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Épicentre de cette journée de randonnée nivernoise, La Charité-sur-Loire invite à feuilleter les pages d’une Histoire foisonnante au rythme lent du fleuve qui en a, de tout temps, accompagné le cours. Premier rendez-vous fixé en Réserve Naturelle du Val de Loire, à la rencontre de paysages mouvants qui façonnent le décor à l’aune des humeurs du courant. Un préambule nature avant d’embarquer pour un voyage forestier. Cap, pour le second chapitre, sur la Forêt des Bertranges, qui talonne la célèbre Forêt de Tronçais par le volume et la qualité de ses chênes. Une mise à l’ombre appréciée dans cet univers d’écorces et de feuilles qui s’appréhende par la curiosité. Des berges du plus grand fleuve de France aux secrets enfouis d’une des plus importantes forêts de la Nièvre, embarquez sur les sentiers méconnus du Pays Charitois.
1 – DE L’EAU ET DES ARBRES
Difficulté : facile
Distance : 5km
Durée : 2h15
Dénivelé : 30m
Carte : IGN TOP25 1/25000è 2523SB – La Charité-sur-Loire/Suilly-la-Tour
On aurait pu arriver à La Charité-sur-Loire à pied comme ces pèlerins se rendant à Compostelle au 11ème siècle. Il aurait suffi, pour cela, de suivre le chapelet de balises en forme de coquille du GR®654, depuis Champlemy et la douillette chambre d’hôte de Marie-Noëlle où nous avons posé nos valises. On aurait ainsi traversé la Forêt des Bertranges avant de plonger dans ces petites rues où le visage du Moyen-Âge s’accroche encore avec vigueur. Les berges de la Loire auraient été atteintes, face au Vieux Pont, bâti pile-poil 500 ans plus tôt.
La Charité-sur-Loire, c’est un voyage dans le temps, au fil d’une histoire mouillée depuis toujours par l’eau de la Loire
1520, 2020… Un demi-millénaire d’écoulé et pourtant la cité ligérienne est toujours là, plus éclatante que jamais, eut égard au label Ville d’Art et d’Histoire brillamment obtenu en 2012 grâce à la rénovation de son prieuré, l’un des plus grands de l’époque clunisienne. Non, décidément, la Charité ne doit pas simplement qu’être un banal lieu de stationnement pour un véhicule avant une randonnée.
Car c’est bien pour marcher qu’on a fait le déplacement ici. Au programme la visite de La Charité sur Loire, évidemment, mais également le circuit de l’Eau & des Arbres – le matin – dans la forêt alluviale de la Réserve Naturelle du Val de Loire, suivi d’une boucle dans la Forêt des Bertranges – l’après-midi. J’ai ainsi garé la voiture sur une des places de la rue du Champ Barathe, juste derrière les jardins jouxtant l’arrière du Prieuré et de l’Abbatiale Notre-Dame.
L’ensemble architectural et religieux de la Charité sur Loire est son point d’ancrage dans l’Histoire. L’épicentre de siècles d’aventures traversés de personnages hauts en couleur qui pourraient être aujourd’hui racontés sous la forme d’une série Netflix
L’édifice en impose. Difficile, à son approche, de ne pas en ressentir la force d’attraction et de ne pas se retrouver à satelliser autour telle une étoile autour d’un soleil. C’est ce qu’on a fait, déviant naturellement de notre trajectoire pour longer les murs massifs et lumineux de ce joyau d’architecture qui, à son apogée, compta près de 400 dépendances dans tout le monde chrétien jusqu’aux portes de la Terre Sainte à Constantinople.
Un passage en voûte nous fait ensuite passer côté cour. Dans notre dos, le clocher des Bertranges, véritable phare de La Charité sur Loire quand on arrive par le fleuve ou par le Cher. Et, devant nous, des tours, rondes ou carrées, vestiges muets d’une époque où anglais et français se disputaient la ville. Jeanne d’Arc en personne s’y cassa les dents en 1429, échouant à reprendre la ville à Perrinet Gressart, un mercenaire à la solde des anglais pendant la Guerre de Cent Ans.
À La Charité, les humeurs belliqueuses du 15ème siècle ont fort heureusement été depuis remplacées par les douces flâneries du 21ème
En 2020, le touriste a supplanté le pèlerin et les seules luttes perdurant sont celles consistant à trouver une place de libre au restaurant pour le déjeuner. Lors de notre passage matinal, les rues étroites de La Charité sur Loire sont encore calmes, s’éveillant mollement après une nuit sans histoire. Tout comme les bords de Loire, rejoints après une errance volontaire dans le dédale compact des rues de la ville.
