Le Bec-Hellouin, un petit écrin de verdure déposé entre deux longues phalanges forestières. Le ruisseau du Bec s’y entortille avant de rejoindre la Risle, plus haut, à Pont-Authou. C’est dans ce paysage bucolique que le chevalier Herluin, originaire de Brionne, choisit de s’installer et de fonder une abbaye au 11ème siècle, qui devint vite un haut-lieu de la spiritualité. C’est autour de cet édifice majeur et hypnotique que s’articule cette randonnée immersive en forêt, idéale pour les premiers jours du printemps et que je vous fais découvrir au fil de mes pas.
Difficulté : moyenne | Longueur : 8 km | Durée : 2h30 | Dénivelé : 128m
– CARNET DE ROUTE –
Le temps se fait normand ce matin-là. Après m’avoir fêté pour mes premiers jours sur le sol de l’Eure – j’en tiens pour preuve les épisodes 88 et 90 de Carnets de Rando – me voici rincé par ce cliché à la peau dure qu’est la pluie en Normandie. Non, c’est faux, on ne passe pas son temps les épaules voutées sous un parapluie là-haut. Mais il arrive bien sûr, sporadiquement, que le ciel fasse grise mine et déverse quelques larmes humides sur ce territoire qui répond à l’averse par un excès de verdure luxuriante. C’est le cas ce jour-là dans la paisible vallée du Bec-Hellouin qui abrite la prestigieuse abbaye éponyme.C’est la plupart du temps pour elle que se pressent les visiteurs, mais aussi pour découvrir les façades en colombages colorées du charmant village bâti de l’autre côté du ruisseau du Bec, au pied du coteau boisé des Bois Brûlés. C’est de son centre modeste que je démarre cette randonnée à la découverte de cette partie centrale du département de l’Eure. Mû par une simple envie de marcher, je m’engage sans objectif particulier dans la rue du Chanoine Porée qui s’élève en ascendance légère vers le cimetière, avant de quitter le village en m’abandonnant sous les frondaisons des arbres.
L’appel de la forêt se fait pressant. L’écho subtil de la mélodie des sous-bois m’attire aujourd’hui irrésistiblement. Néanmoins, surgi de la plaine comme une ogive médiévale-fantastique, le clocher-tour de l’Abbaye du Bec-Hellouin capture mon regard et sonne en moi le tocsin d’une envie de visite.
Le goudron ne me procurant guère d’inspiration, je bifurque à droite dans le premier chemin venu en priant secrètement qu’il m’entraîne loin dans la forêt. J’ai des envies d’errances forestières aujourd’hui. Je brûle de percer les secrets dissimulés dans ces bois qui ne manquent pas d’allure et braque mon objectif vers de fiers représentants de chênes et de hêtres. Le couvercle sombre des nuages crée une atmosphère lourde sur des sentiers qu’une pluie persistante a fini par rendre humides, parfois glissants. Je guette les mouvements invisibles des habitants de la forêt, en vain. L’orée du bois est subitement là, inondant le paysage d’une lumière terne. Au-delà, la morne platitude des cultures s’étire vers un horizon indéfini et noyé sous un fin rideau de pluie. Le vent me cueille en bourrasques à la sortie des arbres, faisant s’agiter d’épais nuages gris dans un ciel chargé de mélancolie. Le chemin, quant à lui, se fond dans le bitume d’une route retrouvée. Le Bec-Hellouin est encore trop près et je décide de partir vers la gauche pour continuer à m’en éloigner avec, à l’esprit, la réalisation d’une boucle encore largement indécise.
Le clocher-tour à l’architecture unique de l’Abbaye du Bec-Hellouin
L’arbre domine le randonneur tout au long de cet itinéraire très forestier
Je rejoins la route de l’Aventure, la bien-nommée, qui plonge à gauche dans la combe menant à Pont-Authou. En face, les balises rouge et blanc du GR224 disparaissent sous les arbres du Bois de Maillot. Rien ne vient nourrir mon inspiration sur ce carrefour routier anonyme. Je décide de retourner sous la protection des arbres en empruntant cette fois le chemin de Saint-Nicolas. Au-delà d’un camping, je retourne à ma clandestinité en répondant à l’appel d’une petite balise jaune placée sur le tronc noueux d’un chêne. Un agréable sentier me mène ainsi à l’entrée de Malleville-sur-le-Bec. Je traverse furtivement la route et plonge rapidement sous le camouflage des arbres à la faveur d’un chemin au tracé sinueux qui contourne la butte des Bois Brûlés. C’est à partir de cet instant que la magie de la forêt opère sur moi. Les arbres, ces habitants muets des sous-bois, m’apparaissent sous un jour nouveau.
