larges. La piste est rejointe à 1636m. La suivre jusqu’à la cabane du Chourum Clot, fermée en hiver (2).
Dépasser la cabane à l’ouest et redescendre légèrement pour franchir un petit thalweg. La trace oblique maintenant nord-ouest pour s’élever au pied de l’ouverture de la grande combe du Vallonnet – aux abords de 1800 mètres – avant de rejoindre le pied de l’arête Est du sommet de Roche Courbe (3).
Un décroché plus raide se présente pour rejoindre le Vallon de Charnier. Tirer à flanc, là où c’est le moins pentu – les traces de ski de rando peuvent donner un azimut – sous le versant nord de Roche Courbe, jusqu’aux étages plus ouverts du vallon. Remonter ensuite jusqu’au col de Charnier (4).
Depuis le col, redescendre légèrement dans le Vallon Pierra et passer sous le versant nord de la Tête du Lauzon. Tirer ensuite franchement vers l’ouest et viser un point au nord sur la crête occidentale du sommet. Prendre pied sur cette arête bien large et remonter ensuite facilement en direction du sommet et de son cairn.
ITINÉRAIRE DE RETOUR
Le retour s’effectue par le même itinéraire que l’aller.
RECOMMANDATION SAISONNIÈRE
La Tête du Lauzon et le Vallon de Charnier sont des itinéraires pratiqués en hiver en ski de randonnée. Il est également possible de les parcourir à raquettes. L’hiver exige un petit plus d’attention que l’été. En dehors de la partie concernant certaines compétences requises en orientation du fait de la disparition des balises sous la neige, j’attire votre attention sur le passage délicat qui longe, à flanc et légèrement en dévers, les barres rocheuses dominant le torrent des Adroits, à l’entrée du Vallon de Charnier. En cas de présence ou de suspicion de présence de glace ne vous y aventurez sous aucun prétexte. Idéalement ce (court) tronçon nécessiterait les crampons pour être franchi – presque – entièrement en sécurité. Idem, on évitera le sommet du Lauzon et l’emprunt du vallon Pierra après de grosses chutes de neige : l’endroit est avalancheux.
DIFFICULTÉ
La montée à la Tête du Lauzon par le Vallon du Charnier ne présente, en été, pas de difficulté particulière. C’est le dénivelé – supérieur à 600m – et la distance – mine de rien un bon 15 bornes aller-retour – qui augmentent celle-ci. En hiver – du fait de l’orientation plus complexe, aux conditions du terrain et au froid – elle grimpe d’un cran supplémentaire et passe à difficile, surtout si on choisit les raquettes comme mode de progression.
AVIS PERSONNEL
J’aime le Dévoluy. C’est un massif entre parenthèses d’autres zones de montagne plus célèbres. Le Dévoluy me rappelle les Dolomites. La plupart de ses vallons sont peu parcourus et, amateur d’immersions solitaires, j’y trouve évidemment et largement mon compte. Ce Vallon de Charnier n’échappe pas à la règle, silencieux et minimaliste. La randonnée n’est pas extraordinaire mais l’ambiance y est agréable. De la montagne à l’état pur et une ambiance digne de la « haute » alors qu’on n’est pourtant qu’à 2000m. Sans oublier une vue sublime au col et, davantage encore, au sommet.
HÉBERGEMENT ASSOCIÉ
Gîte du Rocher Rond (non testé par mes soins)
Il s’agit d’un gîte d’étape et de séjour pouvant accueillir jusqu’à 46 personnes sur deux étages réparties entre 5 chambres privées (2 à 3 personnes) et 3 dortoirs. Le gîte fait table d’hôte sur réservation et propose un menu régional, bio ou gastronomie du monde. Panier pique-nique pour le midi également disponible. Il est également possible d’y louer des raquettes pour vos randonnées d’hiver. Martinho Rodrigues – co-gérant du gîte – est par ailleurs accompagnateur en montagne et guide de spéléologie et de canyoning. Vous pouvez faire appel à ses services pour vous accompagner ou obtenir des informations sur les randonnées dans le Dévoluy. Contact : 04.92.58.85.63 / Mail : martinho.rodrigues@orange.fr
AUTRES ACCÈS À LA TÊTE DU LAUZON
La Tête du Lauzon, par le col de la Croix et des Aurias – départ La Jarjatte
La Tête du Lauzon, par le col de la Croix et des Aurias – départ du Grand Béal
La Tête du Lauzon, par le ravin du Fleyrard et le lac du Lauzon
AUTRES ITINÉRAIRES AU DÉPART DE LACHAUP
La Tête du Fleyrard
Le Grand Ferrand
Remarque : les informations données dans ce reportage engagent uniquement la responsabilité de l’utilisateur/rice sur le terrain qui saura les adapter à son niveau et à son expérience. Carnets de Rando ne saurait être tenu responsable de tout accident survenant suite à un mauvais usage de ce topo ou à une mauvaise appréciation du niveau du/de la pratiquant(e) par rapport à celui requis. Je ne suis par ailleurs pas en possession
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