On y retrouve le grand fleuve, ses berges ensablées et ses îlots de verdure entre lesquelles le courant force un passage. La Loire sera l’héroïne de cette première partie de journée. Après un rapide aperçu la veille, lors de notre randonnée à Pouilly-sur-Loire, nous souhaitions lui consacrer un plus large chapitre aujourd’hui. Ici, c’est la façade occidentale de la Nièvre. Plus qu’un simple élément de décor, le cours d’eau est aussi une frontière historique entre deux départements et deux régions.
La Loire, ici, est à la fois fleuve, espace naturel, jalon historique et frontière
Là-bas, sur l’autre rive, la Bourgogne Franche-Comté a cédé la place au Centre Val de Loire. Les murs de La Charité sur Loire se déploient tout le long de la rive droite qui offre, aux locaux comme aux visiteurs, aux promeneurs comme aux sportifs, une agréable promenade où rencontrer l’esprit du fleuve. Au bout de sa laisse, Fulkan y déambule truffe à ras de terre, au gré de mille odeurs subtiles que seul un canidé a le talent de saisir.
Notre compagnon à quatre pattes n’ira cependant pas au-delà de ce kilomètre de berge autorisé. Au-delà, c’est la Réserve Naturelle du Val de Loire où les chiens, même tenus en laisse, ne sont pas admis. Marlène reprendra donc, de son côté, la visite de La Charité sur Loire pendant que Pierre et moi poursuivrons en duo vers la Loire. Fleuve nature par excellence, elle est aussi un fleuve vivant qui modèle son paysage au gré de ses crues.
Pas un brin de ce décor fluvial qui n’ait été consciemment façonné par les humeurs passées de la Loire. Des états d’âme à l’origine, aujourd’hui, d’une biodiversité spécifique à protéger.
Cette dynamique fluviale est à l’origine de chaque élément de décor croisé en chemin, berceau d’une faune et d’une flore riche, variée et à protéger. Une raison suffisante pour classer l’endroit Réserve Naturelle dès 1995. Le circuit de découverte s’y engage, conjointement au tracé du GR®3, en suivant un large chemin percé dans un sous-bois touffu. On est à moins de 200 mètres de la Loire mais l’opacité de la végétation nous interdit de l’apercevoir.
On guette l’apparition d’un signal quelconque, balise, marquage, flèche, signal lumineux même, pour nous avertir du bon moment pour aller repiquer vers la Loire à travers ces frondaisons épaisses. Au lieu de ça, on tombe sur des prairies sèches – décor typique de la mosaïque paysagère de la Réserve – à main droite, où Pierre tente d’établir le contact avec une brochette d’équidés curieux d’humains. Puis, plus loin, c’est le point coté 156 et son coude à droite immanquable. « On a dépassé l’embranchement.« , dis-je à Pierre avec une certitude absolue.
S’égarer sur les bords de Loire ? Mais si c’est possible ! Carnets de Rando l’a fait !
« Il faut revenir sur nos pas. On a du rater quelque chose. » Deux paires d’yeux rivées sur la trace GPS affichée sur le téléphone portable n’y suffiront pas. On a accusé, à l’aller, notre manque de concentration. Force est de constater, au retour, que l’erreur était due à davantage qu’à de l’inattention : le changement de direction matérialisé sur la carte n’est indiqué nulle part !
Qu’à cela ne tienne : on empruntera une vague ouverture repérée dans le mur végétal pour espérer s’approcher de la Loire convoitée. Une sorte de jungle nivernaise nous avale tout cru. On suit une trace précaire qui force le passage entre de hauts arbres dégoulinant de lierres, par ce qui ressemble à un inattendu couloir forestier. L’entreprise est payante et nous fait surgir dans une traverse lumineuse, occupée par un bras mort du fleuve.
Se faire accompagner par un guide de la Réserve, c’est permettre à ce décor végétal de soudainement prendre vie.
Un groupe conduit par un animateur de la réserve est là également, suivant de la tête les mouvements du bras de leur guide. On aurait pu, nous aussi, bénéficier de l’expérience de l’un de ces agents du Conservatoire d’Espaces Naturels Centre-Val de Loire. Ils n’ont malheureusement pas pu donner suite à notre demande de reportage. Avec Pierre, nous y allons donc à l’instinct, guidés par les indices de la carte et nos besoins en image.