Immergé parmi les essences, mon regard commence à capter l’indicible. Au hasard de l’un de mes détours improvisés, je me retrouve ainsi nez-à-nez avec un géant des bois
Je m’écarte régulièrement du chemin, irrésistiblement attiré par des troncs aux formes insolites ou par le murmure bruissant des feuillages. Autour de moi, le vert explose en nuances illimitées. L’esprit de la chlorophylle supplante l’amertume de la pluie et inonde la forêt d’une éblouissante luminosité. Dans une semi-clairière qu’il a taillé à la force d’une aura charismatique, un hêtre massif déploie ses branches en un geste d’offrande à la forêt. Son tronc gris et robuste, suitant d’humidité, se répand dans l’humus en racines épaisses semblables à d’immenses doigts puissamment ancrés dans la terre. Je place la paume de mes mains contre ce corps végétal dans une timide tentative de communication et d’échange. Je visualise l’image d’un dialogue sans parole, à base d’énergie vibrante. La forêt me parle. Elle a tellement de choses à raconter…
Formidable spécimen de hêtre découvert dans les sous-bois, à l’abri des regards
Pied ou racine ? Quand le végétal se donne apparence humaine
Avant de surgir à nouveau dans le vallon du Bec, le sentier s’esquive à gauche au creux d’un tunnel végétal étroit qui se faufile à l’abri des regards en direction du Monastère Sainte-Françoise-Romaine. J’aime cette sensation d’être dissimulé par ces feuillages et ces branches qui m’entourent, enfoui sous les sons émanant des bois. Jardins fleuris, propriétés au charme romantique et échos diffus d’activités humaines filtrent à travers ce rempart enchevêtré qui définit la limite de la forêt. Je surgis finalement à l’angle du Monastère dont les portes sont ouvertes sur ce qui ressemble à des festivités dominicales. Le sentier se poursuit de l’autre côté du ruisseau du Bec, empruntant un chemin de traverse tracé entre deux grands prés. Derrière les lignes de clôtures barbelées, des vaches à la robe rousse transie de pluie paissent tranquillement dans d’immenses champs constellés de pissenlits. Des arbres solitaires et centenaires émergent ici-et-là parmi des corps de ferme massifs et des demeures bourgeoises. Le vallon de Bec a des airs de peinture champêtre. Un groupe de lapins de garenne détale soudainement à mon approche, bondissant entre des mottes de terre avant de disparaître au-delà d’une haie.
Une treille naturelle fait office de frontière avec le monde des hommes qui s’ouvre en contrebas de la Côte de Saint-Martin. Arcboutés au-dessus de ma tête, des arbres en quête de maturité forment un passage végétal étroit sous lequel se déroule le chemin
Je rejoins finalement le chemin du Pont-Boy, qui s’enfonce à nouveau dans la forêt, en direction du Bec-Hellouin. Ce dernier tronçon est un enchantement. Aux sous-bois profonds et mystiques de la première partie de la randonnée succède une féerie de couleurs et de senteurs ouvrant sur des parterres de jacynthes violettes et de stellaires aux délicates corolles blanches. Des milliers de têtes pourpres penchent leur regard vers un sol maintenant invisible duquel elles se sont arrachées en quelques jours. Les arbres, encore jeunes, explosent en troncs multiples et vigoureux qui créent des arches à hauteur d’homme, formant ainsi des passages multiples à travers le bois qui invitent le marcheur à un égarement volontaire. Une immersion totale. Un délicieux songe forestier qui finit par s’évanouir lorsque la massive tour-clocher de l’Abbaye apparaît à nouveau entre les frondaisons. La magie de la Normandie une fois de plus à l’oeuvre.