On rejoint ainsi une berge de galets au-delà de laquelle s’élance une Loire aux allures d’Amazonie. Si le groupe précédemment croisé avait été avec nous, nous aurions probablement entendu son guide expliquer qu’ici, au cœur de la Loire des îles, la végétation s’adapte à la proximité de l’eau, à la fréquence et à l’importance des crues. L’endroit où nous nous trouvons a sans doute été, par le passé, un chenal secondaire. C’est aujourd’hui une grève aride, faite de sable et de caillasse.
Ici, c’est la Loire des îles, le mariage subtil de l’eau et de la terre, l’acte de naissance de milliers d’espèces dans une alchimie invisible et fragile.
Notre regard, imbibé par le paysage, ignore que dans ce patchwork de milieux naturels – près de vingt différents – ce sont près de 1200 espèces, animales et végétales, qui cohabitent, parmi lesquelles 130 sont plus ou moins menacées de disparition. Une pression plus forte encore sur 48 d’entre elles nécessite la mise en place d’une réglementation très stricte quant à la fréquentation du site.
Le chemin du retour s’amorce. Sans aucun doute la plus belle partie de cette courte boucle très immersive. Le sentier y joue avec la berge, s’approchant de l’eau avant de s’en éloigner à nouveau et puis recommençant encore, tout en dévoilant, très régulièrement, de beaux points de vue sur l’étendue de la Loire. On marche au rythme du fleuve, calant notre pas dans celui du courant.
Des mobiliers pédagogiques font les présentations entre le promeneur et les essences remarquables des bords de Loire. Prendre le temps de les lire obéit à une volonté de notre part de marcher intelligent.
À la faveur d’une pause, on se prend à envier ces kayakistes glissant en douceur sur le courant. Ici le temps semble s’écouler plus lentement. Les bords de Loire sont un antidote au stress et administrent au marcheur une perfusion indolore de calme absolu. On ne se lasse pas d’en contempler les discrets remous y emporter les secondes qui passent.
On s’y attarde tellement qu’on finit par se rappeler, avec Pierre, qu’on a laissé Marlène et Fulkan depuis un moment ! Il est temps de laisser la Loire à sa lente course vers l’océan pour replonger dans la cité monastique de La Charité sur Loire. On retrouve nos compagnons sur les remparts, superbement restaurés par le patient travail des Charitois passionnés de l’association Les Remparts de La Charité, qui bordent encore la ville au nord.
Les remparts de La Charité sont, sans aucune mesure, le meilleur endroit pour admirer la ville dans son ensemble et en réaliser les plus belles images. Incontournables.
Puis un escalier dérobé nous ramène dans la rue des Chapelains où les pavés d’hier côtoient les voitures d’aujourd’hui. Ici, les époques se chevauchent. En quelques mètres, on a rejoint le cœur battant de la commune. Ici, plus qu’ailleurs, l‘Histoire se raconte dans les livres dont La Charité sur Loire s’est fait une spécialité.
Boutiques de livres anciens ou rares, calligraphes et enlumineurs… Magiciens des lettres ou artistes des mots, penseurs, poètes ou philosophes… Ils se sont donnés rendez-vous dans cette cité du livre où on n’a pas peur, à l’instar d’Hipolito, l’écrivain raté du Fabuleux Destin d’Amélie Poulain, d’écrire sur les murs des envolées de citations. Il y a quelque chose qui retient le visiteur à La Charité-sur-Loire.
La Charité sur Loire est de ces villes qu’il faut courtiser avec lenteur et curiosité. Une opération séduction patiente et gratifiante.
Dans ces ruelles où les époques se rejoignent se devinent de bonnes adresses, tant culturelles que culinaires. Le temps se rappelle malheureusement à nous, nous ramenant de force dans son inépuisable course. Sans doute l’avions-nous oublié en savourant avec insouciance les petits plats cuisinés du Cocktail de Clémentine, où nous avions mis la journée en pause. Celle-ci était pourtant loin d’être finie…
2 – FONTAINES EN BERTRANGES
Difficulté : assez facile
Distance : 8km
Durée : 3h
Dénivelé : 30m
Carte : IGN TOP25 1/25000è 2523SB – La Charité-sur-Loire/Suilly-la-Tour
Il n’est pas loin de 14h lorsqu’on stationne notre véhicule à l’ombre des arbres de l’église de Raveau, hameau assoupi à cinq kilomètres plus à l’est de La Charité sur Loire. La chaleur de l’été plonge ici la Nièvre dans un climat de torpeur. Toute trace d’activité humaine est invisible. Si ce n’était le passage de quelques voitures, on pourrait se croire seuls au monde.
Après la douce agitation de La Charité et ses appâts visuels et gustatifs, Raveau, désert, fait presque office de retraite spirituelle !
Raveau est rapidement laissé derrière nous en empruntant la rue du Point du Jour sur laquelle vient s’appuyer le long mur de pierres fermant le domaine du château de Mouchy. Un préambule bitumé, mais nécessaire, pour atteindre la porte d’entrée d’un des plus grands univers forestiers nivernois : la Forêt des Bertranges.
Mon mois de juillet aura décidément été très studieux en matière de forêts. Après Brotonne et Eu, en Seine-Maritime, et avant le Parc National de Forêts, en Côte-d’Or, me voilà sur le point de marcher sur les chemins de la deuxième forêt productrice de chênes en France. Un bel ensemble de quelques 7600 hectares, devenu forêt domaniale à la Révolution, dont les origines, qui remontent au 12ème siècle, demeurent indubitablement liées à La Charité-sur-Loire et à son prieuré. Notre première impression des Bertranges n’est pourtant pas la meilleure : route, puis chemin large et rectiligne taillé dans une coupe sèche et sans aucun charme. On reste encore sur notre faim, curieux de forêt et impatients de plonger véritablement sous les arbres.
À chaque territoire sa forêt. Dans la Nièvre, l’incontournable c’est celle des Bertranges, un fief de chênes sessiles de 7600 hectares à la belle réputation
Il faut dire que le départ habituellement admis pour une balade dans Bertranges, c’est plutôt ce qu’on appelle ici le Rond-Point de la Réserve, spot nombrilique qui envoie ses flèches et chemins dans toutes les directions à travers la forêt. Démarrer de Raveau est une alternative pour celles et ceux qui veulent également découvrir le périmètre des Bertranges. Et il y a un réel intérêt à cela comme nous le découvrirons plus tard. Pour l’heure, on presse le pas pour assurer notre rendez-vous avec Samuel, responsable de l’Unité territoriale des Bertranges à l’ONF, qui devrait être l’interlocuteur idéal pour changer notre regard sur cette forêt dont la première lecture reste encore opaque.
La rencontre a été fixée à la Fontaine des Bougers. Une fontaine dans une forêt ? La toponymie m’intrigue. C’est, en tout cas, la première bonne surprise de cette incursion forestière. D’abord parce qu’elle nous permet d’abandonner cette longue piste ennuyeuse et de prendre, enfin, pied dans les Bertranges.
Les sous-bois sont un autre monde fait d’ombres dansantes et de lumières furtives, de froissement de feuilles et de gazouillis disparates
Ensuite parce qu’elle nous confronte à l’une de ses originalités locales : les fontaines. N’attendez cependant pas des vasques d’ornements faisant jaillir l’eau depuis une source. Ici les fontaines ressemblent plutôt à des étangs. Celle des Bougers a fait d’ailleurs l’objet d’une rénovation et d’une remise en eau récente.
C’est un beau bassin, bien délimité, dont la surface émeraude brillante reflète le tableau chlorophyllien qui l’entoure. Des disques de nénuphars s’y entassent par endroits, assurant le spectacle de leur floraison au visiteur passant à la bonne saison. Voici assurément un lieu où faire une pause, comme les bouviers d’antan, ces conducteurs de troupeaux qui y faisaient boire leurs bêtes et qu’une déformation lexicale, les ayant transformé en bougers, a fini par faire attribuer son nom au lieu.
Aussi connues que le loup blanc, les fontaines des Bertranges ont autant d’anecdotes à partager avec le visiteur que de nénuphars à leur surface
Fulkan y perpétue la tradition en y jetant sans la moindre retenue son corps de canidé transi de chaleur. C’est lors de cette séquence éclaboussures que nous rejoint Samuel, un gaillard à la barbe épaisse et à la carrure solide comme un chêne. Sa chevelure dense, tirée en arrière et nouée à la base de la nuque, dégage un visage avenant et bienveillant. Les présentations faites, j’attaque sans attendre mes questions.
« La force des Bertranges« , nous explique Samuel, « c’est de se trouver sur des sols très fertiles par rapport à d’autres forêts. C’est ce qui lui permet d’obtenir une excellente qualité de chênes. Et cette notoriété est connue de tous les merraindiers pour la fabrication des merrains, ces lattes en bois de chênes fendus, la matière première des tonneliers dans l’assemblage des tonneaux.«
Passionnant et intarissable, Samuel Blais s’inscrit dans la lignée de ces interlocuteurs précieux que j’ai eu la chance d’accueillir dans Carnets de Rando
J’écoute Samuel nous raconter l’histoire des Bertranges, son héritage sylvicole séculaire, ses arbres remarquables de plus de deux siècles d’âge, son chêne Babaud de 482 ans – qu’il a malheureusement fallu abattre en 1993 – ses dolines et rivières souterraines qui m’évoquent davantage le Vercors que la Bourgogne. Les Bertranges prennent subitement vie dans mon esprit à la seule évocation de cette foule de détails.