Paysage délicieusement champêtre de ce petit bout de Normandie
Dans les sous-bois, le printemps explose en milliers de couleurs
– INFOS PRATIQUES –
Carte : IGN 1/25000 1912OT Bourgtheroulde-Infreville
Accès : en voiture, depuis Paris, autoroute A13 direction Rouen, puis Le Havre. Avant la sortie 25, suivre l’autoroute A28 direction Alençon. Prendre la sortie 13 « Brionne ». Après le péage, suivre à droite la D438, direction Brionne. Après environ 1,5 km, tourner à droite par D581, direction Malleville-sur-le-Bec et le Bec-Hellouin. Traverser plus loin Malleville, poursuivre tout droit et rejoindre plus bas le Bec-Hellouin. Stationnement dans le centre du village ou sur parking de l’Abbaye.
Topo : Depuis l’arrière de l’église, traverser la rue principale et s’engager en ascendance dans la rue Guillaume de la Tremblay. Une centaine de mètres plus loin, tourner à gauche puis, à une bifurcation, à droite. Continuer à monter jusqu’à croiser la route de Saint-Nicolas (1). Poursuivre en face par un chemin forestier. Au croisement avec le chemin du Peroir, continuer de l’autre côté, en face, jusqu’à croiser la route entrant dans Malleville-sur-le-Bec (2). La traverser et suivre un chemin en face, qui descend à travers les arbres. A la bifurcation de sentiers suivante (3), aller tout droit, via un thalweg qui sinue à travers les arbres. Ignorer tous les sentiers et continuer tout droit jusqu’à approcher de la lisière de la forêt (4). Là, prendre à gauche par un petit chemin qui longe le vallon ouvert du Bec. Sortir au niveau du Monastère Sainte-Françoise. Suivre la route à droite, puis tourner à droite au prochain carrefour (5) pour longer l’enceinte des jardins du Monastère. Repérer très vite à gauche une petite passerelle qui franchit le Bec (6). S’y engager et poursuivre par un chemin tracé entre deux champs. A l’intersection suivante (7), prendre à droite et suivre l’itinéraire de la Voie Verte qui ramène vers le Bec-Hellouin. Retrouver le Bec-Hellouin plus tard en quittant la Voie Verte à droite (8) par la rue du Quartier Burcy. Topo disponible en téléchargement sur le site d’Eure Tourisme (parcours en sens inverse)
Notes : rien à signaler de particulier sur cet itinéraire
Les hébergements : lors de mon passage, j’avais dormi au Logis de Brionne. Chambre double à partir de 98 euros et très bon accueil. Le restaurant est hautement qualitatif !
Liens utiles : deux édifices religieux d’importance sont à découvrir au fil de cet itinéraire. Les visites sont possibles ainsi que la participation aux offices. Toutes les informations utiles sont disponibles sur le site, d’une part, de l’Abbaye du Bec-Hellouin, ainsi que sur celui, d’autre part, du Monastère Sainte-Françoise. D’autres informations touristiques à retrouver également sur le site officiel du Pays Brionnais.
Bibliographie : L’Eure… à pied | C’est la 4ème édition du topo-guide officiel édité par la Fédération Française de Randonnée Pédestre. 41 itinéraires de Promenade & Randonnée y sont recensés pour approfondir votre découverte de l’Eure, accompagnés de leurs cartes et de leurs explications. Un autre itinéraire de randonnée est disponible autour de Brionne. Prix indicatif : 14,70 € | Ref.D027
EN BREF
Sans caméra, j’ai attaqué cet itinéraire sans réelle conviction. J’en suis ressorti enchanté, bluffé par ces décors forestiers qui m’ont littéralement absorbé. Une randonnée, certes peu spectaculaire, mais définitivement attachante pour qui souhaite avancer au rythme tranquille du marcheur, en immersion dans un vallon paisible où la Nature se cueille comme une jolie fleur de printemps.
Ce reportage Carnets de Rando, sous licence Creative Commons, est la propriété exclusive de Carnets de Rando. Son usage à des fins non commerciales est autorisé à condition de mentionner son appartenance au site www.carnetsderando.net. Pour toute autre utilisation, merci de me contacter.
L’ abbaye semble assez extraordinaire, plantée au beau milieu d’ une nature si luxuriante. J’ apprécie beaucoup vos photos, vous avez le coup d’ oeil… et le pied alerte. Félicitations pour votre amour du pays. Max.