Notre intervenant décide, de manière parfaitement improvisée, de nous accompagner le temps de quelques kilomètres sur la suite de notre itinéraire. Une aubaine ! D’autant que cette seconde partie s’engouffre cette fois réellement dans la forêt. Terminée la monotonie des allées à la rectitude inflexible : les Bertranges se resserrent autour du sentier pour envelopper le/la marcheur/se de ses jeux de lumières chatoyants.
Des couloirs végétaux s’ouvrent à l’improviste comme autant de passages secrets pour nous inviter à poursuivre la randonnée. Les Bertranges se dévoilent enfin !
« L’ancienneté des Bertranges lui assure également un potentiel élevé de biodiversité« , poursuit Samuel tout en marchant. « La cigogne noire, plus solitaire et forestière que la blanche, peut notamment être observée ici. Tout comme le chat forestier ou l’écrevisse à pattes blanches, un baromètre reconnu de bonne qualité environnementale.«
Samuel nous abandonne au croisement de la Route Forestière de la Bertherie et de la Sommière du Pré Bourreau, une travée plus dégagée par laquelle se poursuit notre itinéraire. En bordure de celle-ci s’ouvre l’une de ces immenses chênaies très clairsemée où apprécier pleinement l’identité et la force tranquille de l’essence phare des Bertranges.
Le chêne sessile trouve matière ici à écrire ses lettres de noblesse. Droit comme un I, haut et souverain, il exprime aux Bertranges la quintessence de son art végétal
Pour la beauté des images, j’y fais déambuler Pierre, Marlène et Fulkan. Le spot, inattendu, est ma seconde bonne surprise ici, en Forêt des Bertranges. Purgée du taillis, la futaie s’y dévoile dans toute sa maturité. Il faudra faire grincer ses cervicales pour courber suffisamment la tête afin d’apercevoir le haut de ces spécimens de 50 à 80 ans d’âge qui peuvent atteindre jusqu’à 18 mètres de haut.
Le chemin nous fait déboucher sur la route forestière à la Vache où se trouvent le chêne et la fontaine éponymes. Un autre de ces endroits bercés d’Histoire, où plane l’ombre d’un nouvel arbre remarquable des Bertranges. Un crochet de quelques dizaines de mètres par rapport à l’itinéraire dont il serait dommage de se priver. C’est encore une déformation linguistique qui a ancré le mot vache à la toponymie moderne. Aucun bovidé à l’horizon de l’Histoire pourtant.
Dans la Forêt des Bertranges, la toponymie est joueuse et envoie souvent le promeneur naïf sur de mauvaises pistes.
La vache en question était plutôt une bache – bacha en latin – un terme désignant une auge, une mare ou un bourbier. Celle de la Vache/Bache n’a pourtant rien de ça en 2020. Il s’en dégage même une certaine aura de magie druidique. Sans doute à cause de ses eaux scintillantes et de son chêne de 250 ans indéracinable malgré qu’il ait été foudroyé à plusieurs reprises. Ou peut-être aussi parce qu’en ces lieux plane l’ombre de la justice de Saint-Louis ?
En tournant le dos à la Fontaine de la Vache, on pensait en avoir fini avec les surprises. Il suffisait, après tout, de se laisser glisser jusqu’à Raveau en suivant les balises du GR®654 qui, lui, continue ensuite jusqu’à Compostelle. C’était compter sans nos gosiers à sec qui nous font chercher comment mettre un terme à cette soif insistante du côté des Forges de la Vache. L’occasion de débusquer un site parfaitement adapté aux randonneur/ses.
Les Forges de la Vache sont assurément un endroit taillé sur mesure pour la pause, courte ou prolongée, du randonneur.
Ce domaine historique, aujourd’hui remis au goût du jour pour accueillir le/la visiteur/se dans ses chambres de charme, a en effet connu jadis le martèlement des masses et la chaleur des fourneaux. Les forges ont occupé un long et dense chapitre de l’histoire des Bertranges, la forêt alimentant en bois de nombreux sites de métallurgie jusqu’au 19ème siècle. Ce qui faisait à l’époque de la Nièvre l’une des principales régions productrices de métal de France.
Avec près de 100 exploitations à la veille de la Révolution – dont une quarantaine autour des Bertranges – la Nièvre était une consommatrice de bois insatiable. Pour nourrir les hauts fourneaux, près de 4900 hectares de coupe annuelle étaient nécessaires en 1833 ! C’est presque les trois septièmes de tout le massif nivernais ! Cette surexploitation a conduit la forêt à son plus faible taux de boisement jamais atteint.
Forges, fournaux, sidérurgie… Les Bertranges ont payé un lourd tribut à la métallurgie. Une page de leur histoire qu’il faut connaître pour mieux apprécier le paysage d’aujourd’hui.
Le remplacement du charbon par la houille – et la suprématie à venir des bassins sidérurgiques du Nord et de la Lorraine – vont, heureusement, mettre un terme à ce carnage industriel et initier la régénération des Bertranges. Le souvenir de cette époque est encore perceptible aux Forges de la Vache, endroit paradisiaque et accueillant idéal pour finir sa randonnée. Et, en revenant ensuite sur Raveau par d’agréables chemins en sous-bois, vous pourrez, à juste titre, considérer que cette forêt réputée aujourd’hui pour la qualité de son bois, revient décidément de loin !
VENIR DANS LA NIÈVRE
En voiture
Si vous regardez bien votre carte de France, vous noterez que la Nièvre est un département assez central, posé tout au-dessus du Massif Central, à quasi équidistance de Paris et de Clermont-Ferrand. Pour les sudistes – dont je fais partie – ça ne fait généralement pas partie des choix premiers de destination. Et c’est bien dommage et j’espère que les différents reportages du blog vous convaincront qu’il pourrait être judicieux de revoir cette copie erronée !
Pour celles et ceux qui remontent donc depuis le sud et la vallée du Rhône, il faudra suivre l’autoroute jusqu’à Châlons-sur-Saône et, de là, tirer par la D978 vers Nevers via Autun et Château-Chinon. Depuis le Languedoc et le sud-ouest, le mieux est de viser Clermont-Ferrand puis de rejoindre Nevers via Moulins. Le grand ouest, quant à lui, préférera converger par autoroute vers Bourges pour rallier ensuite Nevers par la D976. Enfin, le nord et la région parisienne, pourront eux emprunter l’A77 directement jusqu’à Nevers.
À titre personnel, j’arrivais de mon tournage en Seine-Maritime et j’ai d’abord transité par Paris. Comme, à l’issue de ma semaine dans la Nièvre, j’avais besoin d’aller en Côte-d’Or, j’ai pris un train Paris-Auxerre et j’ai loué une voiture à Auxerre pour être autonome dans la Nièvre.
En train
La longue histoire qui lie l’Île-de-France à la Nièvre lui permet une desserte encore excellente en train depuis Paris. Des Paris-Nevers en seulement deux heures et pour moins de trente euros, vous en trouverez sans peine. Depuis Marseille, Montpellier, Rennes ou Bordeaux, c’est plutôt en 5h à 6h et pour, en moyenne, deux à trois fois plus cher. Mais la ligne existe et la fréquence quotidienne est correcte.
ACCÈS À LA CHARITÉ-SUR-LOIRE
En voiture et en montant depuis Nevers, on accède à La Charité-sur-Loire depuis le sud en quittant l’A77 à la sortie 29. On accède ensuite rapidement au centre de la commune par la N151, direction Bourges. Stationnement possible à la Cour du Prieuré, au pied des remparts – rue du Champ Barathe – ou derrière le Prieuré. En train, depuis Nevers, 11 trajets quotidiens de 25mn pour 5 euros environ.
ACCÈS À RAVEAU
Revenir au niveau de l’échangeur de l’autoroute, par la N151, direction Auxerre et Avallon. Juste après l’échangeur, suivre à droite la D179 et atteindre Raveau. Places de stationnement disponibles au niveau de l’église. En bus, on peut rejoindre Raveau depuis La Charité (un départ quotidien depuis la gare SNCF à 12h45, 5mn) ou depuis Nevers (un départ quotidien depuis la gare routière à 16h00 en période scolaire ou 17h en période de vacances scolaires, 50mn) en utilisant la ligne 50.
TOPOS DES ITINÉRAIRES AUTOUR DE LA CHARITÉ-SUR-LOIRE
Plus qu’un long discours ou des descriptions de repères inutiles – étant entendu que je suis parti la fleur aux dents et que je n’ai pas pratiqué l’itinéraire dans le bon sens – je préfère vous mettre un lien vers la plaquette descriptive de l’itinéraire De l’Eau et des Arbres . Mille fois plus pertinent ! Voici, en revanche, le pas à pas pour la partie Bertranges.
Depuis l’église de Raveau, revenir sur le centre, à l’intersection des D179 et D138. Prendre à droite la D138 direction Sainte-Hélène. Après la boucherie, à main droite, suivre à droite la Rue du Point du Jour pour quitter Raveau (1). Longer, à main gauche, le mur en pierres du domaine du Château de Mouchy et suivre la route jusqu’à atteindre la Maison Forestière de la Bertherie.
Quitter la route en empruntant le chemin gravillonné qui se détache, en légère pente, à gauche de celle-ci et passer devant la Maison Forestière (2). Rejoindre un carrefour (3).
Tourner à gauche et suivre cette grande piste forestière bien dégagée.
Juste avant un nouveau carrefour, repérer à droite le chemin s’engageant sous les arbres qui conduit à la Fontaine des Bougers. (4)
Contourner l’étang principal et rejoindre, quelques mètres au-delà, par des sentes pas toujours bien marquées, un sentier lui bien dessiné et bien droit, orienté nord-sud. Le suivre à droite, sud jusqu’à croiser perpendiculairement une première allée forestière. (5)
Poursuivre en face par la Sommière du Pré Bourreau jusqu’à rejoindre une deuxième allée forestière. (6)
Poursuivre encore en face, toujours par la Sommière du Pré Bourreau. On a, à main gauche, la grande chênaie évoquée dans l’article. Poursuivre la Sommière jusqu’à sa quasi-extrémité.
Peu avant qu’elle ne s’achève dans un espace un peu confus et clairsemé, suivre à gauche un sentier partant en sous-bois (7). Le suivre. Sa trace est partiellement effacée ou encombrée de temps en temps mais sa direction reste logique et il finit par surgir sur la route forestière à la Vache.
En aller-retour à gauche, rendre visite à la Fontaine et au Chêne à la Vache (8). Revenir sur ses pas et continuer par la route. Passer devant les Forges de la Vache (9) et atteindre un croisement avec la D138. (10)
Poursuivre en face, par le Chemin de la Fontaine des Vaquets. C’est d’abord une petite route, puis un joli chemin en sous-bois. Il jaillit plus loin au niveau d’un lavoir et d’une route appelée Chemin de la Petite Forge (11). Suivre celle-ci à droite et atteindre Raveau.
RANDONNER AUTOUR DE LA CHARITÉ-SUR-LOIRE : LE DÉBRIEF
C’est dur ? C’est pas dur ?
Alors non, ce n’est absolument pas dur. C’est même bien peinard. Et puis, si on vient ici, ce n’est pas pour chercher une quelconque difficulté. Si c’est la difficulté qui vous intéresse, allez plutôt vous voir du côté du Morvan ! Le Pays Charitois c’est pour les contemplatifs, les flâneurs, les amoureux de nature. Ou, dans un autre registre, pour les marcheurs peu sportifs ou les familles. De la randonnée où on ne force pas trop donc !
Mais on ne s’ennuie pas sur ce genre de rando ?
Tout dépend de ce qu’on vient y chercher. Si c’est de l’effort et de la sueur, c’est sûr que vous serez déçus. Si c’est encore des spots visuels ou des points de vue ultra-spectaculaires, même tarif. Si, maintenant, vous êtes de passage dans cette partie de la Nièvre et que vous souhaitez organiser un petit trip tout en douceur en Pays Charitois, ma proposition devrait vous permettre d’être assez exhaustif dans cette mission. Côté pile, la Loire, côté face, les Bertranges. Les deux identités paysagères fortes du secteur, à mixer et à intégrer à un temps de pause à La Charité. Dans cet état d’esprit motivé par la curiosité, avec les mots-clés « nature » et « patrimoine » en tête de l’ordre du jour, la journée devrait en revanche être un petit succès.
Tu aurais un ou deux conseils supplémentaires à donner ?
Oui. J’en ai potentiellement deux. Le premier c’est de se faire accompagner par un expert. Je le conseille souvent et ce n’est pas pour faire plaisir au territoire concerné ou à titre commercial. C’est juste que ça a du sens. Du moins si vous désirez approfondir votre visite et repartir avec le sentiment d’avoir « compris » le milieu traversé. Dans le cas contraire, en effet, promenez-vous en autonomie. Sur le circuit Val de Loire, rejoindre un groupe encadré par un animateur de la Réserve est un vrai plus. Pour la Forêt des Bertranges, je vous renvoie vers Marie-Christine et/ou Christophe, le duo d’Instant Nature, situé à Nevers.
La deuxième chose concerne la chasse. Vous imaginez bien que les Bertranges sont un gros terrain de jeu pour les chasseurs, y compris à courre. Pour éviter de tomber dans une battue, c’est bien d’être renseigné en amont. La période de chasse généralement constatée démarre au 15 septembre et s’achève fin mars. Pour avertir les usagers de la forêts des jours chassés en fonction des secteurs de la forêt domaniale des Bertranges, l’Office National des Forêts a réalisé la carte suivante. Ces cartes sont distribuées aux mairies concernées et affichées en forêt. Pour plus d’informations possibilité de consulter le site de la Fédération Départementale des Chasseurs de la Nièvre.
RECOMMANDATIONS SPÉCIALES
Le premier itinéraire se déroule partiellement dans la Réserve Naturelle du Val de Loire. Une réglementation spécifique s’y applique qu’il vous sera demandé de respecter scrupuleusement. Parmi celles-ci, vous l’avez peut-être vu/lu dans le reportage, l’interdiction des chiens, même tenus en laisse. À garder à l’esprit si vous venez avec un animal !
Vous l’avez vu/lu, on a un tout petit peu galéré avec Pierre pour trouver le chemin. La faute à un peu d’inattention de notre part – eh oui les mecs aussi ça papote ! – et au fait qu’on a pris le circuit à l’envers. Je vous recommande de respecter le sens donné dans le topo et donc, dès l’entrée de la réserve, de trouver le chemin à gauche qui amène directement sur les bords de Loire.
Le second itinéraire se passe, lui, en forêt. Qui dit forêt dit… dit ? Dit tiques ! Alors on n’oublie pas de prévenir, plutôt que de guérir. On prend donc la pince pour retirer ces satanées bestioles, on s’asperge de répulsif, on évite de quitter les chemins, on marche éventuellement en pantalon et on s’inspecte fréquemment !
HÉBERGEMENTS ASSOCIÉS
HÔTELS À LA CHARITÉ
Petit budget
La formule la plus économique, c’est le petit hôtel-restaurant** la Pomme d’Or, tenu depuis 15 ans par Isabelle et Steven. Convivialité et simplicité, étape pour les pèlerins en route pour Compostelle, l’hôtel propose des chambres pour 45 à 60 euros la nuit. La demi-pension est possible pour 22 euros de plus, comprenant le repas du soir et le petit-déjeuner. Infos et réservation : 03.86.70.34.82
Budget moyen
Quasi juste en face de la Pomme d’Or, il y a l’hôtel-restaurant*** Mille et une Feuilles. Une étoile de plus et un style un peu plus affirmé, orienté vers la thématique du livre et des chambres aux noms d’écrivain(e)s célèbres. Les tarifs des chambres vont de 70 à 110 euros et le restaurant propose, en plus de la carte, une formule étape à 24 euros. Infos et réservation : contact1001f@gmail.com et/ou 03.86.70.09.61
À L’EXTÉRIEUR DE LA CHARITÉ
Je vous en ai parlé dans l’article et dans l’épisode du débrief : on est tombé dessus par hasard et, après avoir découvert le site – juste féerique ! – et les prestations proposées, j’ai été convaincu que l’adresse avait sa place ici, dans cette rubrique, et d’autant plus qu’elle se trouve sur l’itinéraire proposé. Bref, dans ces Forges, on peut dormir dans le Manoir pour 81 euros en demi-pension par personne. Mais ce n’est pas tout : il y a aussi une formule dans les cabanes Saint-Jacques ! Un hébergement insolite au tarif de 50 euros la nuitée en demi-pension. Côté restauration, ça faisait saliver tout autant. Un petit coup de cœur instantané ! Infos et réservation : 03.86.70.22.96 et/ou contact@forgesdelavache.com
Nous, pour notre part, je rappele qu’on logeait à Champlemy, chez Marie-Noëlle, à 30 minutes en voiture de Pouilly. Du bonheur à l’état pur dans cette maison familiale transformée en chambre et table d’hôte et dans laquelle se dégage une incroyable énergie positive. On s’est fait chouchouter, on a parlé à tout le monde, on s’est reposé et tout ça sans se ruiner. Des moments précieux, simples et profondément humains. Ça a été dur d’en partir. Je vous recommande vraiment.
Merci pour toutes ses informations